Des albums jeunesse pour lutter contre les stéréotypes de genre





« Tu peux », Elise Gravel, 2020, Editions Alice Jeunesse
L’histoire est celle de tous les enfants, fille ou garçon. Elle s’adresse directement à eux, et leur illustre en quelques pages l’infini des possibles.
Ce qui plaît :
- La simplicité de la formule : « tu peux… », déclinable à l’infini.
- Les phrases courtes qui en disent long, très accessibles aux plus jeunes.
- Le dessin accrocheur, joyeux pour un thème sérieux.
- La multiplicité des personnages, propice aux identifications.
- Le détournement efficace des stéréotypes de genre : on y découvre un garçon « sensible », une fille « forte », un garçon qui a « peur », une fille qui se salit, un garçon qui aide à faire le ménage et même… une fille qui fait des « prouts »…
Ma lecture de psy :
Avec ce livre pépite, Elise Gravel réalise un tour de force. Elle peut, grâce à son coup de crayon, quelques mots bien choisis et une bonne dose d’humour :
- toucher directement, parler et faire parler petits et grands sur la question des stéréotypes de genre
- aider tout-un-chacun à faire encore un peu (ou beaucoup) plus de chemin sur ses idées reçues ou préconçues
- se risquer au jeu des écarts générationnels sur une question sensible : entre l’adulte lecteur et le (très) jeune enfant, c’est ce dernier qui sera sans doute le moins surpris par la combinaison des possibles convoqués par l’auteure !
Plus l’enfant grandit, plus il se confronte aux stéréotypes sociaux, explicites ou implicites, transmis consciemment ou emprunts d’un inconscient collectif tenace.
C’est donc un livre intéressant à proposer dès le plus jeune âge (parents, assistantes maternelles, professionnels de crèches...), afin de soutenir une construction identitaire ouverte, souple et créative, un peu plus à l’abri des stéréotypes. Chez les plus grands (par exemple à l’école en support pédagogique), ce livre pourra encourager la capacité réflexive des uns et des autres, le partage et le changement des représentations.
A partir de : 2 ans jusqu’à 7 ans
Disponible aussi en téléchargement gratuit sur le site de l’auteure : Elisegravel.com
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« Ana Ana – Je ne veux pas être une princesse ! », d’Alexis Dormal et Dominique Roques, 2018, Dargaud
Le conte de Cendrillon semble tant plaire à Ana Ana que ses fameux doudous décident de lui faire une surprise : ils s’empressent de lui créer la parfaite panoplie de princesse. Mais c’est sans compter le dessein d’Ana Ana, qui s’annonce loin des classiques contes de fée…
Ce qui plaît :
- La morale féministe ! La référence à Cendrillon, et le retournement de situation.
- Retrouver Ana Ana et ses fidèles doudous, tout aussi farfelus, remplis d’idées et d’énergie dans une nouvelle aventure.
- La créativité, les déguisements et les jeux de « faire » semblant, qui ont une place centrale dans cet opus.
- Un format bande dessinée qui convient aux plus jeunes, avant l’apprentissage de la lecture ou une fois celle-ci acquise.
Ma lecture de psy :
Ana Ana a toute l’étoffe d’une héroïne féministe pour jeune enfant : petite mais déterminée, elle ne manque jamais une occasion de s’exprimer. Les histoires d’Ana Ana et ses peluches se passent d’ailleurs des adultes qui n’interviennent pour ainsi dire jamais (à l’inverse des excellentes bandes dessinées consacrées à son grand-frère Pico Bogue, dans lesquelles elle a également voix au chapitre !). C’est donc à la petite fille et ses doudous de se charger de tous les rôles : agitation, jeu, imagination, retour au calme, comédie, clowneries, sagesse… Dans ce numéro, elle endosse parfaitement le costume de celle qui a autre chose à « faire » qu’à « être » une princesse. Elle donne ainsi le la pour toutes les petites filles et petits garçons qui liront ou écouteront les adultes lire cette drôle d’histoire au message fort.
A partir de : 4 ans jusqu’à 7 ans
7,95
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« La princesse et le dragon » de Robert Munsch et Michael Martchenko, 2005 (version française), Editions Talents Hauts
Elisabeth doit épouser le prince Ronald. Mais voilà qu’un dragon met le feu à leur château, et emporte avec lui le prince. La princesse, réduite à son plus simple appareil (un sac de papier), se lance à la poursuite du dragon et tente par tous les moyens de sauver le prince Ronald.
