Des albums jeunesse sur les doudous

Ces objets « doux » aux fonctions transitionnelles majeures pour les tout-petits foisonnent dans la littérature jeunesse. Héros ou simples personnages secondaires, ils offrent de multiples champs de narration, de projection, d’identification possibles, à cheval entre Réel et Imaginaire. Du nourrisson à l’enfant d’âge scolaire, les propriétés et l’utilisation des doudous évoluent, tout comme les fables qui les mettent en scène. Dans cette sélection d’histoires de doudous, on les retrouve sous toutes leurs coutures : en dessin ou en photo, en livre ou en magazine, objets de transition, de transmission, de personnification, de ressource pour la séparation ou encore compagnons de toutes les explorations. Enfin, ces histoires sont à choisir avec l’enfant : car comme pour le doudou, si l’adulte peut proposer, c’est à l’enfant de disposer !
« Lou et Mouf. Oulàlà, c’est haut ! », de Jeanne Ashbé, 2005, Ecole des loisirs, collection Pastel
L’histoire :
Lou part en voyage dans sa propre maison. Il embarque Mouf, son doudou, dans ce périple aux airs d’aventure puisqu’il faut grimper, monter sur les meubles ou encore dans les bras des adultes… pour, finalement, redescendre sur terre ! 
 
Ce qui plaît : 
-    Retrouver les héros Lou et Mouf dans leurs aventures domestiques
-    La fine retranscription du plaisir des tout-petits à grimper, escalader ou tout simplement se retrouver dans les bras des adultes. 
-    Les vignettes à ouvrir et refermer : derrière celles-ci se cachent des petits détails de l’histoire, et des possibilités d’aller encore plus haut !
-    La petite peluche serpent qui aimerait bien suivre Lou et Mouf dans leurs aventures, mais semble laissée pour compte. Celle-ci n’a visiblement pas le statut de doudou ! 
-     Les phrases types d’introduction et de conclusion de cette collection, qui invitent à dire « bonjour » et « au revoir » aux deux héros, mais aussi à ouvrir et puis refermer ce petit temps de lecture au contact de Lou et Mouf.  

Ma lecture de psy : 
Jeanne Ashbé nous embarque une nouvelle fois dans une histoire du quotidien aussi vraie que nature. Les différents feuillets des représentations de la hauteur chez les tout-petits sont ici racontés et mis en image grâce à Lou et Mouf :  

-    le besoin de grimper, escalader (en particulier lors de certaines phases du développement psychomoteur, et chez certains enfants plus que d’autres)

-    l’apprentissage-exploration (observer son environnement, anticiper l’objet suffisamment stable, suffisamment haut, pour pouvoir monter, faire un petit escalier sans se mettre en danger)

-    le monde vu d’en bas/vu d’en haut : imaginez comme le point de vue peut être différent, au sol ou en hauteur (sur un meuble…), à l’horizontal (sur le dos, quatre pattes…) ou à la verticale (debout, dans les bras de papa…) !

-    les sensations : le plaisir d’être plus haut, du portage, de l’ « avion »…

Le doudou se révèle ici comme un acolyte, compagnon d’aventure, prétexte pour monter, ou encore pionnier explorateur des lois de la gravité (c’est lui qui tombe en premier !). Tantôt dans les bras de Lou, tantôt à distance, Mouf n’est jamais loin, entre la Réalité des objets, des meubles, des jouets, des humains et l’Imaginaire de Lou. Partenaire à part entière, il aide à la jonction entre tonicité, motricité, exploration rocambolesque, autonomie, éloignement et tendresse sécurisante. 
Une histoire à hauteur des tout-petits !

