L'adaptation vue par trois assistantes maternelles

Pour les assistantes maternelles, la rentrée de septembre est souvent synonyme d'accueil de nouveaux jeunes enfants. Cette période de transition qu’un nomme aujourd’hui davantage « familiarisation » qu’ « adaptation » est clé, elle pose les jalons d’une relation de confiance parents-pro et d’une séparation réussie. Trois assistantes maternelles nous racontent cette étape. 
 
Agathe Seube : « c’est le pro qui doit s’adapter à l’enfant, pas l’inverse »
Agathe Seube Richard est auxiliaire de puériculture et éducatrice de jeunes enfants. Pendant sept ans, elle a exercé dans différents EAJE. En 2021, elle a souhaité se tourner vers un mode d’accueil des enfants plus individualisé, à son domicile, en tant qu’assistante maternelle. Elle est aussi l’autrice de Mon carnet de bord d’assistant.e maternel.le, aux éditions Vuibert. 



« Je ne parle plus d’adaptation qui renvoie plutôt à un fonctionnement où l’enfant doit « s’adapter » à mon domicile comme nouvel environnement. J’estime que c’est au pro de se familiariser avec l’enfant, ses besoins, ses habitudes, dans la limite des possibilités organisationnelles. Au cours de mon expérience professionnelle, j’ai observé deux types de familiarisation. Celle qui m’a le plus convaincue, c’est la familiarisation sans séparation. L’enfant reste un temps donné, par exemple une heure dans la journée, chez le professionnel, avec son parent pendant plusieurs jours. La véritable séparation arrive une semaine plus tard. J’ai constaté que les enfants étaient sereins parce qu’ils avaient eu suffisamment de repères sur une semaine, tous les jours, il y avait quelque chose de très convivial. De plus le fait que le parent puisse observer notre façon de travailler était souvent une mise en confiance, valorisant également nos professions ».

En structure d'accueil, j’ai expérimenté une adaptation progressive et je trouve qu’on ressentait plus cet arrachement, même si cela fonctionnait aussi très bien. Quand je suis devenue assistante maternelle, j’ai décidé de mixer un peu ces deux approches.

Concrètement, avant l’accueil de l’enfant, un rendez-vous administratif a lieu afin de faire connaissance avec les potentiels futurs parents-employeurs.  Ce premier contact ne constitue pas le début de la « familiarisation », mais peut aboutir à un engagement réciproque. Le premier jour d’accueil de l’enfant même en présence de son parent (et sans séparation) corresponds à la signature du contrat, et par conséquent, le début de la familiarisation. Celle-ci se déroule généralement sur une durée minimum de 5 jours, et peut être prolongée en fonction des besoins de chaque enfant.

Le premier jour, je privilégie un temps d'accueil sans les autres enfants, puis un second sans séparation durant lequel l’enfant est en « condition d’accueil » c’est à dire, avec les autres enfants. Puis, en fonction de mes observations, mais aussi des besoins de chaque enfant et en concertation avec ses parents, je propose un premier accueil de leur enfant seul le deuxième jour.  La durée de la séparation s’allonge très progressivement : 20 minutes la première fois, 45 minutes, puis avec un temps de repas ou goûter, jusqu’au moment où je sens que le bébé est prêt à entamer des petites journées. Je ne fais pas de distinction selon que l’enfant a 6 ou 18 mois, chacun a besoin d’être sécurisé affectivement, même s'il y aura beaucoup plus de maternage et notamment de portage chez les tout-petits.

Très important, je demande aux parents un objet transitionnel. C’est l’enfant qui décide s’il en a besoin ou pas, et ce n’est pas forcément un doudou. Mes maîtres mots sont l’adaptation et la souplesse, aucune familiarisation ne se ressemble. Dès les premiers jours, je m’applique à créer des repères structurants pour permettre à l’enfant d’identifier les moments de la journée. J’ai pour habitude de créer un groupe de discussion avec les parents et de leur donner des nouvelles de leur petit chaque jour au moment de la sieste. Il m’est arrivé de faire des accueils de remplacement. Dans ce cas, la familiarisation est éclair car les parents sont dans l’urgence. On se rencontre en fin de journée et le lendemain j'accueille leur enfant. Ce sont les parents qui décident s'ils veulent ou non faire une période de familiarisation, mais souvent elle n’a pas lieu et l'accueil se déroule toujours très bien. Je suis assez impressionnée par la capacité d’adaptation des enfants. J’ai parfois l’impression que les parents sont tellement soulagés et heureux d’avoir trouvé une solution, que toute cette positivité rejaillit sur l’enfant. » 