Ce qui plaît :
- L’originalité de ce conte de fée aux allures rock n’roll.
- Le personnage de la princesse, qui ne manque pas d’air et a plus d’un tour dans son sac (de papier) !
- Le rythme du récit, de surprise en surprise : la princesse débarrassée de ses oripeaux, les ruses utilisées pour combattre le dragon, la réaction finale inattendue du Prince Ronald et enfin, la répartie verbale choc d’Elisabeth.
Ma lecture de psy :
Cette histoire aux accents modernes a pourtant été écrite dans les années 80. Elle est devenue un best-seller dans les pays anglo-saxons mais il aura fallu plus d’une vingtaine d’années pour qu’elle soit traduite en France. Elisabeth est donc une héroïne-femme des années 80 : elle n’hésite pas à tourner en dérision le système de la monarchie, des contes de fée, et du mariage.
Si le dragon, le feu et ses effets peuvent impressionner certains jeunes enfants, les personnages habituellement « forts » perdent ici de leur pouvoir : on les découvre peu à peu dévalorisés, réduits à leur inintelligence (le dragon) ou leur superficialité (le prince Ronald). La princesse, grande gagnante de cette histoire, préfère d’ailleurs finir seule que mal accompagnée. Un livre qui plaît cependant autant aux petites filles qu’aux petits garçons, et qui a le mérite de dépoussiérer le genre !
A partir de : 4 ans jusqu’à 7 ans environ
12,50
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« Julian est une sirène », de Jessica Love, 2018, L’école des loisirs, collection Pastel
Julian sort de la piscine municipale accompagné de sa grand-mère, Mamita. Il croise sur son passage de magnifiques « sirènes », des personnes vêtues de costumes colorés. Il se met à rêver qu’il est lui-même une sirène. Arrivé à la maison, quelques accessoires bien choisis et le voilà déguisé ! La réaction de Mamita ne se fait pas attendre…
Ce qui plaît :
- La place des illustrations qui prennent le pas sur le texte et nous emportent avec elles dans la rêverie de Julian
- Les dessins doux, joyeux et colorés à souhait. Chaque page est un véritable tableau.
- L’originalité du thème (le genre, la fantasmagorie trans-identitaire) traité avec la plus grande simplicité.
- La parade et les festivités sont à l’honneur.
- La mamie enveloppante de Julian, les liens tendres transgénérationnels dépeints implicitement et avec subtilité en juste quelques pages.
- La beauté des corps et de la gestuelle des personnages.
- Un livre entre rêverie, poésie, philosophie et imaginaire infantile.
Ma lecture de psy :
Jessica Love transcende le genre avec ce premier album jeunesse époustouflant d’esthétisme et de délicatesse. La métaphore de la sirène ouvre la voie vers toutes les métamorphoses. L’auteure illustratrice touche juste en esquissant avec panache ce thème sociétal majeur qu’est l’identité de genre, ses différentes facettes et sa liberté d’expression dès l’enfance.
Plusieurs lectures possibles amènent tout-un-chacun à s’intéresser à de multiples champs de l’histoire : la réalité des rues new-yorkaises (et de la « Mermaid Parad » drag-queens des rues de Coney Island !), des moments terre-à-terre du quotidien entre un petit garçon et sa grand-mère, la complicité entre les deux personnages, l’imaginaire infantile débordant, les jeux de déguisement et de faire semblant, les identifications multiples, les questionnements identitaires…
Si le plaisir, la joie, l’insouciance et la fête dominent le récit imagé, un bref moment de crainte semble traverser Julian qui se regarde alors dans le miroir : doute-t-il de sa propre image ou du regard grand-maternel sur sa liberté de jeu/je ? Le lecteur se voit en tous cas vite rassuré par la réaction surprenante, contenante et inventive de Mamita.
Un livre qui contourne avec élégance tout débat, et offre une voie artistique pour qu’enfants et adultes se laissent embarquer sur d’autres rives que les schémas souvent bien trop classiques empruntés par les petits garçons et les petites filles des albums jeune public.
A partir de : 2 ans et demi jusqu’à 7 ans
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