A partir de : 6 mois jusqu’à 2 ans environ 

9,50
« Guili Lapin. Un conte moral » de Mo Willems, 2007, Kaléidoscope
L’histoire :
Trixie, une très jeune héroïne (qui « ne parle pas encore »), accompagne son papa à la laverie automatique, munie de son doudou, Guili Lapin. Voilà que l’aventure ne se passe pas tout à fait comme prévu : en partant de la laverie, il semble qu’il « manque » quelque chose… mais quoi ? Trixie a bien du mal à se faire comprendre, si bien qu’elle comme son papa, se mettent dans tous leurs états. Fort heureusement, la maman de Trixie comprend tout de suite la gravité de la situation et soutient une active recherche de Guili Lapin : enfin, papa le retrouve, enfoui sous un amoncellement de linge dans le tambour de la machine à laver…

Ce qui plaît : 

-    L’originalité de cette variante/mélange de deux scènes classiques du quotidien et de la littérature jeunesse : le doudou lavé (cette fois-ci par mégarde), et le doudou perdu/retrouvé
-    Le dessin vif, saisissant, expressif (en particulier les yeux et les bras) des personnages 
-    L’assemblage parfait entre dessins et photos 
-    L’humour propre aux albums de Mo Willems
-    Entendre le narrateur parler bambin « Agli abli api ! », des scènes qui déclenchent à coup sûr le fou rire des jeunes enfants
-    Les multiples détails que les enfants et les adultes (re)découvrent au fil des lectures : l’album « photos » de la famille en préambule, la référence au « pigeon » (autre personnage emblématique de Mo Willems) sur le t-shirt d’un passant…

Ma lecture de psy : 
Dans ce livre chef d’œuvre, Mo Willems manie avec une grande subtilité l’art de l’entre-deux, propre au doudou : Guili Lapin met en scène à la fois l’humour, la légèreté et la gravité comme le sérieux des angoisses infantiles précoces (Trixie est réellement effondrée à l’idée d’avoir perdu son objet transitionnel). 

Il retranscrit l’espace-temps terre à terre du quotidien (le parc, laver le linge, partir à la recherche du doudou), réalité d’autant plus mise en exergue par le procédé photographique. 

Mais il ouvre également la voie vers l’espace imaginaire et symbolique : en effet, Guili Lapin se révèle, page après page, véritable objet de lien et de liants parents-bébé, entre les registres de l’émotion, des sensations fortes, du préverbal et du symbolique avec l’émergence finale du langage chez Trixie. 

Guili Lapin, à l’image de tous les doudous, a plus de vertus et d’importance qu’il n’en paraît. Et pour suivre ses aventures, comme l’évolution des capacités de l’enfant grandissant à se séparer de cet objet extraordinaire, il est d’ailleurs possible de le retrouver dans deux autres tomes, non moins captivants : « L’autre Guili Lapin. Histoire d’une erreur sur la personne» (2008), et « Bon voyage, Gouzi lapin ! Une mésaventure inattendue » (2021). 

A partir de : 18 mois jusqu’à 6 ans environ

13
« Ana Ana. Douce nuit », par Alexis Dormal et Dominique Roques, 2012, Dargaud Jeunesse
L’histoire : 
C’est le soir. Ana Ana est captivée par son livre, laisse la lumière allumée, rit aux éclats, tandis que ses doudous, eux, ne demandent qu’à dormir… Alors qu’Ana Ana finit par avoir sommeil, c’est au tour des doudous de l’empêcher de sombrer dans les bras de Morphée. Quelles solutions trouver, quand enfant et peluches sont réunis dans un même lit, mais expriment des besoins différents ? 

