Du côté des parents : une deuxième co-naissance de leur bébé

Lors des entretiens avec les parents, à l'arrivée en crèche, on retrouve souvent deux discours. Vous avez les parents contents de retourner au travail pour des raisons différentes se sentant libérés avec l'entrée en crèche. Et ceux qui reprennent le travail mais auraient aimé prolonger le congé maternité mais ne le peuvent pas. L'arrivée en crèche fait émerger un autre discours plus sensible, plus intime que les parents délivrent au fur et à mesure de la période de l'adaptation. Ce discours en dit beaucoup sur la naissance et la rencontre avec leur bébé et révèle leur parentalité en construction.
La crèche, un univers souhaité mais un peu inquiétant
Pour une majorité de parents, obtenir une place en établissement accueillant des jeunes enfants (EAJE) est la quête du Graal. Depuis plusieurs années, les EAJE sont mis en avant pour le développement du bébé et les parents pensent donner de meilleures chances à leur progéniture en faisant ce choix. Lorsqu'on leur annonce cette « bonne » nouvelle, le parent imagine la crèche selon ses représentations, les récits d'amis, de la famille, des magazines et parfois selon la voix de la directrice qui lui a proposé une première rencontre.
Les premiers pas sont angoissants pour les jeunes parents. Lors d'une des visites, une maman a observé que tous les bébés étaient en larmes dans la section de sa fille mais elle n'en parlera pas. Pour un jeune papa, la crèche lui fait penser à un hôpital du fait des sur-chaussures, les tenues de l'équipe, les affiches sur les murs et ainsi que des gels hydro alcooliques. Les détails font émerger des craintes, voire des angoisses différentes selon les parents. La question sous-jacente est : « qui va s'occuper de mon bébé et comment ? »

La rencontre avec la référente de son bébé est toujours chargée d'émotion : joie ou déception. Cette émotion est la résonnance de détails anodins sans lien avec la capacité professionnelle : le son de la voix, la taille et même parfois l'âge. Nous rentrons dans l'intimité psychique du parent, c'est-à-dire, une personne lui fera penser inconsciemment à une autre personne. Ce sera une identification à la grand-mère - si la référente est âgée ou si la voix est grave ou forte - ou à la sorcière qui risque de faire peur... Peut-être n'est-elle pas douce ? Si la professionnelle a une attitude qui ne correspond pas à la famille (trop ou pas assez dynamique), les parents montreront des signes de méfiance, de défense.
Toutes les représentations sont associées à un affect qui colorera la relation entre la professionnelle et la famille au début de la rencontre. Mais, par chance, les accueils quotidiens feront évoluer les représentations des parents pour créer un lien parfois très fort lors du temps de crèche.

Des parents qui savent mais qui doutent et ont peur d’être jugés
Après la sortie de la maternité, il y a eu une première rencontre entre les parents et le bébé. Puis, une seconde rencontre révélera les connaissances apprises pendant les trois premiers mois sur leur bébé. Après des semaines à vivre et à s'occuper de leur nourrisson, les parents réalisent la somme de connaissances acquises sur lui : ce qu'il aime ou pas, sa position pour dormir, les signes de fatigue. Le parent découvre sa parentalité et a des convictions sur le bien-être de leur enfant.
Lorsque le recueil d'informations est assez ouvert et non sous forme de questions fermées, les parents livrent une véritable mine d'or sur leur enfant. Souvent, les connaissances des parents sont  teintées de doute. Ils évaluent leurs capacités parentales dans les interprétations qu'ils font concernant les questions et réponses des professionnels. Une jeune maman raconte en pleurant que lors de l'adaptation de ses deux filles jumelles, le personnel lui disait ce qu'elle devait faire pour ses filles sans se préoccuper de ses envies à elle et ses valeurs éducatives. Elle a eu le sentiment qu'on lui disait qu'elle ne savait pas y faire.

Le récit des trois premiers mois est parsemé d'expériences, de construction pédagogique avec les valeurs de la famille. Les professionnels ignorent parfois cette souffrance à trouver ses solutions en tant que parents quand le bébé a du mal à dormir ou à manger. Nous trouverons des rivalités entre le savoir du parent et de l'accueillante sur la manière de faire.
Souvent, le professionnel envisagera la solution du parent avec ce qui est fait dans la section ou par rapport aux « bonnes pratiques des professionnels ». Malheureusement, les parents n'ont pas ces connaissances de l'organisation de l'institution ou de diplôme mais ils estimeront connaître leur enfant mieux que personne. Dans cette situation, il ne sert à rien de lutter mais, dans un premier temps, mieux vaut accepter les conseils des parents. Une façon de renforcer la construction de la parentalité.

La période de l'adaptation est un point essentiel en confirmant aux parents qu'ils sont sur la bonne voie et qu'ils vous fournissent les informations pour travailler avec leur bébé. Puis, progressivement, le bébé s'adaptera au rythme de la crèche et vous serez dans un travail de coéducation avec la famille.

L'absence, le manque de leur bébé
Lors de l'adaptation, le parent redécouvre son enfant. A travers les regards des professionnels et par le biais aussi des comparaisons avec ses petits camarades et de son propre récit de ses habitudes de vie avec lui. Cette prise de conscience activera son lien d'attachement à son bébé. Les premiers temps de séparation avec le bébé indiqueront la place qu'il a pris dans la vie mais aussi dans les pensées des parents.
Une jeune maman a préféré faire le tour du quartier lors du premier temps seul à la crèche de son bébé. Elle avouera avoir entendu des enfants pleurer et elle imaginait que c'était son fils. Une autre évoque sa fuite de la section pour ne pas pleurer devant l'équipe. Une maman m'expliqua comment elle avait perdu la notion du temps lors de l'entrée de son fils à la crèche : « d'habitude, je fais à manger, je lui donne puis on fait la sieste et on sort mais là, j'ai rien à faire ! ».

Les parents sont sensibles car ils vivent autour du bébé avec un rythme de nourrisson. Ils dorment au rythme du bébé, mangent parfois des choses rapides car ils n'ont plus de temps. Dans les groupes de jeunes mamans, nous retrouvons régulièrement un thème : celui de la douche. Vous avez les mamans qui se lèvent tôt pour la prendre, d'autres la prennent à la sieste de 14 heures puis un petit groupe attend que le papa rentre du travail. Mais, vous avez aussi les mamans qui oublieront la douche ou d'autres détails de ce genre pendant les premiers mois du bébé.
Vous comprendrez aisément la charge émotionnelle de la première séparation où certains parents souhaiteront téléphoner pour prendre des nouvelles afin de garder encore un rythme pour penser à leur bébé : « je peux vous téléphoner après le repas ? ». Ces comportements ne sont en rien inquiétants. Ils montrent le changement de vie d'un couple à celui de parents mais il est aussi induit par le bébé qui est autant acteur dans l'attachement de ses parents qu'ils le sont dans le sien. L'enfant fait naître la parentalité.
Article rédigé par : Frédéric Groux, ancien EJE, psychologue de crèche
Publié le 26 septembre 2016
Mis à jour le 25 août 2017