Observation des enfants : et si vous changiez votre regard ?

Vous regardez tous les jours les enfants dont vous vous occupez. Mais les observez-vous vraiment ? Accordez-vous à chacun le même temps d’attention ? Rien n’est moins sûr. C’est à partir de ce constat qu’Anne-Marie Fontaine, chercheuse et formatrice dans le secteur de la petite enfance a mis en place une méthode qui change votre regard : l’observation-projet.
Votre cerveau oscille entre attention et vigilance
En tant que professionnels de la petite enfance, vous veillez sur chaque enfant. Mais « veiller » ne signifie pas « tout regarder en détail ». « Au cours de la journée, on utilise deux types d’attention, explique Anne-Marie Fontaine, la vigilance et l’attention ». Votre cerveau fonctionne un peu comme un radar qui passe sur tous les enfants en permanence. C’est la vigilance, le rayon infrarouge qui balaye la salle. Mais si un enfant pleure, crie, rit, voilà votre attention qui se focalise, comme le bip du radar qui sonne. Votre regard se pose alors spontanément sur cet enfant, pendant quelques minutes : vous n’êtes plus dans la vigilance générale, mais dans l’attention individuelle qui fait comme un « zoom ». Comme le disent tous les professionnels, certains enfants attirent plus l’attention que d’autres. Et si vous faites le bilan à la fin de la journée, vous vous rendez vite compte que celui qui n’a pas sollicité le professionnel a reçu moins d’attention que les autres. Ce qui se traduit souvent par une transmission aux parents du type « Arthur a passé une bonne journée ». Il n’a pas pleuré, il n’a pas attiré l’attention, il a peut-être bien joué, peut-être pas… Il serait en tout cas intéressant d’avoir autre chose à raconter aux parents. Et pour cela, Anne-Marie Fontaine a la solution. Sortir de votre attention « en pilotage automatique » pour aller vers une observation voulue, une « observation-projet » comme elle la dénomme.

L’observation-projet pour vraiment observer
Anne-Marie Fontaine est partie du constat suivant : des observations « zoom », les pros en font plein chaque jour (un bébé qui pleure, un enfant qui tombe, un autre qui pousse…) Mais elles sont très courtes (à peine quelques minutes). De plus, vous ne choisissez ni ce que vous voulez observer, ni la durée de l’observation. Consciente des limites de l’observation spontanée, elle a mis au point « l’observation-projet ». C’est une observation professionnelle avec un avant et un après : un avant pour se donner un objectif (que voulez-vous observer ?), un après pour analyser ce qu'on a observé.
Comment vous y prendre ? C’est très simple : vous allez fabriquer un outil d’observation avec une feuille et un stylo, qui part de questions.


Prénom                               Observation du jeu  spontané             Date                  Heure observation

Avec quoi ?                                 Quelles actions  fait-il ?                            Quel est son intérêt ? Que teste-t-il, expérimente-t-il ?
Seul ? Avec qui ?
Joue où ?                                                                                                       (à remplir après l'observation)

Et vous décidez de réellement regarder tel enfant pendant 5 minutes dans la journée. Vous allez alors noter ce qu’il fait pendant ce laps de temps. Mais attention ! « Le mot « jouer » est interdit » prévient Anne-Marie Fontaine. « Notez les actions. Forcez-vous à employer des verbes », détaille t-elle. Vous aurez alors ainsi plusieurs petites séquences, qui formeront un film dans votre tête et vous aideront à vous remémorer ces moments lors des transmissions ou de l’analyse. « Quand on dit : « il a joué aux Lego », on ne voit rien » commente la chercheuse. « Mais quand on dit : il a construit une tour et alterné les formes et les couleurs, c’est autre chose » poursuit-elle. De la même façon, lorsque vous observez un enfant jouer avec des voitures, notez ce qu’il fait vraiment : il la fait rouler, tourner, rentrer dans une boite, il la jette par terre… Vous aurez ainsi votre petit film bien ficelé !

