Les jeunes enfants et les écrans : quelle prévention mettre en place ?

Télévision, tablettes tactiles, smartphones… Les écrans font partie du quotidien des tout-petits. Bien que leurs méfaits soient largement documentés sur le plan scientifique, ils demeurent sous-estimés ou peu connus des parents et des professionnels. De la prévention s’impose.
Depuis plusieurs semaines, le comportement de Jules, 22 mois, vous préoccupe. Vous le trouvez particulièrement agité, impulsif, irritable. Vous observez qu’il a des difficultés à se poser et à se concentrer sur une activité. Le développement de son langage est relativement pauvre compte tenu de son âge. Le soir, au moment des transmissions, ses parents vous confient qu’ils ne parviennent pas non plus à le canaliser à la maison. Ils avouent le mettre devant la télévision le soir avant de dormir et le matin avant d’aller à la crèche, car « c’est la seule chose qui le calme »…
Ceci explique-t-il cela ? Il se pourrait bien que oui... Les écrans jouissent d’une assez bonne réputation chez de nombreuses familles. Ceux-ci sont sensés rendre les enfants « plus intelligents », « plus éveillés », notamment les tablettes tactiles et les fameux programmes dits éducatifs qui s’y logent. Ces joujoux numériques présentent de plus le sérieux avantage de pouvoir occuper efficacement les tout-petits, laissant aux adultes débordés le loisir de vaquer à leurs occupations. D’où leur surnom d’écrans « baby sitter ». Ce succès florissant ne manque pas de faire le bonheur des industriels et des marketeurs qui multiplient la commercialisation d’écrans en tous genres pour bébés (le dernier en date était le transat avec Ipad intégré, vivement controversé et qui n’a d’ailleurs jamais été commercialisé en France). Paradoxalement, les études scientifiques qui soulignent les méfaits des écrans sur le développement des jeunes enfants ne cessent de se multiplier…

Un environnement pauvre et sur-stimulant
Pour mieux saisir l’inadéquation entre les stimulations imposées par les écrans et le développement psychomoteur des jeunes enfants, repartons sur les fondamentaux. Les tout-petits ont des besoins d’ordre physiologique (dormir, manger, déféquer, être changé…) et psychologique (communiquer avec ses congénères, s’attacher, explorer, tester, être câliné…). C’est en expérimentant son environnement par le biais de ses cinq sens – la vue, l’ouïe, le toucher, le goût et l’odorat – que l’enfant développe son intelligence, qu’il saisit les relations de cause à effet, les lois physiques qui régissent le monde dans lequel il évolue. Cette multiplicité des apprentissages nécessite une variété inépuisable de stimulations sensorielles. Dans la vraie vie, la girafe en plastique aura un goût, une texture et un poids différents que le cube en bois ou l’éléphant en tissu. Si l’enfant frappe sur une étagère avec cette girafe, le son produit sera différent que pour les deux autres jouets.

Le hic est que, sur un écran, tous les trois auront le même poids, le même goût, le même son et la même texture. Seule la vue les distinguera. Ainsi, l’environnement sensoriel proposé par l’écran s’avère particulièrement pauvre et inadapté aux besoins des enfants. Il en est de même pour le langage. Le tout-petit apprend à parler au travers des interactions avec ses congénères, petits et grands, mais surtout au gré des feedbacks que lui adressent les adultes. Spontanément, si un enfant prononce mal une phrase « veux de yo », l’adulte va la prononcer correctement « je veux de l’eau ». Idem, si l’enfant emploie un mot à mauvais escient, l’adulte le guidera. Comme tout apprentissage, le langage s’acquiert par imitation et par essais et erreurs. Or, aussi interactive soit-elle, la tablette n’est pas en mesure de proposer une telle interactivité sensiblement adaptée aux besoins de cet enfant, dans ce contexte, à cet instant T. Une fois de plus, la stimulation proposée par l’écran se révèle bien plus pauvre que celles de l’environnement humain et social de l’enfant.
Parallèlement, l’écran vient bombarder l’enfant de stimulations visuelles et auditives que ses sens en cours de maturation ne sont pas encore en capacité de supporter. Cette sur-stimulation vient épuiser ses ressources attentionnelles et appauvrir son attention volontaire, celle qui est si bénéfique aux apprentissages. Car si prêter attention au petit lapin qui vous appelle sur un écran est à la portée de la quasi-totalité des mammifères, maintenir son attention sur les pages d’un livre demande bien plus de compétences cognitives.

