Des albums jeunesse pour parler de la « propreté » avec les tout-petits

L’acquisition de ladite « propreté » diurne (puis nocturne souvent dans un second temps), ou autrement formulée la « maîtrise des sphincters », aboutit généralement autour de la troisième année de vie de l’enfant. Il existe cependant de grandes variabilités d’un jeune enfant à l’autre (cette acquisition peut se faire bien plus tôt ou plus tard), un rythme individuel qu’il convient de respecter, ne serait-ce que pour éviter les blocages psychologiques possiblement associés. En effet, la capacité à se rendre aux toilettes tout seul ne tombe pas du ciel du jour au lendemain. C’est plutôt un long processus fait d’étapes et de déclics, tant physiologiques que psychiques, bien souvent chargé d’émotions, chez les enfants comme chez les adultes qui l’entourent. Voici quelques livres qui permettront de revisiter le stade anal en toute liberté, de parler « caca, pipi » avec les jeunes enfants, de régresser à souhait, de rajouter des « couches » d’humour pour mieux s’en débarrasser, en s’amusant avec eux d’un sujet qui suscite autant de plaisirs que d’inquiétudes, pour les uns comme pour les autres. Certains de ces livres pourront être proposés très tôt, bien avant l’acquisition de la « propreté », d’autres durant toute la période menant vers l’acquisition. Certains albums parlent enfin de ce qui se joue encore bien après cette indispensable étape.
« Tous les cacas », 2008, Bisinski Pierrick et Alex Sanders, L’école des loisirs
L’histoire : 
Chaque page mène à la découverte des selles d’une nouvelle espèce : le bestiaire y passe presque au complet et tous type de cacas, sous toutes ses formes, tailles et appellations. Une histoire d’une simplicité (extra)ordinaire !  

Ce qui plaît : 
-    Le phrasé court et sans verbe, à l’image du début de langage des tout-petits : «  Mini crocrotte de souris », « Énorme caca »
-    Les couleurs vives
-    Les détails que l’on peut utiliser comme un imagier
-    Le format cartonné et les vignettes sur le côté qui facilitent sa manipulation par les très jeunes enfants.
-    Entendre parler « caca » à volonté !
-    Les touches de poésie (si, si !), par exemple dans le vers suivant : « Gros popo d’hippopo sur le pot »

Ma lecture de psy : 
Avant de pouvoir parler de propreté avec le jeune enfant, il faut pouvoir parler « caca » à souhait. Ce livre nous le rappelle et nous l’autorise ! 
Bien que le « pot » et les « toilettes » apparaissent à la fin de l’histoire, on n’attendra nullement en tant qu’adulte que le bébé acquiert une autonomie des sphincters à l’âge où ce livre lui est lu. La finalité est simplement suggérée, associée à la représentation d’un petit garçon qui dit « au revoir » à son caca. Ce détail nous indique toute la complexité de cette question de propreté qui pourrait bien être avant tout… une histoire de dedans-dehors, de limites entre son propre corps et le monde externe et de capacité à se séparer. 

A partir de : 6 mois jusqu’à deux ans environ 

11
« Qu’y a-t-il dans ta couche ? », de Guido Van Genechten, Albin Michel Jeunesse
L’histoire : 
« Bébé souris » est curieuse de tout, ne se lasse pas d’explorer les petits coins et petits trous remplis de trésors cachés. Sur son chemin, elle rencontre de multiples bébés animaux, tous affublés de couches à l’intérieur desquelles elle peut s’adonner aux joies de la découverte en y trouvant des cacas aussi divers que variés. C’est alors au tour de bébé souris de dévoiler ce qui se cache dans sa couche : RIEN ! L’histoire se finit sur le pot pour tous les animaux. 

Ce qui plaît : 
-    L’histoire conçue comme une enquête
-    Pouvoir discuter des formes, des couleurs et même des textures de tout ce panel d’excréments !
-    La possibilité de compter les crottes, cacas et crottins en tout genre
-    Le graphisme joyeux qui donne d’emblée envie d’entrer dans l’aventure

Ma lecture de psy : 
La problématique des limites corporelles, du dedans-dehors est finement évoquée dans ce livre pépite, qui parle autant aux enfants en cours d’acquisition qu’à ceux ayant déjà acquis la propreté. Il y est entre autre question de la pulsion scopique, pulsion infantile à la base de l’appétence pour le « voir » puis le « savoir » (qui commence dès la naissance mais servira tout particulièrement lors de l’entrée à l’école). 
Cette soif de compréhension pousse souvent le jeune enfant à une grande curiosité envers son propre corps et possiblement celui des autres. Le respect total de l’intimité n’est pas encore pleinement au rendez-vous et c’est bien normal, bien qu’on puisse commencer à sensibiliser le jeune enfant à ce stade. Notons à ce propos que bébé souris demande la permission à chaque bébé animal de pouvoir regarder ce qui se passe dans leur couche et attend sagement leur autorisation !  Le respect de l’intimité n’empêche pas une certaine propension à l’imitation dans cette histoire de propreté : on le voit à la fin du livre mais aussi dans les groupes d’enfants, notamment dans les crèches où les jeunes enfants ne manquent pas de se passer le mot au sujet du pot. 

