Salmonellose, listériose, infections à l'E-Coli : 9 questions pour comprendre les intoxications alimentaires chez les tout petits

Après le signalement de plusieurs cas récents d’intoxication d’enfants par la bactérie E-Coli dans une crèche de Toulouse, petit rappel sur les toxi-infections alimentaires chez l’enfant en crèche avec le Dr Jean-Louis Ordioni, pédiatre et médecin de crèches.  
 
Intoxication alimentaire : de quoi parle-t-on exactement ? Une intoxication alimentaire, ou toxi-infection alimentaire, se manifeste sous la forme d’un trouble digestif aïgu survenant dans les heures suivant la consommation d’aliments ou d’eau, contaminés le plus souvent par des bactéries ou des virus. On parle de toxi-infection alimentaire collective (TIAC) lorsqu'au moins deux cas sont rapportés, à la même origine alimentaire. Les TIAC sont des maladies à déclaration obligatoire.  
 
Quelles sont les origines de l'intoxication alimentaire ?L'infection alimentaire peut être due à...
  • des bactéries qui se trouvent dans les aliments et se multiplient dans l’organisme provoquant lors différents symptômes. C’est le cas pour les salmonelles, les Shighella, la Listeria, le Camphilobacter. 
  • des toxines, produites par des bactéries et présentes dans l’aliment. La toxine prolifère elle aussi à l'intérieur de l'organisme et provoque l’infection. C’est le cas avec le Staphylococcus aureus (staphylocoque doré) qui produit l'entérotoxine, l' Escherichia coli (ou E.coli) productrice de shigatoxines (STEC), le Clostridium perfringens et Clostridium botulinum qui produisent des neurotoxines.
  • d’autres micro-organismes, plus rarement, comme des virus ou des parasites (les adenovirus ou les rotavirus, notamment). 
Ces bactéries peuvent être déjà présentes dans l’aliment avant sa préparation et provoquer l’infection. Mais l’infection peut aussi être causée par une contamination lors de la préparation, lors du transport ou de la conservation desdits aliments.

Quels sont les symptômes d'une toxi-infection alimentaire ?« Les germes le plus souvent en cause dans les intoxications alimentaires ont des mécanismes pathogènes variés, et donc une durée d’incubation, ainsi que des signes qui vont être différents, » explique le Dr Ordioni.

L’ingestion d’une toxine présente dans un aliment a ainsi tendance à agir plus vite dans l’organisme que des germes, d’où une apparition de symptômes plus rapide. Dans ce cas, ce sont les nausées et vomissements (réaction de défense de l’organisme) qui prédominent. Par contre, quand l'infection alimentaire est due à des germes, les symptômes sont plutôt dits « digestifs bas », avec douleurs abdominales et diarrhée. 

C'est en se basant sur ces signes que le médecin pose son diagnostic. Quelques exemples ?
  •  Quand la période d’incubation est inférieure à 6 h avec des nausées et des vomissements, un malaise général, mais sans fièvre, il suspectera davantage un Staphylococcus aureus ou un Bacillus cereus émétique. 
  •  Quand la période d’incubation est entre 7 et 12 heures après l'ingestion, avec des signes digestifs type crampes abdominales (mal au ventre) et diarrhée, le diagnostic sera sûrement faveur du Bacillus cereus diarrhéique ou du Clostridium perfringens .
  • Quand la période d’incubation varie entre 12 à 72 heures avec des symptômes digestifs bas comme des spasmes abdominaux (qui se traduisent aussi par une sensation de mal au ventre) et une diarrhée mêlée parfois à du sang et des glaires, ainsi que des signes généraux (fièvre), il pensera plus volontiers à la Salmonella, à la Shigella, à l’Escherichia Coli (E-Coli) ou au Campylobacter.
  • Quand des signes neurologiques (vision trouble, voix nasonnée) sont associés aux troubles digestifs chez l'enfant, le médecin évoquera plutôt un Clostridium Botulinum.  A noter : ce type d'infection est cependant exceptionnelle en restauration collective et souvent en lien avec des conserves familiales mal cuites.
  • Quand la période d'incubation est supérieure à 72 h avec des signes digestifs et généraux (fièvre, douleurs musculaires...), le diagnostic s'orientera plutôt vers une Listériose. 

