Egalicrèche  : un programme expérimenté dans six EAJE de Toulouse

Depuis 2013, l’association de sociologues du genre Artémisia développe un ambitieux programme de recherche-action dans plusieurs crèches de l’agglomération de la Ville rose. Objectif : mettre le doigt sur les comportements des professionnels différenciant inconsciemment filles et garçons dans la prise en charge, et proposer des alternatives.
Des petites filles qui s’amusent sur des mini motos ou qui jouent au garage, pendant que les garçons jouent sagement à la poupée ou à la dînette ? Ce paysage quasi-surréaliste, c’est à l’association Artémisia qu’on le doit. Cette émanation des diplômés d’un master professionnel en sociologie, spécialité « genre, égalité et politiques sociales », de l’université Toulouse Jean-Jaurès, créée en 1998, est aujourd’hui organisme de formation agréé et bureau d’études spécialisé dans la promotion de l’égalité hommes-femmes. « Notre particularité ? Faire le lien entre la recherche académique et le terrain professionnel, en formant sur le terrain, divers professionnels, notamment de la petite enfance, qui dans leur pratique peuvent inconsciemment se comporter différemment selon qu’ils s’adressent à un garçon ou à une fille, à un homme ou à une femme », explique Sophie Collard, sociologue et coordinatrice de l’association.

Six crèches pilotes
Le credo d’Artémisia : pour agir contre les inégalités d’aujourd’hui, il faut lutter contre les stéréotypes depuis le plus jeune âge. « Les stéréotypes sont de micro gestes répétitifs invisibles, inconscients pour les acteurs de terrain, qui ne se révèlent que par un regard extérieur », pointe Sophie Collard. C’est ainsi qu’est née l’idée du programme « Egalicrèche : filles et garçons sur le chemin de l'égalité », en 2013. Le programme est monté grâce au soutien de différents partenaires, dont la mairie de Toulouse, la région Midi-Pyrénées, le Conseil départemental et la Caisse d’allocations familiales de Haute-Garonne. Il est progressivement déployé sur six crèches pilotes, de statuts et de secteurs géographiques différents : une dans un quartier plutôt défavorisé, l’autre en zone urbaine, une crèche associative en zone rurale, une autre en zone périurbaine, une crèche interentreprises, une micro-crèche.
Un diagnostic adapté et ciblé est établi pour chaque structure. Après avoir présenté le projet aux équipes, des binômes d’Artémisia se lancent dans 40 heures d’observation par structure, à différents moments de la vie de la crèche (arrivée et départ de l’enfant, temps de repas, d’activités, de soins, de change…) . Sont ainsi passées au crible 8 000 interactions par crèche : tous les échanges, verbaux ou non verbaux, entre les enfants eux-mêmes, entre les adultes et les enfants et entre professionnels et parents.

Les garçons davantage encouragés à se dépasser
L’analyse des données recueillies fait l’effet d’un coup de tonnerre au sein des équipes. Pas moins de 60% des échanges verbaux avec les enfants sont en direction des garçons, qui sont aussi 70 % des réprimandés. Ce sont aussi eux qui, à 90 %, occupent l’espace physique et sonore. Généralement les filles reçoivent plus de câlins que les garçons (65 %) et attirent 80 % des compliments. A contrario, 70 % des enfants encouragés à dépasser leurs limites physiques sont des garçons. Le temps de change est en moyenne deux fois plus long pour ces derniers que pour leurs camarades du « sexe faible », ces derniers étant davantage encouragés à se débrouiller seuls. Par contre, le temps de transmission des informations aux pères est deux fois moins long que pour les mères… « Plus la crèche est petite, moins on note de différences, notamment dans les surnoms sexués donnés aux enfants (« ma belle », « ma princesse », « mon costaud », « mon roi… »), la proximité permettant une personnalisation de la prise en charge en-dehors du sexe », tempère Sophie Collard.

Ateliers de mise en pratique
La phase « action » passe par la mise en place, sur deux ou trois mois, d’ateliers de mise en pratique. « Nous avons travaillé sur 5 grands thèmes principaux : les activités et jeux proposés aux enfants, la communication avec les enfants, la communication avec les familles, l’aménagement de l’espace et la littérature de jeunesse », expose Sophie Collard. La logique est celle de la co-construction avec les équipes.
Sur l’aménagement de l’espace : un « espace centre-ville », mélangeant les jouets « filles » et « garçons » a été installé, en lieu et place du « coin rose » avec poupées et dinettes et du « coin bleu » avec garage et bricolage… Le vocabulaire lui-même a été modifié, vers des termes moins genrés : « restaurant » au lieu de « dînette », « marché » au lieu de « marchande », « crèche » au lieu de « poupon »... En parallèle, les professionnels incitent davantage les enfants à circuler dans l’espace. Côté communication avec les parents, l’étude ayant mis en évidence la difficulté des pères à entrer dans la crèche, la borne d’accueil a été déplacée au milieu des locaux pour les obliger à s’avancer. Dans la crèche associative, un atelier cuisine a été mis en place pour les enfants… et les pères uniquement. Côté activités, des jouets dits de l’autre sexe ont été proposés à des groupes d’enfants, en intérieur comme en extérieur. « En non mixité, cela marche très bien, les filles se sentent plus à l’aise entre elles pour investir ces jeux, et les garçons découvrent avec ravissement les jeux d’entraide et de déguisements ! », sourit Sophie Collard. Tandis que les livres lus aux petits étaient soigneusement sélectionnés pour leur absence de stéréotypes sexués.

D’autres structures à venir
Artémisia a travaillé en partenariat avec un laboratoire de psychologie et de sociologie, qui a analysé l’impact du programme sur les équipes. « Au final, le bilan de l’expérience est très positif, se félicite Sophie Collard. Les professionnels ont fait montre d’une réelle prise de conscience de la question, avec à la clé un véritable changement de pratiques et un renforcement de la cohésion d’équipe. » Chaque crèche participante, certifiée « Egalicrèche », intègre désormais le programme dans son projet pédagogique, avec notamment la mise en place der soirées débats avec les familles. Le projet se poursuit sur d’autres structures de la région toulousaine, tandis que son pendant à la maternelle, Egalécole, est en phase de développement. Les résultats détaillés de l’expérience devraient être publiés en 2017.

 
Article rédigé par : Catherine Piraud-Rouet
Publié le 12 novembre 2016
Mis à jour le 12 novembre 2016