Les tout-petits et les écrans : la prévention vue par une psychomotricienne

Les écrans, la télé, les téléphones mobiles et autres tablettes sont au cœur de débats. Leurs effets nocifs sur les moins de trois ans est désormais avéré. Mais comment faire passer le message aux parents ? La prévention patine. Pour Monique Busquet psychomotricienne en PMI, inutile de culpabiliser les parents. Pas la peine d’interdire. Mieux vaut expliquer que la télé n’est pas tout et revaloriser les jeux actifs qui permettent d’être en mouvement et en relation avec les autres, adultes ou enfants.
Psychomotricienne exerçant en PMI, je peux témoigner comme de nombreux autres professionnels du nombre d’enfants que je vois, qui présentent d’importantes difficultés de développement (troubles de langage et communication, retard d’acquisitions…) et du temps qu’ils passent devant la télévision. Je peux aussi, comme les autres professionnels, témoigner de l’utilisation intensive des téléphones portables et tablettes pour calmer les enfants, les distraire, les faire attendre, leur donner envie de ramper ou de marcher, stopper une colère.

Des parents de bonne foi
Je peux aussi témoigner de la volonté de bien faire des parents. En effet, ils sont très nombreux à me dire qu’ils allument la télévision intentionnellement, qu’ils installent leur bébé devant la télé, dès les premières semaines de vie, parce qu’ils constatent que leur bébé alors se calme, arrête de  pleurer, regarde et semble s’intéresser à ce qu’il voit, ils pensent donc que cela est bon pour leur bébé, que cela leur fait du bien… Ils observent leur bébé et disent dans l’ensemble qu’ils regardent les images qui bougent, que rapidement, ils reconnaissent les musiques et jingles publicitaires, qu’ils dansent en les entendant même quand ils sont couchés ou assis.
Ils pensent aussi que la télévision est plus éducative que ce qu’eux-mêmes pourraient faire. Ils pensent que si les émissions spécialement conçues pour les bébés existent, c’est qu’elles ont été validées par des professionnels et qu’elles sont bonnes.
Ils pensent qu’ainsi l’enfant apprend à parler : il y apprendrait du vocabulaire, il y apprend à réciter des chiffres, les lettres de l’alphabet et même des mots en anglais. J’ai rencontré une maman fière que son enfant de 3 ans s’amuse à répéter quelques mots en anglais, alors que cet enfant ne parlait pas du tout et que elle-même ne comprenait pas l’anglais. Elle était convaincue que c’était un plus pour son enfant.

La prévention en panne
Alors, devant ce constat et ces bonnes intentions de la part des parents, que pouvons-nous penser ? Et quelle est notre part de responsabilité collective ?
Certes les professionnels de l’enfance ont peu de moyens de communiquer, sans doute nettement moins que les publicitaires. Mais pourquoi les messages de prévention actuels sont-ils si peu entendus? Quelle réelle place est donnée à l’enfant dans notre société, quels sont les messages ambiants plus ou moins implicites? Que comprennent les parents lorsque, à la maternité, il leur est dit de ne pas porter leur enfant dans les bras (car il y a des risques de chute…) et qu’il leur est aussi souvent imposé de sortir le bébé dans un siège auto (toujours pour des raisons de sécurité)? Que comprennent les parents en profondeur de ces messages, par exemple devant « ces sièges » multi-usages ? Qu’il faut tenir son bébé à distance, ne pas le porter soi-même, ne pas trop s’en occuper ?
Quelles autres paroles entendent souvent les parents dans leur entourage familial, personnel, mais aussi professionnel, parfois : ne pas trop faire pour son enfant, ne pas se laisser marcher sur les pieds ? Qu’un enfant doit être « sage », immobile, ne pas déranger? Alors qu’il est vrai qu’être parent, et peut être encore plus dans nos sociétés actuelles, demande beaucoup d’énergie.
Janusz Korczak* écrivait aux parents : « Vous dites : c'est fatiguant de fréquenter les enfants. Vous avez raison. Vous ajoutez : parce qu'il faut se baisser, s'incliner, se courber, se faire petit. Là, vous avez tort, ce n'est pas cela qui fatigue le plus, c'est le fait d'être obligé de s'élever, de se mettre sur la pointe des pieds jusqu'à la hauteur de leurs sentiments, pour ne pas les blesser. "
Or de tout temps dans l’humanité, les jeunes enfants ont été sous la responsabilité et la surveillance d’un groupe entier. Aujourd’hui les parents sont le plus souvent seuls avec leur enfant. Cela demande une disponibilité psychique continue : construire avec le bébé un lien d’accordage, répondre à ses nombreux  besoins, l’accompagner progressivement vers la capacité et le plaisir à jouer seul… Cela est parfois difficilement compatible avec les rythmes, les conditions  de vie et les préoccupations quotidiennes des parents.

Valoriser le mouvement et le « faire avec »
Face à ces réels dangers de l’usage excessif de la télévision et des écrans, que pouvons-nous inventer et proposer? Quels messages et quelles modalités ? On sait que les messages de peur, d’alerte, de culpabilisation ne fonctionnent malheureusement pas.  Quelles autres propositions pouvons-nous faire ? Comme psychomotricienne, je m’appuie sur l’importance du portage et des vécus sensorimoteurs proposés aux jeunes enfants, sur la nécessité de l’activité de l’enfant, de la motricité, du jeu et bien entendu de la relation humaine.
Il est d’ailleurs souvent fait part des résultats d’une enquête conduite en 2006 par deux médecins allemands et reprise par l’INSERM.  Cette enquête montre la différence de dessins de bonhomme faits par des enfants, en lien avec le temps passé devant la télévision.

Est-ce seulement le temps passé devant la télévision qui ne permet pas à l’enfant de se construire une bonne représentation de lui-même ? N’est-ce pas aussi un non investissement de leur corps et de leur motricité, une mé-connaissance du mouvement et de ses plaisirs, qui incitent les enfants à rester devant la télévision plutôt que d’aller faire tout autre jeu « actif ».
Alors comment pouvons-nous accompagner et soutenir les parents dans cette relation à leurs enfants pour qu’ils trouvent du sens et de l’énergie pour communiquer et partager, pour être et faire ensemble, pour jouer et construire avec leurs enfants.
Nous avons tous, professionnels (et décideurs), une vraie  responsabilité dans cette prévention, dans l’étayage des parents, dans l’écoute de leurs besoins, bien sûr dans la mise à disposition d’informations « positives et soutenantes ».


* Ecrivain, médecin , pédagogue « père » des droits de l’enfant.

 A consulter ci-dessous,  le PDF d'une plaquette d'information destinée aux parents réalisée par Monique Busqet
 
Article rédigé par : Monique Busquet
Publié le 07 juin 2017
Mis à jour le 01 décembre 2021