« Arrêtez de courir, vous allez vous faire mal »

Nathalie, une professionnelle du groupe des 1-2 ans, vient de préparer un atelier patouille dans une autre salle et invite quatre enfants à venir y participer dont Nathan, 16 mois. Un long couloir sépare les deux salles. Nathalie regroupe les enfants devant la porte avant de sortir et leur rappelle qu’il est interdit de courir dans le couloir. Dès que la porte s’ouvre, Nathan se met à courir, rapidement suivi par les trois autres enfants. Face à cette transgression quasi immédiate, Nathalie leur somme de s’arrêter : ils vont finir par se faire mal !
Du point de vue de Nathan, 16 mois : l’appel du couloir !
Nathalie a été très claire : interdiction de courir ! Mais pourquoi Nathan n’a-t-il pas écouté ?
Il cherche à la tester ? Il ne l’aime pas et ses paroles sont insignifiantes ? Non, ce ne sont là que des représentations d’adulte. La raison est plus simple : c’est la vue du couloir qui a généré son envie d’explorer… et à cet âge, difficile de résister, même pour faire plaisir à l’adulte.
Depuis maintenant une trentaine d’année, de nombreuses recherches sur le développement moteur mettent en avant l’idée que la perception d’un objet ou la caractéristique d’un espace va guider nos actions pour l’explorer. Face à ce long couloir, tel une piste de course pour un athlète, Nathan s’engouffre dedans sans pouvoir résister. Il doit le découvrir, aller au bout de ce dernier pour appréhender sa longueur, son volume…
Mais pourquoi courir me direz-vous ? Il s’agit là d’une raison purement physique liée aux proportions de sa tête : plus l’enfant est jeune, plus sa tête est grosse ! A cet âge, elle représente le cinquième de son corps, contre le septième à l’âge adulte. Debout, cette spécificité va le déséquilibrer et il devra bouger, voir courir pour retrouver sa stabilité. Une fois assis sur un vélo, nous savons tous qu’il est nécessaire de pédaler pour ne pas tomber. L’enfant le ressent aussi et s’adapte à la situation.

Du point de vue du groupe d’enfants : l’imitation motrice plus forte que la consigne
L’appel du couloir est reçu par tous, pas seulement Nathan, mais un deuxième élément va l’accentuer : l’imitation motrice. Quand Nathan démarre, les cerveaux de ces trois comparses sont immédiatement attirés par son déplacement, sa vitesse… Son mouvement va les attirer et grâce aux neurones miroirs, ils vont être incités à faire la même chose que lui. Ce mécanisme joue un rôle très important dans les apprentissages sociaux : faire la même chose, c’est s’envoyer le signal que l’on peut jouer ensemble ! C’est ainsi que les premières affinités en crèche vont pouvoir se créer. Les consignes de Nathalie sont déjà de l’histoire ancienne, les actions présentes de Nathan ont pris l’avantage dans ces jeunes cerveaux !

Du point de vue de Nathalie, la professionnelle : faire respecter la consigne pour que les enfants ne se blessent pas
Prendre en compte ce besoin moteur n’est pas toujours facile au quotidien. Le rôle premier d’un professionnel de la Petite Enfance est de protéger l’enfant : le rendre entier tous les soirs aux parents, c’est toujours mieux ! Nous avons tous en tête des histoires de blessures d’enfants, vécues ou racontées par nos collègues qui se propagent comme des « légendes urbaines » ! Marquées par ces dernières, notre regard sur les expériences motrices des enfants change. Eh oui, contre toute attente, nous ne regardons pas avec nos yeux, mais avec notre cerveau. Chaque perception est analysée et triée par notre cerveau en permanence en fonction de notre expérience et nos représentations !  Nathalie sait que vers seize mois, l’acquisition de la marche d’un enfant est en pleine construction et que des chutes sont fréquentes. Quatre enfants dans un même couloir, les probabilités de chutes ou de collisions augmentent, ça va forcément mal finir ! Son regard va dès lors chercher les causes probables de chutes au lieu de générer confiance et sécurité pour le groupe d’enfants. Ils sont alors pris dans un épineux problème : emportés dans leur élan en recherche d’équilibre et en même temps, cherchant le regard de l’adulte qui se trouve derrière eux… en effet, ça ne peut que mal finir quand on n’est pas à ce que l’on fait ! L’important pour Nathalie est d’ajuster sa posture : sont-ils vraiment en danger lorsqu’ils courent pour traverser le couloir ? Il ne s’agit pas de les laisser faire n’importe quoi et de les laisser dans une excitation motrice gratuite. Chaque enfant doit apprendre à maîtriser ses mouvements et comprendre ses ressentis corporels, à mieux gérer l’élan pour pouvoir le contrôler et le tout sous le regard protecteur de l’adulte. Même si l’objectif de Nathalie est de se déplacer vers la salle de patouille, le couloir est déjà un lieu de découverte pour l’enfant. En s’assurant au préalable qu’il ne comporte pas d’obstacles, elle peut les laisser courir et les accompagner par le regard, un sourire ou une course main dans la main avec le moins stable de tous !

Du point de vue de la pratique :  l'enfant apprend en bougeant
La motricité est l’outil indispensable avec lequel un jeune enfant découvre le monde. Il a besoin d’explorer sans cesse et vivre des expériences corporelles multiples pour traiter les informations sensorielles qu’il reçoit. Chaque moment du quotidien offre des possibilités motrices que nous devons encourager et non contraindre par des horaires « atelier moteur de 10h à 10h30 » ou des interdits « ne court pas », « calme toi » posés que pour nous rassurer en tant qu’adulte. Pour l’enfant, bouger : c’est apprendre, alors permettons lui de le faire !
Article rédigé par : Johanna HIRT, Formatrice et Consultante Petite Enfance, planète Péda
Publié le 29 janvier 2019
Mis à jour le 25 février 2019