Pédagogie Montessori : l’apprentissage de la liberté

L’approche montessorienne porte en elle même la notion d’ouverture. Loin des méthodes figées, sûres d’elles et définitivement gravées dans le marbre, cette pédagogie en constante évolution repose avant tout sur l’observation des petits et ce qu’ils ont à révéler.
À l’instar d’un Sigmund Freud pour la psychanalyse, Maria Montessori, femme médecin italienne du 19e siècle, a écrit les textes fondateurs d’une pédagogie qui continue d’être questionnée, appliquée et pensée à travers le monde. Les termes « textes fondateurs » sont ici utilisés à leur juste valeur parce qu’ils représentent une partie fondamentale du patrimoine de la littérature éducative, une source où puisent, encore aujourd’hui, parents et professionnels de l’enfance. Car l’oeuvre de Maria Montessori demeure d’une acuité intacte, les recherches les plus récentes le confirment. Sa réflexion ne se base pas sur de simples intuitions issues du néant. Elle est le fruit de l’observation rigoureuse et sensible d’une scientifique engagée dans son époque, d’une militante de la cause des femmes, également proche des plus fragiles et des plus démunis. 

Aussi, même si l’approche montessorienne rencontre encore quelques rares détracteurs la jugeant trop permissive, trop libre, même si elle ne s’applique pas de façon commune, pour des raisons économiques, dans tous les pays, la philosophie essentielle est entendue par la très grande majorité des professionnels de l’enfance, y compris dans des éta-blissements qui ne se revendiquent pas du courant strictement montessorien : favoriser l’autonomie du petit, son rythme propre, sa confiance en lui.

À la hauteur des petits
Plutôt que d’envisager l’éducation des petits selon des théories abstraites préétablies, Maria Montessori préfère se mettre à leur hauteur, tenter d’appréhender leur univers, leur relation au monde, leur esprit si particulier qu’il ressemble à une énigme pour les adultes que nous sommes. C’est de ce regard quotidien et bienveillant sur le comportement des plus jeunes que la pédagogue a déduit sa pensée. Sa foi chrétienne lui a souvent fait emprunter un vocabulaire religieux. Pour autant, elle ne s’est jamais laissée contraindre par aucun dogme. Elle perçoit le nouveau-né comme un « embryon spirituel » et l’éducation comme le moyen d’assurer à l’adulte en devenir son plein développement, une «genèse» qui l’aidera à approcher du mieux possible son être intime et à révéler ses potentialités. « L’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une source que l’on laisse jaillir ».
Dès lors, l’éducateur et l’ensemble des disciples de Maria Montessori, qu’ils soient parents ou professionnels, sont appelés à se placer non pas en détenteurs de savoir absolu, mais eux aussi en observateurs discrets des petits qui leur sont confiés. Il n’y a pas de temps imparti pour mener un exercice, c’est le rythme de chacun en fonction du moment de la journée ou de l’occupation choisie qui prévaut. L’appropriation d’un concept passe par l’expérience et celle-ci est le plus souvent appréhendée par la manipulation et les sens. Un matériel adapté permet d’enrichir les connaissances que ce soit le poids, le nombre, le volume, le relief ou les proportions. 

En laissant un maximum d’initiatives aux enfants, en les incitant à se concentrer sur une activité, en leur donnant la possibilité de s’auto corriger, le but est d’encourager leur autonomie et la prise de conscience de leurs capacités. Bien sûr, si un petit demande l’appui d’un adulte, celui-ci se doit d’intervenir. Mais sans jamais oublier qu’il est là pour aider le plus jeune à faire seul. Après lui avoir « présenté » un nouvel objet en lui montrant avec solennité comment l’utiliser, il est essentiel qu’il se tienne en retrait. De là jaillit plus sûre-ment l’intérêt du petit, avec souvent le besoin de répéter des dizaines de fois le même geste pour prendre confiance en lui, ou au contraire l’envie de se poser des défis, d’explorer plus avant et de se dépasser.