La télévision rend l’enfant passif
La télévision est, quant à elle, depuis plus longtemps que les tablettes dans le viseur des spécialistes de l’enfant, et notamment du Collectif Interassociatif Enfance et Média (CIEM) qui indique sur son site web  : « L’idée même de ces chaînes [ndlr : ciblant les jeunes enfants] paraît aller à l’encontre de tout ce que nous savons du psychisme du bébé : elle va le transformer en spectateur quand il doit devenir acteur, le rendre passif au moment où il peaufine ses capacités à être actif ». A ce titre, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a interdit aux chaînes de télévision françaises de cibler les bébés et leur a imposé de mentionner, dans leurs documentations, la mise en garde suivante : « Regarder la télévision (…) peut entraîner chez les bébés des troubles du développement tels que passivité, retards de langage, agitation, troubles du sommeil, troubles de la concentration et dépendance aux écrans. ».
Une revue de littérature menée par le pédopsychiatre Bruno Harlé et le neuroscientifique Michel Desmurget liste les méfaits connus et documentés des écrans sur le développement cognitif des enfants. L’Académie Américaine de Pédiatrie déconseille d’ailleurs tout écran avant l’âge de trois ans. Malgré le poids des multiples études scientifiques consacrées à la question des écrans, quelques praticiens continuent d’alimenter le débat du « pour ou contre les écrans chez les bébés », sous-entendant que ceux-ci pourraient leur être bénéfiques. C’est notamment le cas des auteurs du très controversé Avis de l’Académie des Sciences « l’Enfant et les écrans ». Cet apparent débat minoritaire tend à brouiller les pistes et, à plus grande échelle, à désinformer les parents sur les risques encourus lorsqu’ils placent leur enfant devant un écran.

Dans ce sens, il importe de concrétiser une démarche préventive sur les méfaits des écrans au sein des établissements d’accueil du jeune enfant et auprès des assistantes maternelles. L’objectif étant de former les professionnels de la petite enfance, qui sont en première ligne, pour qu’ils informent et sensibilisent à leur tour les familles qu’ils accueillent quotidiennement. Quatre conseils-clés peuvent leur être prodigués : 1/ Pas d’écran le matin, 2/ Pas d’écran durant les repas familiaux, 3/ Pas d’écran le soir avant de dormir et 4/ Pas d’écran avant 2 ans, idéalement 3 ans. Cette sensibilisation peut se réaliser à travers des affichages, des articles mis à leur disposition, des réunions à thèmeou encore, à l’échelle d’une municipalité, des conférences et des « ateliers parents ».

Plus l’enfant passe d’heures devant la télévision, plus son dessin du bonhomme est pauvre
Parmi les études scientifiques qui ont souligné les méfaits des écrans sur le développement des enfants, l’une d’elles, particulièrement éloquente et visuelle, a marqué le public. Il s’agit de l’expérimentation menée par Peter Winterstein, un pédiatre allemand sur une cohorte de 1900 enfants âgés de 5 à 6 ans, à qui il a demandé de dessiner un bonhomme. Il a distingué deux groupes d’enfants : ceux qui regardaient moins d’une heure de télévision par jour et ceux qui, à l’inverse, passaient plus de trois heures quotidiennes devant leur petit écran (les dessins sont visibles sur le net ). Résultats : plus l’enfant passait d’heures par jour devant la télévision, plus son dessin du dessin du bonhomme était pauvre en détails et en réalisme.
Article rédigé par : Héloïse Junier,psychologue en crèche et formatrice petite enfance
Publié le 19 février 2016
Mis à jour le 15 août 2022
Encore un article qui va nuire aux assistants maternels... je me demande qu'est-ce qui fait penser à l'auteur (de l'encart bleu) que les assistants maternels sont si peu informés ? Seraient-ils une espèce à part ? Peut-être que cloisonnée entre les 4 murs de leur maison ils ne reçoivent aucune information ? (peut-être n'ont-ils pas de TV pour se tenir informés !) Qui sait ils ne connaissent pas non plus les dangers domestiques, ou les méfaits du sucre ! Parents fuyez ! Non mais sans blague que dire alors des parents alors qui ne sont même pas des professionnels de la petite enfance et qui après une journée de boulot pourrait avoir envie de mettre leur enfant en garde devant la tv !