A partir de : 18 mois jusqu’à 5 ans environ 

12,90
« Le ÇA », de Michaël Escoffier et Matthieu Maudet, 2013, L’école des loisirs
L’histoire :
La maman de Jules ne semble pas ravie de découvrir « ça » (une jolie crotte tout en longueur) sur le tapis du salon. Elle demande des explications à Jules. S’ensuit un dialogue fait d’incompréhension et de quiproquos entre langage de jeune enfant et attentes de l’adulte. 

Ce qui plaît : 
- La douceur du graphisme
- L’angle de vue sur les jambes de maman qui paraît si grande !
- Les phrases courtes et directes qui tonifient le dialogue
- Les multiples registres langagiers et humoristiques  
- La gamme des émotions qui jalonnent le récit : colère, tristesse et joie s’emparent tour à tour de Jules.  

Ma lecture de psy :
Le Ça retrace avec subtilité et plusieurs niveaux de lecture possibles les dangers qui guettent parents et jeunes enfants sur le parcours vers la propreté : les attentes parentales, le jeune enfant plus ou moins prêt ou en mesure d’entendre parler de « ça », l’angoisse possiblement associée au fait de voir disparaître ses selle(s) à jamais dans les toilettes… 
Le Ça c’est également une histoire d’apprentissage du langage : Jules zozote et ne maîtrise pas encore pleinement l’élocution comme de nombreux enfants à ce stade d’évolution psychomotrice. En effet, en matière de petite enfance, chaque avancée ou régression dans un certain domaine d’apprentissage est en interdépendance avec les autres champs : moteurs, langagiers mais encore sommeil, alimentation... 
Enfin, les glissements symboliques autour du « Ça » sont nombreux, réjouissant petits et grands : le « ça » c’est aussi le « chat ». Mais les habitués de la psychanalyse y reconnaîtront peut-être aussi le « Ça », réservoir de l’énergie pulsionnelle inconsciente, régi par le principe de plaisir comme le sont encore les actes des tout-petits. Les enjeux inconscients des blocages autour de la propreté ne sont d’ailleurs pas toujours accessibles au premier regard et peuvent dans certaines situations nécessiter l’écoute d’un psychologue. 

A partir de : 18 mois jusqu’à 5 ans environ 

5
« J’y vais ! », de Matthieu Maudet, 2011, L’École des loisirs
L’histoire :
Petit oiseau est bien décidé à quitter son nid. Tandis qu’il part à l’aventure, les membres de sa famille et quelques comparses ont tout un tas de conseils à lui prodiguer sur ce qu’il devrait emporter pour son voyage... jusqu’au dénouement qui nous permet de comprendre qu’il s’agit là non pas d’une grande traversée mais d’une sacrée étape à franchir pour le petit oiseau !

Ce qui plaît : 
-    Le format épais cartonné qui rend aisée sa manipulation par le jeune enfant.
-    Le texte court mais efficace, rappelant à adulte comme enfant ces fameuses scènes de la vie quotidienne !
-    Les couleurs chaudes sur fond blanc, mettant en valeur le héros et chaque personnage qu’il rencontre sur son passage.
-    L’humour et l’ironie qui caractérisent l’histoire, jusqu’à la fin inattendue (cette dimension plus subtile et humoristique du texte n’est pas forcément directement accessible pour les plus petits). 

Ma lecture de psy :
Ce livre déploie en une quantité infime mais bien ciblée de mots et d’images l’aspect rocambolesque que peut revêtir l’aventure jusqu’au pot ou aux toilettes. Mieux vaut s’armer de patience, adulte comme enfant. Les différents objets guident le lecteur sur les traces des dangers potentiels qui guettent le futur champion du contrôle des sphincters, à savoir le froid, le manque de lumière, l’ennui…
Mais la morale de l’histoire est affichée sans équivoque dès le début du récit : « Cette fois c’est décidé, j’y vais ! », s’exclame le petit oiseau. Car en matière de propreté, tout vient à point à qui sait attendre. Il ne s’agit pas seulement que l’enfant puisse aller sur le pot d’un point de vue physiologique, mais bien qu’il le décide et le désire (inconsciemment). Bref, qu’il soit prêt pour se lancer jusqu’aux toilettes, quels que soient les conseils bienveillants venant de ceux qui sont déjà maintes fois passés par là. 

