Les jeux de préhension : l’éveil au monde des objets

Les jouets les plus simples sont les meilleurs car ils permettent au bébé d’être l’auteur de ses actions : saisir, relâcher, porter à la bouche, transporter, secouer, taper, tirer, pousser, mettre dedans, poser dessus, encastrer, aligner… Tout un programme, qui mérite bien quelques heures « d’entraînement » par jour, plusieurs fois par semaine, au cours de la première année de la vie ! Par Fabienne-Agnès Lévine, psychopédagogue.
Le destin du bébé du XXIe siècle est d’être vite entouré de jouets sophistiqués avec ou sans fonctions électroniques. Les jouets arrivent dans les familles souvent par hasard sur un coup de cœur ou en cadeau. Certains peuvent être lourds, bruyants et fonctionner tout seul. Rien de bien grave car l’enfant, face au monde des objets, ne peut pas faire plus que ce qui correspond à son niveau d’évolution motrice !
Cependant, chez l’assistant(e) maternel(le), en MAM, en EAJE, en ludothèque, en LAEP, en salle d’attente de PMI, les premiers jouets doivent être choisis avec soin pour leurs qualités fonctionnelles : légèreté, simplicité, maniabilité. L’enfant accueilli pourra ainsi trouver des objets adaptés à son mode de préhension. Si, en plus, il retrouve plusieurs jours ou semaines de suite le(s) même(s) jouet(s) à sa portée, il apprendra à son propre rythme à maîtriser les premiers gestes : bras dans la direction de l’objet, ouverture de la main, saisie, passage d’une main dans l’autre, relâchement.

Le B-A BA de la préhension
La préhension, c’est-à-dire le fait de prendre, est une action consciente, d’abord avec la paume de la main grande ouverte, puis avec les extrémités des doigts, en particulier le pouce et l’index qui forment une pince fine. L’origine commune avec le mot « compréhension », qui signifie étymologiquement « prendre avec ». Ce n’est pas un hasard car pendant la période sensori-motrice, la main et la pensée contribuent conjointement aux progrès de l’intelligence.
La préhension volontaire prend sa source dans le réflexe d’agrippement présent dès la naissance mais nécessite environ 4 mois pour être effective. Auparavant, ce n’est pas l’envie d’avoir l’objet entre ses mains qui manque mais les connexions neuronales qui ne suivent pas encore : la transmission entre le cerveau et les muscles s’améliore au fur et à mesure que la myéline entoure les fibres nerveuses. Enfin, après multiples tentatives de saisie, par balayage du bras dans la direction de l’objet convoité et par coordination croissante entre le regard et les gestes, le bébé de 4 mois attrape consciemment un objet, le porte à la bouche jusqu’à ce que sa main se rouvre en laissant tomber l’objet, indépendamment de sa volonté.
Entre 5 et 7 mois, le bébé tient un objet bien en main, le retourne sous tous les angles, le passe d’une main dans l’autre et enfin acquiert le relâchement volontaire : il pose ce qu’il tient quand il le décide et à peu près où il veut. Entre 7 et 9 mois, les doigts se délient, la trajectoire du bras devient plus efficace, la vision donne des indications utiles par exemple pour avancer la main tout en l’ajustant d’avance à la taille de l’objet. Entre 9 et 12 mois, la préhension pouce-index offre de nouvelles possibilités d’exploration gestuelle : lancer, pousser, tirer, ouvrir, fermer, etc.
Entre 12 et 18 mois, non seulement les objets manipulés sont de plus en plus petits mais les gestes deviennent plus précis et la pression exercée par les doigts mieux contrôlée. Ce n’est que le début d’une motricité manuelle fine et diversifiée.

