Dépistage précoce des « comportements déviants » : nouvelle étude controversée

L’étude menée conjointement par le King’s College de Londres et l’Université de Duke aux Etats Unis sur le dépistage précoce des comportements déviants est  très controversée. Et fait écho à la polémique créée  autour du rapport  français de l’Inserm sur les troubles des conduites chez l’enfant qui en 2006 avait suscité émois et interrogations et donné lieu à  la création du Collectif « Pas 0 de conduite pour les enfants de 3 ans ».

Les résultats de l’étude menée par Avshalom Caspi, professeur à l’Université de Duke, et publiée hier dans le Nature Human Behaviour fait déjà polémique. En regroupant des données administratives et médicales nationales, ils ont révélé que 20% de la population était à lui seul responsable de 81% des crimes, 77% des naissances sans pères et de la moitié des nuits passées à l’hôpital. Partant de ce constat, les scientifiques ont cherché à savoir s’il était possible de prédire le comportement qu’un enfant aura une fois adulte. Ils ont alors mis en place des tests de 45 mn portant notamment sur les capacités de langage, les capacités motrices, l’impulsivité et les réactions face à la frustration. Les examens ont été effectués sur plus de 1000 néo-zélandais nés entre 1972 et 1973 en les suivant de leurs trois ans à leurs trente-huit ans. Des années après le début des tests, les résultats montrent que les enfants qui avaient le plus de difficultés deviennent les adultes ayant le plus grand risque de développer un comportement déviant. Ils ont aussi de plus grandes chances de devenir fumeurs, obèses ou dépendants aux médicaments.
Prévenir pour « le plus grand bien »
Dans l’article du Nature Human Behaviour, le professeur Caspi explique qu’il s’agit là d’une « politique d’intérêt publique (…) pour le bien-être de la société ». « Les enfants montrant le plus de difficultés agissent à 3 ans comme des enfants de 2 ans et demi. Si jeunes, ils ont déjà 6 mois de retard de développement. Pour eux, la vie est un combat, les opportunités sont plus limitées et acquérir de nouvelles compétences leur est plus compliqué. Ces difficultés ont un effet boule de neige qu’il faut enrayer. » Bien que très controversée, l’étude souhaiterait donc mettre en lumière la nécessité d’effectuer un travail dès la plus petite enfance pour prévenir ces comportements. « La question clé concerne l’impact qu’aurait une prise en charge précoce des troubles de l’enfant, note aussi le professeur. Des interventions effectuées sur des enfants plus jeunes apporteront un retour sur investissement plus grand que si elles sont effectuées lorsqu’ils sont plus vieux. »
En France, le combat de « Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans »
Des propos qui peuvent choquer et qui ne sont pas sans rappeler ceux tenus lors de la sortie en 2006 du rapport de l’INSERM (l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale). A l’époque, fort des conclusions de ce rapport, le gouvernement avait eu pour projet d’instituer un plan de prévention de la délinquance prônant notamment une détection très précoce  ( dès la maternelle ou la crèche) des « troubles comportementaux » chez l’enfant ( troubles censés annoncer un parcours vers la délinquance)  avait fait grand bruit. Et mobilisé des professionnels dans le Collectif « Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans ». Les signataires refusaient l’idée de repérer des facteurs potentiels de troubles chez l’enfant via « des traits de caractère tels que la froideur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme (…) et la notion d'héritabilité (génétique) du trouble des conduites, mais aussi l’indocilité, l’hétéroagressivité, le faible contrôle émotionnel, l’impulsivité et l’indice de moralité bas ». Et dénonçaient une « tentative d’instrumentalisation des pratiques de soins dans le champ pédopsychiatrique à des fins de sécurité et d’ordre public ».
Les professionnels de la petite enfance et de l’enfance sont tous d’accord pour mettre en place une « prévention prévenante », mais refusent toute stigmatisation précoce.



 
Article rédigé par : Clémence Guillossou
Publié le 14 décembre 2016
Mis à jour le 14 décembre 2016