Comment accompagner les tout-petits dans l’acquisition du langage oral

Si l’enfant ne s’exprime pas avec des mots, il sait pour autant communiquer, et ce, dès la naissance. Il utilise des vecteurs variés, pour lesquels nous, adultes, avons parfois besoin de temps, d’observation et d’apprentissage, pour les comprendre et répondre à l’enfant. Catherine Lefèvre, psychomotricienne, Diplômée en sciences de l’éducation et en neurosciences, formatrice petite enfance, explique ici que tous les canaux de communication sont complémentaires et essentiels à l’acquisition du langage oral chez le tout-petit. 
Dialogue tonique, pleurs, imitation : les outils de communication du nourrisson
Dès la naissance, le tout-petit communique avec son entourage. Les états de tensions et de relâche, involontaires, sont des indicateurs et des vecteurs d’informations sur le vécu, le ressenti, et les états émotionnels de l’enfant. Les phases d’hypertonicité/ hypotonicité appellent et interpellent l’adulte qui prend soin du nourrisson. Elles lui permettent, peu à peu, de le comprendre et de répondre à ses besoins, de manière adéquate. Ce lien entre le tonus musculaire et l’état émotionnel a été nommé : dialogue tonico-émotionnel par Juan De Ajuriaguerra comme un approfondissement de la notion de « dialogue tonique » proposé par Henri Wallon. Ce dialogue où l’enfant et son accompagnant se répondent se voit enrichit de paramètres tels que le rythme du portage, les mimiques du visage, la musicalité de la voix et amène M.S. Bachollet et D. Marcelli, à parler de dialogue tonico-prosodico-mimo-émotionnel.
Au niveau de l’expression orale, les recherches de Priscilla Dunstan, nous renseigne sur les pleurs des bébés. L’Australienne, experte en parentalité, développe une théorie qui affirme que les vocalises réflexes du bébé sont des signaux. Elle crée une classification universelle des pleurs des nourrissons, correspondant à des besoins. Cette approche, révolutionnaire, place le bébé comme un véritable locuteur en herbe.
Le bébé possède également les neurones miroir : des outils redoutables pour initier l’échange avec autrui, et l’entretenir. Ces cellules s’activent par la simple action d’observer. Elles sont à la base de la compréhension d’autrui, de l’empathie et des mécanismes d’imitation, fort utiles notamment dans le processus d’apprentissage de la communication et du langage.

L’émergence de véritables canaux de communication   
Au fil des mois, le bébé affine ces outils de base. Avec son développement, ils deviennent ainsi de véritables canaux de communication au même titre que le langage oral. Le corps devient un moyen de plus en plus maitrisé pour communiquer. Son utilisation s’affine avec le développement psychomoteur de l’enfant et notamment avec sa maîtrise musculaire. Ainsi, l’enfant ajuste ses expressions faciales, affine ses mimiques. Il enrichit son « vocabulaire » gestuel pour être compris en complémentarité des pleurs qu’il produit pour se faire entendre et/ ou comprendre.
L’enfant apprend à pointer du doigt. Il tire sur le pantalon, la jupe de l’adulte pour attirer l’attention de la personne qui s’occupe de lui. Il imite peu à peu des gestes « sociaux » : aurevoir, bravo… Qu’il utilise à bon escient. D’autre part, si l’enfant enrichit son propre langage gestuel, il développe son attention pour la communication gestuelle de l’adulte qui l’accompagne. Il comprend alors les gestes d’autrui, et les attitudes auxquels il sait désormais donner valeur de langage : l’adulte qui lui tend les bras, celui qui secoue l’index en signe d’interdiction, le sourire qui encourage, les sourcils qui se soulèvent en interrogation… L’enfant est sensible à la voix, aux intonations, aux chuchotements et aux accélérations qui deviennent des messages.
La mise en place des signes associés à la parole, comme un canal de communication complémentaire, n’est plus à démontrer. Cette approche s’intègre en additionnel des acquisitions naturelles de l’enfant à échanger avec l’autre. Associer le geste à la parole, c’est offrir à l’enfant un canal de communication supplémentaire pour accéder au langage oral.

Des attitudes et expressions corporelles qui en disent long
Ces différents canaux de communication s’enrichissent d’une dimension supplémentaire grâce à l’apport de la psychologie éthologique et des mécanismes involontaires et physiologiques qui en découlent.

L’enfant utilise avec une grande sensibilité, des notions telles que :

•    L’espace  vital, intime, social utilisé pour interagir et échanger. La distance entre son corps et celui des autres est un indicateur supplémentaire dans les échanges. Accepte-t-il qu'on se rapproche de lui et que l'on entre dans son espace vital ou a-t-il besoin de s'éloigner de deux pas, chaque fois qu'on se rapproche de lui afin de maintenir une distance sociale.
•    Les positions de la tête : inclinaison en supplication/ demande, baissée en culpabilisation, tournée en évitement….
•    Les regards : « les yeux au plafond », « en coin » qui évitent et fuient…
•    La sudation, le rythme respiratoire, le rythme cardiaque… indiquant des états émotionnels 
•    La position du corps dans l’espace et son déplacement : de face, de face « avachi » sur une chaise, de profil en évitement, en mimétisme et symétrique de la position de l’interlocuteur…

Autant d’informations à valeur de communication et de langage bien connu des politiciens !

Canaux de communication : jamais les uns sans les autres
Les études récentes en neuro-éducation pointent l’importance de la complémentarité des canaux de communication, pour l’acquisition du langage oral. Le vocabulaire prend du sens pour le jeune enfant, grâce au corps qui se positionne, au regard qui interroge, aux bras qui s’ouvrent pour accueillir. Les professionnels de la petite enfance ne s’y trompent pas, quand ils cherchent à expliquer combien un interdit ne peut se poser avec un grand sourire sur le visage.
Les professionnels de la petite enfance savent encore s’appuyer sur des médiateurs variés tels que le mime, le jeu de rôle, le corps en mouvement, ou l’utilisation de matériel imagé. Nombreux sont ceux qui utilisent des images de visages pour soutenir l’enfant dans l’expression de ses émotions, lorsque le langage fait défaut. Ils savent jouer de leur voix pour accompagner une histoire :  tenir en haleine les enfants en jouant sur les ralentis et le rythme, mettre en jeu le corps, les mains, pour donner des indications de taille, de mouvements-déplacements des personnages. Les professionnels illustrent l’histoire avec leurs grimaces, leur corps, leur voix, et ceci participe indéniablement à la compréhension du message et à l’acquisition du langage oral.

Et dans les cas particuliers ?  
Il en est de même lorsque l’enfant évolue dans un environnement multilingue. Cette implication totale de la personne est primordiale. Les tonalités, et le comportement d’une personne évoluent d’une langue à l’autre, comme liés à des résonnances d’une culture, des réminiscences affectives associées à cette seconde langue. Ces paramètres seront analysés et utilisés par l’enfant, pour distinguer les langues, et l’aider à faire des choix d’utilisation selon les situations et son entourage.
La complémentarité des canaux de communication est essentielle pour l’acquisition du langage oral. Elle l’a été lors du port du masque imposé lors de la pandémie de la COVID-19, elle l’est également pour les enfants qui peinent à mettre en place une communication de manière naturelle. En effet, le pointage, ou encore l’association du signe à la parole et à l’image, sont des outils de rééducation orthophonique courants.

N’hésitons plus : Accompagnons nos phrases de visages expressifs, de corps engagés. Aidons les enfants à entrer dans la communication et le langage.
Article rédigé par : Catherine Lefèvre
Publié le 06 décembre 2022
Mis à jour le 17 janvier 2023