A partir de : 18 mois jusqu’à 4 ans environ 

5
« Caca boudin », de Stéphanie Blake, 2002, L’école des loisirs
L’histoire :
Le fameux lapin de Stéphanie Blake, Simon, ne sait dire qu’une seule chose au début de l’histoire : « Caca Boudin ! », ce à toute heure du jour et quelles que soient les demandes des personnes qui l’entourent. Simon va alors vivre quelques aventures dont il ressortira grandi, ou presque…

Ce qui plaît : 
- La jouissance d’entendre Simon le lapin (et donc l’adulte lecteur) dire autant de fois «  caca boudin » en un temps si réduit !
- Les identifications possibles à Simon le lapin : les deux dents de lait du personnage le situent entre les tout-petits et les enfants plus grands, ceux qui commencent à perdre leurs dents. 
- Les couleurs vives et dynamiques
- Le texte en gros caractères d’imprimerie, en particulier les mots « Caca boudin », reconnaissables parmi tous, y compris pour le jeune lecteur. 

Ma lecture de psy :
« Caca Boudin » parle de cette période entre l’acquisition de la propreté et l’âge de latence, nous signifiant avec drôlerie et malice à quel point même une fois les couches terminées, les investissements psychiques et pulsionnels de l’analité n’ont pas dit leur dernier mot !
En effet, retenir matières urinaires et fécales, c’est faire le cadeau à ses parents mais aussi à la société de savoir « se retenir », de contenir une part d’agressivité. C’est ainsi qu’après avoir fait preuve de sa capacité à exprimer des « grooooosssses » colères, le jeune enfant s’éloigne peu à peu du « terrible two », une fois devenu « propre ». Commence alors la période du « caca boudin », façon plus élaborée de continuer à sortir de son corps en public non pas de « gros cacas (nerveux) » mais des grossièretés, des premiers « gros mots », peu acceptés socialement mais tout de même relativement tolérés ! Le jeune enfant sent alors qu’il flirte entre sujet tabou, agacement de l’adulte et humour, jouant ainsi de son excitation agressive, avant de pouvoir la maîtriser davantage. Dans ce dialogue tonitruant entre Simon et son environnement, les pulsions agressives sont sans doute représentées à la fois par le jeune lapin et le loup. Simon semble plus mâture à la fin de l’histoire, bien que le mot « prout » ne tarde pas à prendre le relai, offrant ainsi une nouvelle variante comique aux lecteurs en herbe (comme aux adultes friands de ce type d’humour) sur la fameuse gamme du « pipi, caca, prout ». 

A partir de : 2 ans jusqu’à 6/7 ans

5
« De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête », de Werner Holzwarth et Wolf Erlbruch, 1989, 1993, Milan Editions
L’histoire :
La petite taupe part à la recherche de celui ou celle qui lui a « fait sur la tête ». Le coupable n’est pas trouvé d’emblée, mais la vengeance n’en sera que plus belle, et surtout à la mesure de ses capacités en la matière ! 

Ce qui plaît: 
-    Voir et revoir la petite taupe affublée d’un chapeau fécal tout le long de l’histoire 
-    L’humour pince-sans-rire de la taupe
-    La (re)découverte des excréments du bestiaire dans tous leurs états : solide, liquide, bouseux, musical, gros, petits, verts et j’en passe… nous rappelant au passage que tous les cacas sont dans la nature. 
-    La place conséquente faite au texte dans un récit à la fois vif dans les dialogues mais détaillé avec des précisions narratives entre parenthèses, offrant aux plus grands la possibilité de s’en délecter. 
-    La vengeance finale à la hauteur d’une « petite taupe » 

Ma lecture de psy :
Ce best-seller traverse les frontières et les générations avec une facilité déconcertante, ce qui tient probablement à l’universalité du thème qu’il traite. Mais là encore, derrière l’analité exposée sans complexe se cachent de multiples enjeux psychologiques plus subtiles,  tels que : la peur des dangers qui guettent le tout-petit lorsqu’il sort de sa tanière, la pulsion scopique (curiosité face aux similitudes et aux différences des besoins primaires dans la nature), l’agressivité, la vengeance, et enfin l’humour, voie sublimatoire par excellence pour continuer à parler fèces, une fois quittée la petite enfance. 

A partir de : 2 ans et demi jusqu’à 6 ans 

4,99
Article rédigé par : Marine Schmoll
Publié le 29 avril 2022
Mis à jour le 29 avril 2022