Classes passerelles : quand l'école s'adapte aux plus petits

Au cours des 15 dernières années, on a vu émerger - puis fermer - des « classes passerelles » qui permettent d’accueillir à l’école les enfants dès 2 ans dans de bonnes conditions. L’idée est de leur proposer une transition en douceur vers l’école : un accompagnement adapté à leur âge et la valorisation du rôle des parents avec le concours d’un éducateur de jeunes enfants (EJE). Le point sur un système « couteux » pour les collectivités qui peine à s’installer durablement en France.
Au départ les classes passerelles ont surtout été créées afin de donner la même chance de réussite à l’école aux tout-petits qui n’avaient pas bénéficié d’un mode d’accueil (notamment collectif mais aussi individuel) et issus de familles en difficultés. Intégrée dans une école maternelle, la classe passerelle accueille des enfants âgés de 2 à 3 ans et est dirigée conjointement par un enseignant et un professionnel petite enfance - en général un éducateur de jeunes enfants (EJE) -, aidés parfois d’une ATSEM. Elle s’inscrit dans le projet global d’une ville et s’articule avec les autres structures d’accueil du jeune enfant*. Sa mise en place s’effectue avec le concours d’un ou plusieurs partenaires : les collectivités locales, l’Education nationale, la CAF et le Conseil Départemental.

Une transition entre la maison et l’école
L’idée des classes passerelles est de permetttre aux enfants rentrant tôt à l’école de s’y adapter en douceur : elles proposent une transition entre le monde de la maison et le monde de l’école. Car tous les professionnels le savent et le rappellent régulièrement : un enfant de 2 n’est pas un enfant de 3 ou 4 ans. Il n’est pas encore dans l’apprentissage, mais dans l’acquisition et il n’est pas encore capable d’accepter toutes les règles de la vie en collectivité.
Les professionnels des classes passerelles le prennent en compte en animant en parallèle des ateliers de classes maternelles (l’enseignant), des ateliers de jeux et de motricité comme en EAJE (l’EJE). Ces activités - proposées, jamais imposées - se font en petits groupes, pour préserver une certaine individualité dans l’accompagnement des enfants. Les enfants se retrouvent pour partager les repas ou lors d’animations particulières.

La complémentarité de l’enseignant et l’EJE
La présence d’un EJE est indispensable pour comprendre les besoins des enfants de 2 ans : des connaissances que n’ont pas les enseignants. « Certaines réactions des enfants comme l’opposition étaient très difficiles à accepter pour l’enseignante parce qu’elles la mettaient en difficulté et la déroutaient… bien que ce soit des attitudes normales à cet âge-là », explique Elisabeth Benoît, EJE qui a dirigé une classe passerelle dans l’Hérault pendant une douzaine d’années. « En tant qu’EJE on sait que 2 ans est un âge très spécifique ».

L’entente entre l’enseignant et l’EJE ne va pas toujours de soi. C’est naturel puisque de par leur formation, ils n’ont pas les mêmes préoccupations : le premier veut transmettre des savoirs et attend des résultats, le deuxième accompagne l’enfant dans son éveil et son développement. C’est donc en véritable binôme que l’enseignant et l’EJE doivent fonctionner au sein de la classe passerelle : se comprendre et se compléter pour répondre aux besoins de chaque enfant. Et c’est ce qui fait la force des classes passerelles.

Soit l’EJE n’intervient que quelques jours par semaines, soit il travaille à temps plein. C’était le cas pour Elisabeth Benoît : avec l’enseignante, elles avaient chacune une salle dédiée. Les 32 enfants étaient répartis selon des contrats définis avant la rentrée en 4 groupes de 8 et tournaient : 2 jours avec l’enseignante, un jour avec l’éducatrice et le 4e jour ils restaient chez eux. Au fil du temps, Elisabeth Benoît a ressenti cette complémentarité. « Des échanges étaient possibles : par exemple si un enfant avait des difficultés, surtout en début d'année, à être à l'aise dans le  groupe « classe », il pouvait venir un peu plus dans le lieu passerelle et inversement, raconte-t-elle. C’était super, cela permettait un accueil très individualisé. »

Une classe ouverte aux parents
Les classes passerelles reprennent l’idée des EAJE selon laquelle pour garantir l’épanouissement des tout-petits, il faut travailler en étroite collaboration avec leurs familles. Elles favorisent donc la relation avec les parents et les invitent à s’impliquer dans le développement de leur enfant à l’école. L’idée est de créer un environnement rassurant où les familles se sentent accueillies, écoutées et où les enfants soient capables de se séparer en douceur.

Dans la classe passerelle d’Elisabeth Benoît, des réunions avec les parents étaient organisées dès le mois de mai pour qu’ils se familiarisent avec les lieux et pour leur expliquer le projet pédagogique. Et en septembre ils permettaient une longue période d’adaptation, en laissant venir les mamans jusqu’en octobre ou novembre pour une séparation en douceur. Selon Elisabeth Clair Benoit, « la séparation et l'adaptation étant etroitement liée, si la séparation est réussie, l'adaptation se fera facilement et l'enfant aura du plaisir à apprendre - ce qui est effectivement le rôle de l'ecole. Il ne suffit pas que l'enseignant (ou l'EJE) soit bon, il faut aussi que l'enfant se sente en confiance dans son environnement. »

Les freins à leur généralisation
Pourtant les classes passerelles n’existent pas partout et une partie d’entre elles finissent par fermer. Selon Claudine Patras Meriaux, EJE à Grenoble et responsable de crèche depuis 20 ans, l’école reste une institution très fermée. « Si à long terme on veut lutter contre l’échec scolaire, l’école doit être égalitaire. Il faut largement l’ouvrir aux parents, surtout dans les quartiers, (…) Le concours d’une EJE à l’école maternelle permet cela ». Autre réalité : les classes passerelles sont chères et les restrictions budgétaires des collectivités locales empêchent leur développement.

La Fédération Nationale des Educateurs de Jeunes Enfants (FNEJE) défend la scolarisation des enfants dès 2 dans certaines conditions : classes ou projets passerelles. Elle considère par ailleurs que la présence d’un EJE pour 50 enfants en école maternelle constituerait déjà un grand progrès. Mais surtout elle regrette la campagne d’information d’avril 2016 impulsée par le gouvernement et relayée par la Cnaf encourageant les parents à inscrire leur enfant à l’école maternelle dès 2 ans alors même qu’ils bénéficiaient d’une place en crèche ou d’une assistante maternelle. Pour la FNEJE, et c’est toute la philosophie des classes passerelles, l’école à 2 ans n’a de sens que pour des enfants qui ont été gardés à la maison.

*Circulaire du 18 décembre 2012
Article rédigé par : Armelle Bérard Bergery
Publié le 27 septembre 2017
Mis à jour le 05 janvier 2018