Véronique Luypaert : « le tout-petit vit deux adaptations, une à mon domicile et l’autre à la crèche familiale »
Véronique Luypaert est assistante maternelle en crèche familiale et co-fondatrice du Collectif National des assistantes maternelles en crèche familiale. « En crèche familiale, l’adaptation se passe la première semaine au domicile de l’assistante maternelle. Mais en réalité, elle démarre avant, dès la rencontre avec les parents. J’insiste pour que les deux soient présents, même si je dois adapter mon emploi du temps, les recevoir le soir, ce n’est pas grave. Il est fondamental que je comprenne leurs attentes. L’adaptation est à double sens, la professionnelle aussi doit se familiariser avec la famille. Chaque cas est unique. J’ai souvent des fratries, l’adaptation du deuxième enfant est bien plus rapide car l’enfant connaît le lieu et le lien de confiance est créé entre l’assistante maternelle et le parent.

Le plus souvent, on conseille 1h le premier jour, sans séparation, le matin entre 9h et 10h, par exemple. L’enfant rencontre ses petits camarades, le parent observe, comprend que la dynamique de groupe est importante et que leur tout-petit devra se sociabiliser. Dès lors que le parent est sécurisé, lâche prise d’une certaine manière, on sent que l’enfant souffle. Le deuxième jour, le parent laisse l’enfant 30 minutes et on augmente comme ça au fur et à mesure de la semaine. Le 3ème jour, il prend son premier repas. En tant qu’assistante maternelle en crèche familiale, je passe deux matinées par semaine en crèche. J’attends que le nouvel arrivant soit vraiment bien à l’aise avant d’y retourner car il ne peut pas s’acclimater à deux environnements nouveaux tout de suite. Sur place, au départ, il ne voit que sa référente, elle est sa boussole, son phare. Dans un second temps, il pourra rencontrer la directrice et l’EJE. Pour être sincère, je n’ai pas de souvenirs d’adaptation vraiment difficile, à part une petite fille en début de carrière qui a littéralement pleuré pendant presque trois mois. Je me souviens avoir demandé de l’aide, c’est à ce moment-là que j'ai rejoint une crèche familiale, pour le soutien justement. Je crois beaucoup aux jeux simples pour accompagner l’enfant dans cette période de transition. Le coucou-caché, par exemple, qui permet de faire l’expérience de la permanence de l’objet, est un excellent outil pour faciliter la séparation. “je ne te vois pas, mais je sais que tu es là”. »

Jessica Bogaerts : « le doudou de chez l’ass’mat »

Jessica est assistante maternelle depuis 15 ans. Elle exerce à son domicile avec son mari Philippe, également assistant maternel. 
« Ma situation est un peu particulière, mon mari est aussi assistant maternel, il accueille 4 enfants et il lui arrive aussi de m’aider avec les miens. Les parents sont informés qu’il y a un deuxième professionnel qui peut être amené à s’occuper de leur enfant. Même si cela reste moi la référente, quand je rencontre les parents, Philippe est toujours là, d’ailleurs les enfants l’adorent. L’adaptation se déroule en général sur une semaine et repose sur un fonctionnement classique. Le premier jour, les parents restent avec leur enfant tout le temps, le deuxième, ils le laissent 1 ou 2h, le lendemain, la matinée, par exemple de 9h à 12h30, et ainsi de suite jusqu’au vendredi où on allonge la journée encore un peu plus jusqu’à 16h. Je n’ai jamais vraiment rencontré de difficulté, si on est à l’écoute, les premiers liens se créent facilement.

Cette année, j’ai accueilli des jumeaux très différents. J’ai pris le temps nécessaire pour bien comprendre leurs besoins, leurs habitudes et les respecter. Évidemment, il peut arriver que certains enfants pleurent au moment de la séparation. En général, cela cesse vite, j’envoie alors une photo aux parents pour leur montrer que tout va bien, c’est très rassurant pour eux. Durant la semaine d’adaptation, je fais visiter la maison aux parents, je les laisse observer, poser toutes les questions. Nous avons plusieurs espaces de jeux, de sommeil, pas de télévision, un espace dédié à l'accueil le matin. Ils sont heureux de voir que tout est adapté pour répondre aux besoins de leur tout-petit. Comme je rencontre les parents en général assez tôt, pendant la grossesse de la mère, j’ai un petit rituel. J’offre un doudou à la naissance, et je dis aux parents de le garder avec eux pour qu’il prenne leur odeur. Ensuite, l’enfant vient avec ce doudou à mon domicile, généralement il l’adopte vite et le garde ici, c’est le doudou de chez l’ass’mat’.»
 
Article rédigé par : Candice Satara
Publié le 05 septembre 2024
Mis à jour le 12 septembre 2024