L’esprit absorbant
En laissant ainsi les facultés libres de se déployer, elles se révèlent stupéfiantes. Car l’enfant est doué de ce que Maria Montessori appelle «l’esprit absorbant », c’est-à-dire une éponge aux capacités d’assimilation extraordinaires. Odeurs, bruits, images, sensations, le petit s’imprègne de tout… Quand nous, adultes, souhaitons, par exemple, nous lancer dans l’apprentissage d’une nouvelle langue, nous constatons la difficulté et les efforts demandés : en termes de mémoire, de concentration… Aucun d’entre nous n’atteint jamais le niveau que nos très jeunes enfants développent dans la maîtrise du langage du milieu dans lequel ils vivent. Il en est de même pour tous leurs apprentissages : de la construction de leur identité à leur relation aux autres, en passant par les activités du quotidien (se nourrir, se déplacer, se laver, se vêtir). Leurs aptitudes naturelles pour s’adapter à un monde qui leur était jusqu’ici complétement étranger s’avèrent inégalables pour nous, aînés, usés par les habitudes. Dès sa naissance, le bébé engrange un savoir. Son psychisme puise en permanence des découvertes dans l’environnement, en éprouvant un véritable plaisir. Son allégresse est d’ailleurs communicative. Il suffit de regarder nos airs béats devant l’enthousiasme débordant qu’il exprime face à tout ce qui l’entoure. Il faut donc encourager son ardeur, ses efforts, ses tentatives de  contact assidu avec la réalité, ses mouvements, ses pas désordonnés, ses mains curieuses s’emparer de ce qui les intrigue.  Y compris la vaisselle, la vraie, les bibelots fragiles, et tant pis si ils cassent, dès lors qu’il ne se met pas lui-même en danger. C’est ainsi qu’il bâtit ses expériences, tire des leçons, se responsabilise et devient de plus en plus précautionneux et habile. 

Selon Maria Montessori, cette première période active de l’esprit absorbant s’étend de la naissance à trois ans : la phase «informative ». La seconde période , de trois à six ans, se focalise plus sur les impressions et les relations interpersonnelles qui vont enrichir les acquisitions du stade précédent. Cette deuxième étape se révèle plus consciente et intentionnelle. L’enfant commence à affirmer son identité, à faire des choix. Le Docteur Montessori décrit ces six premières années comme « la période la plus importante de la vie » : « C’est le moment où le plus grand instrument de l’homme, l’intelligence, se forme. Non seulement son intelligence ; mais toutes ses capacités psychiques… A aucun autre âge, l’enfant n’a de plus grand besoin d’une aide intelligente, et n’importe quel obstacle qui empêche son travail créatif diminuera la chance qu’il a d’atteindre la perfection »

Périodes sensibles
Pour donner toutes ses chances à l’être en formation de se révéler pleinement, l’éducateur montessorien observe scrupuleusement les actes et les réactions des enfants dont il s’occupe. Car chacun d’entre eux est appelé à traverser, à des moments précis, ce que la pédagogue désigne comme les « périodes sensibles ».Il s’agit là d’étapes cruciales et passagères où les petits développent une sensibilité accrue pour quelque chose et des dispositions spécifiques. Si ces périodes sont repérées à temps, quand elles apparaissent, et que la soif d’action et de connaissance du petit est satisfaite, ses acquis se font naturellement et sans effort. En revanche, si l’enfant n’est pas encouragé au bon moment à déployer ses aptitudes, il progressera avec plus de difficultés par la suite. 

Ainsi Maria Montessori évoque-t-elle plusieurs périodes sensibles au cours de la prime enfance : celle du mouvement, celle du langage, celle de l’ordre, celle des petits objets, celle du raffinement des perceptions sensorielles ou encore celle du développement so-cial. À charge pour les professionnels d’assurer l’environnement propiceà l’émergence de ces bourgeons pleins de promesses. Espace clair, harmonieux, calme, participent en cela à la concentration des petits. Mais plutôt que d’imposer silence ou rangement en haussant le ton, les adultes montrent l’exemple : ils baissent d’eux même leur propre voix, ne proposent pas simultanément plusieurs activités , tout en laissant les enfants libres de se déplacer et de s’exprimer dès lors qu’ils ne perturbent pas les autres. Et comme par magie, l’autodiscipline s’instaure, chacun trouvant peu à peu son tempo en se mettant au diapason de tous.
Article rédigé par : Marie-Sophie Bazin
Publié le 16 février 2016
Mis à jour le 19 décembre 2017