Changer votre regard et vous étonner
Après la phase d’observation, vient la phase d’analyse. « Il est important de faire assez rapidement le bilan de ce que vous avez observé pour éviter de perdre votre motivation », conseille Anne-Marie Fontaine. L’idéal est d’observer une semaine des enfants et de faire le point la semaine qui suit lors d’une réunion d’équipe.
Vous allez alors vous dire « c’est incroyable tout ce que cet enfant fait en 5 minutes ! » témoigne Anne-Marie Fontaine. Vous allez vous étonner ! Le petit qui ne vous sollicite jamais réalise finalement un nombre de choses incroyable ! Vous allez être épaté par les capacités des enfants et vous allez davantage les comprendre. Certains auront eu de nombreux centres d’intérêt pendant ces 5 minutes ; d’autres à l’inverse seront restés très concentrés sur une activité. Regardez combien d’action il y a eu, celles qui reviennent beaucoup, celles qui sont importantes… « Tout le développement du cerveau de l’enfant se voit à travers ses actions », commente la chercheuse. Vous pourrez ainsi savoir précisément où chacun en est dans son développement. Et pourrez également repérer les enfants qui ne jouent pas, qui ne font qu’observer… A vous alors de noter ce qu’ils observent, et de comprendre qu’ils sont peut-être stressés, timides, impressionnés par un camarade…
Grâce à cette observation-projet, vous allez pouvoir aider les petits en difficulté en les amenant vers la dinette qu’ils regardaient tant sans trop oser s’en approcher. Et les rassurer en restant à leurs côtés. Cette attitude va incroyablement aider l’enfant dans son développement et ce de manière fine puisque vous partez de lui, de sa façon de réagir. Vous pourrez ainsi soutenir le développement de chacun en leur apportant une réponse personnalisée. Léo aime empiler ? Vous lui sortirez plus spontanément les Duplo par exemple.
Anne-Marie Fontaine ne peut s’empêcher de relater un exemple frappant : « Une équipe encadrait des moyens qui bougeaient, couraient partout en transportant un tas de choses. Les pros étaient épuisées. Puis, elles ont mis en place l’observation-projet et elles ont compris que tous ces déplacements étaient faits dans un but précis, suivaient une logique. Et au lieu de se focaliser sur le bazar laissé, elles ont vu et compris ce qu’ils faisaient. En changeant leur regard sur ces enfants, tout a changé dans la structure. Elles les laissent transporter toutes leurs petites affaires, elles ont cessé de se focaliser sur le désordre, ont arrêté de répéter « non » à longueur de journée. Elles ont établi un temps de rangement ensemble, après leurs déambulations. Et tout est devenu plus zen. » Un exemple qui fait réfléchir…

L’observation-projet, ça s’organise !
L’observation-projet est un outil formidable pour les professionnels comme pour les enfants. Mais c’est avant tout un projet d’équipe ! Et ça s’organise. Pour la mettre en place, parlez-en entre vous, préparez les feuilles d’observation ensemble. Certaines équipes préparent un classeur  avec 2 feuilles d’observation prévues pour chaque enfant  et décident que chaque enfant aura 2 « zooms » de 5 minutes faits par deux professionnelles différentes. Elles décident des enfants qui seront observés en premier (par exemple ceux qui passent le plus inaperçus), se répartissent les enfants à observer et se donnent un délai raisonnable (une semaine, deux maximum).  Les enfants seront observés pendant les jeux libres pour observer ce qu’ils font spontanément.  Quand chaque enfant a ses deux zooms, l’équipe se réunit pour faire le bilan de son expérience d’observation.
Cette observation-projet peut avoir lieu tous les trimestres par exemple. Mais en réalité, après avoir observé 5 ou 6 enfants, votre œil de professionnel va changer. Vous allez regarder et accompagner autrement les enfants dont vous vous occupez. Et vous allez contribuer davantage à leur développement et leur bien-être. Vous ne direz plus « super, tu as joué aux Lego, on range maintenant », vous direz plutôt « C’est magnifique cette tour que tu as construite avec toutes ces couleurs »… Car vous aurez appris à observer d’une toute autre manière. L’enfant verra alors que votre regard a suivi son projet. C’est un peu comme si vous lui disiez « je te regarde vraiment ». « Et tout le monde a besoin d’être réellement regardé pour progresser », conclut Anne-Marie Fontaine.


Anne-Marie Fontaine est auteure de deux livres sur le sujet :
• L’observation professionnelle des jeunes enfants, un travail d’équipe
• Assistantes maternelles. L’observation, outil indispensable
(Ed Philippe Duval)






 
Article rédigé par : Laure Marchal
Publié le 03 avril 2017
Mis à jour le 16 décembre 2021