Ce qui plaît : 
-    Retrouver Ana Ana et ses doudous dans un nouvel opus.
-     Nommer les doudous un à un en pointant du doigt l’image qui les représente : « Zigzag », « Touffe de poils », « Pingpong », « Goupille », « Baleineau », « Grizzou ».
-    La cocasserie des scènes et le comique de répétition. Même à la fin du livre, on s’aperçoit que « Touffe de poils » n’a pas tout à fait dit son dernier mot !
-    L’introduction à l’univers de la Bande Dessinée, adaptée aux jeunes enfants et à la possibilité de narration par l’adulte.
-    La légèreté de ton pour parler de sujets plus profonds : le sommeil, l’endormissement, la séparation, la différenciation des espaces psychiques et le respect des besoins de chacun…

Ma lecture de psy : 
Ana Ana s’adresse aux plus grands des jeunes enfants : c’est pourquoi, sans doute, ses peluches sont tantôt investies comme de simples peluches, tantôt comme de véritables « doudous », objets transitionnels pluriels et différenciés dans leurs caractéristiques physiques et même leur personnalité. 

A l’image des enfants qui grandissent (ou même de plus petits qui n’ont pas jeté leur dévolu sur un doudou unique), elle aime la présence de ce groupe d’objets « doux » auprès d’elle, qui l’aident à faire transition entre réel et imaginaire, journée agitée et sommeil plus ou moins tranquille. 

Dans cette histoire, le partage et l’inversion des rôles permettent aux jeunes enfants de s’identifier aux uns comme aux autres, et de retrouver l’ambivalence qu’ils connaissent bien au moment du coucher : entre le désir de dormir et l’envie de profiter, entre sommeil et excitation, entre autonomie et envie de partager ce lit, entre capacité de s’endormir seul(e) et plaisir d’être en présence (physique et psychique) d’un autre. 

Les rituels du soir, comme dans ce récit, sont peut-être les meilleurs compromis pour en finir avec la journée : Ana Ana prend finalement le temps de dire « bonne nuit » à chacun de ses doudous, et c’est ainsi que tous retrouvent le sommeil… ou presque !

A partir de : 4 ans jusqu’à 7 ans environ

7,95
« 1, 2,3… c’est la rentrée ! Popi à la crèche », magazine Popi, septembre 2017, Editions Bayard, à retrouver en médiathèque
L’histoire : 
A travers 4 scènes, on découvre quelques temps forts de la journée de Popi à la crèche : l’arrivée, le jeu, la sieste puis le goûter.  

Ce qui plaît : 
-     L’animation de la fameuse peluche dans un décor réel, aux contours familiers : on y retrouve les temps forts bien repérés et connus de certains tout-petits accueillis en crèche.
-    La déclinaison des objets transitionnels, puisque Popi a lui aussi un doudou ! 
-    Chaque photo peut être utilisée comme un imagier avec de multiples détails à nommer, verbaliser, par l’adulte et/ou par l’enfant. 
-    Le format magazine, qui enrichit la palette de découverte et de manipulation possibles en littérature jeunesse. 

Ma lecture de psy : 
Popi est un héro incontournable des histoires/imagiers pour les tout-petits. Historiquement, ce petit singe en peluche est le doudou de « Léo », autre personnage créé par Helen Oxenbury dans les années 80. Tous deux ont été repris et adaptés par Marie-Agnès Gaudrat pour le magazine Popi.

Sa mise en scène photographiée permet aux jeunes « lecteurs » une immersion très concrète dans le quotidien. 

Dans Popi à la crèche, on retrouve la fonction toute particulière du doudou pour les enfants accueillis en structure collective (ou même en individuel) : faire la transition entre la maison et le lieu d’accueil, rassurer, aider à apaiser les émotions fortes liées à la séparation avec les principales figures d’attachement. 

Cette petite histoire, enjouée et facile d’accès pour les très jeunes enfants, nous présente Popi sous son meilleur jour à la crèche ! Elle ne doit cependant pas faire oublier la complexité des émotions et l’ambivalence qui traversent les tout-petits accueillis. Un tout premier support, donc, à compléter et enrichir avec d’autres propositions auprès des tout-petits. 

A partir de : 9 mois jusqu’à 3 ans environ

Article rédigé par : Marine Schmoll
Publié le 23 janvier 2023
Mis à jour le 27 janvier 2023