Les toxi-infections peuvent-elles être graves ?La majorité des toxi-infections alimentaires sont heureusement bénignes et ne provoquent que des troubles passagers, guérissant en général spontanément au bout de 24 à 48 heures. Par contre, chez les populations fragiles, comme les enfants de moins de 5 ans, elles peuvent parfois être graves. En cause : les risques de déshydratation et de complications dues aux toxines, comme le syndrome hémolytique et urémique (SHU).  

Le SHU touche surtout les jeunes enfants entre 6 mois et 5 ans après une toxi-infection causée par la bactérie E-Coli et les toxines qu'elle produit. Ses principaux signes ? Une grande fatigue, une anémie pouvant se compliquer d’une atteinte rénale qui peut aller jusqu’à l’insuffisance rénale aiguë et la dialyse. A noter : ces symptômes étant des complications évolutives liées à une diarrhée sanglante installée, les professionnels de l'accueil y sont rarement confrontés, l'enfant étant déjà, dans ce cas, écarté de la structure.

Toutefois, même si les pros ne peuvent pas en observer tous les symptômes, ce type de complication n'épargne pas les lieux d'accueil et de scolarisation, comme le rappelle le Dr Ordioni. Ainsi, en 2021, « une dramatique intoxication collective à E. Coli 0157 a touché le milieu scolaire Lillois en septembre. Elle a été à l’origine de deux SHU chez des enfants. L’enquête sanitaire a incriminé une salade de concombres mal épluchés. » Un légume ? Et oui, le réservoir bactérien est le tube digestif de ruminants, qui peuvent contaminer l’environnement et donc des légumes, par le sol. On conseille ainsi de bien laver et éplucher les légumes pour éviter une contamination.

D’où proviennent ces germes ? Les aliments les plus à risque ne sont cependant pas les légumes, mais surtout la viande hachée et/ou peu cuite (bœuf, volaille), les produits à base de lait cru et le fromage au lait cru, les sauces, les œufs crus ou les produits à base d’œufs crus (mousse au chocolat) ou insuffisamment cuits. "Tous ces produits sont déconseillés au moins de 5 ans," rappelle d'ailleurs le Dr Ordioni. Les sociétés de pédiatrie déconseillent également le miel aux nourrissons de moins d’un an à cause du risque de contamination de celui-ci par des spores de Clostridium Botulinum. 

Quelle est la conduite à tenir sur le lieux d'accueil en cas de toxi-infections alimentaires ?
« Elle doit être rigoureuse et suivre le protocole dédié, » insiste le médecin référent de crèche. À savoir...

Si les symptômes sont immédiats ou très rapides...
  • Les personnes en charge du repas doivent en arrêter la distribution et garder les enfants ayant déjà pris leur repas sous contrôle. Il est également essentiel de solliciter le centre 15 en fonction de la gravité des cas. 
  • Le gestionnaire, le médecin de la crèche et les parents doivent être alertés. 
  • L’agence régionale de santé (ARS) et la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) doivent être jointes par téléphone. Un formulaire de déclaration doit être rempli et envoyé à l’ARS (document Cerfa).  
  • Le personnel doit tenir à disposition des services de contrôle les repas témoins, les fiches de traçabilité des aliments, et le plan de maîtrise sanitaire. 

Si les symptômes sont plus tardifs avec, par exemple, des parents justifiant l’absence d’un enfant, par la survenue d’une toxi-infection alimentaire : 
  • Le personnel de la crèche va s’enquérir auprès de tous les autres enfants absents de l’éventuelle présence de symptômes du même ordre. S'il y a une seule réponse positive, la TIAC est caractérisée. Une déclaration à l’ARS et une enquête épidémiologique, bactériologique et sanitaire doivent alors être faites.
  • Le cas échéant, les professionnels de l'accueil doivent récupérer les menus détaillés des trois repas précédant le moment présumé de la contamination. 

Comment se déroulent les enquêtes cas de TIAC ?L’enquête épidémiologique est menée par les services de l’ARS. Elle recense : 
  • les circonstances d’apparition de l'infection,
  • les signes cliniques,
  • le nombre de cas.
L’enquête bactériologique, menée par les services vétérniaires, en coordination parfois avec le service hospitalier, permet d'analyser les prélèvements pratiqués chez les malades (selles, vomissements) et sur les aliments suspects. Quant à l’enquête sanitaire, elle est confiée à la DDCSPP et s’intéresse à toute la chaîne alimentaire en amont de la présentation du repas à la recherche « de la faille ». 

Quelles mesures pour prévenir les TIAC à la crèche ? 
Des mesures de prévention doivent être prises à différents niveaux et selon différentes configurations :
  • Au niveau de la préparation des repas dans une cuisine centrale. 
« L'élaboration des menus, de l’équilibre nutritionnel, du choix des aliments sont soumis à des règles dictées par le GEMRCN (groupe d’étude des marchés de restauration collective et nutrition) et la HAS, en adéquation avec le dernier PNNS (Plan national de nutrition santé), » rappelle le Dr Ordioni. À ce titre, la vigilance s’impose concernant les aliments à risque et le degré de cuisson des viandes. De même, l’étiquetage et la traçabilité des denrées alimentaires doit être sans faille, tout comme le contrôle des températures à tous les stades : l'élaboration des plats, leur stockage (chambres de stockage 0-3°C), leur transport (0-3°C), leur conservation en armoire réfrigérée sur site (0-3°C), et enfin lors de leur réchauffement avant le service (réchauffement rapide à plus de 65°C en moins d’une heure). Et au pédiatre de préciser : « le plan de maîtrise sanitaire se réfère au protocole HACCP (hazard analysis critical control point) et des mesures d’hygiène très rigoureuses sont bien évidemment scrupuleusement respectées, à tous les niveaux de la chaîne alimentaire, du laboratoire de la cuisine centrale jusqu’au moment du service, dans chaque assiette. »
Pour rappel : la législation impose de conserver les plats témoins 5 jours minimum, à la fois dans la cuisine centrale et dans les structures satellites. Des contrôles inopinés peuvent être conduits par la DDCSPP et la DGCCRF (direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes). 
  • Si les repas sont livrés par une cuisine centrale 
Les professionnels doivent s’assurer de la température des plats (pas rupture de la chaîne de froid par exemple). Ils doivent aussi stocker les repas sur site (0-3°C), réchauffer les plats à plus de 65°C et conditionner les plats en portions individuelles. 
  • Au niveau de l’hygiène :
En cas de toxi-infections alimentaires, en plus des règles d’hygiène concernant la préparation des repas, il est essentiel que le personnel renforce les règles d’hygiène habituelles concernant le lavage des mains, des locaux et des surfaces, la désinfection des jouets, du matériel et du linge.  

Et pour les assistantes maternelles qui cuisinent pour les enfants ?  L’ANSES a édité un document reprenant les bonnes pratiques à mettre en œuvre lorsqu’on cuisine pour éviter les toxi-infections alimentaires. L'agence recommande ainsi de :
  •  se laver les mains au savon avant et pendant la préparation des repas, 
  • éviter de préparer les repas en cas de symptômes de gastro-entérite,  
  • nettoyer régulièrement le réfrigérateur et vérifier sa température (zone la plus froide entre 0° et +4°C),
  • mettre les aliments au frigo dans les 2 heures après leur cuisson,
  • à chaque aliment, sa planche à découper,
  • veiller à la juste cuisson des viandes,
  • ne pas mettre au menu de jeunes enfants de la viande ou du poisson crus, des produits laitiers au lait cru,  
  • veiller à la bonne conservation des biberons (pas plus d’une heure à température ambiante et max 48heures au réfrigérateur).
Article rédigé par : Isabelle Hallot
Publié le 14 octobre 2022
Mis à jour le 05 décembre 2023