L’exploration manuelle des jouets
Le bébé, aussi passionné soit-il par les relations interhumaines, est intrigué et attiré par les objets qui l’entourent. Tandis qu’il essaye d’atteindre indifféremment tout ce qui se trouve à portée de ses yeux et de ses mains, l’adulte repère pour lui ceux qui peuvent faire office de jouets, en toute sécurité. L'observation des enfants accueillis et leur manière d'aller à l'assaut de leur environnement immédiat donne des indications précieuses pour choisir les jouets. Pour chaque bébé, trouver l'objet ni trop facile ni trop compliqué à découvrir avec ses mains et sa tête, est un exercice qui mobilise l'attention du professionnel car l'observer, c'est apprendre à le connaître. En vous posant à chaque fois la question : « Cet enfant là, avec ses capacités actuelles, sera-t-il intéressé par cet objet là ? », vous resterez bien centré(e) sur ses besoins psychoaffectifs et psychomoteurs.
Pour aller à l'essentiel avec des enfants qui ne sont pas encore en âge de marcher, renoncez aux jouets d'éveil munis de boutons et de capteurs, qui portent des noms à visée commerciale pas très explicites.
• Pour un bébé de moins de 8 mois, limitez-vous à des jouets très simples. La pédagogie Pikler-Loczy fait du carré de tissu le premier jouet à agripper, froisser, soulever, déplacer ou lâcher. Il appartient au même groupe de jouets basiques que les hochets, les balles, les cubes et les anneaux. La pédagogie Montessori propose un modèle de balle de préhension avec des creux et des bosses, à acheter ou à coudre soi-même.
Lorsqu'il a trouvé une position assise bien stable, le bébé commence à se sentir plus à l'aise pour manier des objets posés devant lui et pour expérimenter les relations causales et spatiales entre eux. Alors, il est temps de rajouter des éléments avec plus de possibilités, que ce soit pour appuyer, tourner, remplir, vider, empiler ou encastrer. Les livres en carton, les boîtes à formes, les toupies, les bouliers à vagues offrent un répertoire d'actions intéressant.
• Lorsqu’il acquiert une plus grande agilité des membres inférieurs et supérieurs, il a besoin de jouets plus volumineux, plus lourds et surtout qui roulent : ballon, grosse voiture ou animal sur roues, premiers engins roulants tels chariot de marche et petit porteur à 4 roues.
• A la fin de la première année, avec sa grande vitalité et sa force musculaire croissante, le bébé prend également beaucoup de plaisir à transporter des jouets d'un endroit à un autre ou à les rassembler dans un bac, pour le vider aussitôt. Les jouets musicaux et les jouets à marteau (ou tape tape) ont en commun de faire du bruit, ce qui n’est pas pour déplaire aux enfants. Ils ont aussi l'avantage de proposer des rapports de cause à effet motivants à reproduire. C’est ce qu’une scène du documentaire « Petits d’hommes », illustre très bien : Maé, 13 mois, se déplace dans toute la pièce et se livre à une exploration méthodique avec un disque en bois qu’il fait pivoter sur différents supports : parquet, carrelage, chaise en bois, chaise en toile, etc
• Après 12 mois, quand il se met à imiter les gestes de la vie quotidienne, l'enfant a besoin de premiers jouets symboliques : téléphone, poupon, dînette, voitures, animaux et personnages.

Les relations entre les objets vues par les bébés
À partir de 3 mois, le bébé va déployer beaucoup d’efforts pour tenir, tourner et retourner un objet sous toutes ses facettes. Dès 9 mois, il s’intéresse aussi à la manière de créer des relations spatiales entre deux ou plusieurs objets : regroupés ou dispersés, rapprochés ou éloignés, superposés ou juxtaposés. Il sait aussi garder deux cubes dans une main pour en prendre un autre au sol ou qu'on lui tend, ce qui demande une bonne coordination des deux mains, chacune ayant un rôle spécifique.
Sous condition d'une réelle rigueur au niveau de la sécurité, le fait de proposer aux bébés des objets de récupération offre l'intérêt du grand nombre, de la sobriété et de la variété : bouchons de bouteilles de lait, anneaux de rideaux, flacons souples, etc. Parmi les jouets, en plus des cubes de toutes sortes, les grands classiques propices à l'intelligence en action sont les gobelets gigognes (8 à 10 boîtes de taille progressive), les trieurs de formes (ou boites à formes), les pyramides d’anneaux (tige et quelques anneaux décroissants) et les encastrements à gros tenons (poignées rondes pour tenir).
Dans « Premiers pas, premiers gestes. Le jeune enfant et le monde », la chercheuse Henriette Bloch commente des études qui montrent que « le temps passé par des bébés de 6 mois à examiner les objets, par des mouvements exploratoires, diminue ensuite au profit d’actions telle qu’assembler, catégoriser… Entre 10 et 12 mois, l’enfant commence à relier deux objets et peut en utiliser un comme outil pour faire une action sur l’autre. » Sans jouer au psychologue expérimental ou clinicien, le professionnel de la petite enfance peut, lui aussi, porter toute son attention sur ce que fait et pense un bébé face à divers objets identiques ou différents. Va-t-il les rassembler, les disperser ou les aligner ? Va-t-il frapper ou pousser l’un avec l’autre, mettre l’un dans l’autre ? De quelle façon ? Sans se prendre pour un pédiatre ou un psychomotricien, le professionnel de la petite enfance peut aussi consulter des tableaux de développement à titre indicatif. Il s’agit simplement de vérifier la progressivité des combinaisons d’actions qui témoignent de l’évolution de la pensée naissante.
Sous prétexte de jouer, c'est-à-dire de découvrir méthodiquement le monde des objets sans aucun but utilitaire, tous les enfants se préparent au maniement des outils de la vie quotidienne en vue de leur autonomie, pour manger, s’habiller, se laver et tant d’autres actions. Longtemps considérée comme une spécificité humaine, l'utilisation d'outils en vue d'obtenir un résultat, ludique ou fonctionnel, est partagée avec d'autres espèces animales. En comparant le comportement exploratoire de bébés humains et de bébés animaux avec les mêmes objets, des chercheurs ont pu démontrer à quel point les petits d'hommes arrivent grands gagnants, même si les petits chimpanzés observés ne se débrouillent pas trop mal, avec plusieurs mois de décalage. Alors, en accueil familial ou collectif, seul ou parmi les autres, laissons donc chaque bébé faire son travail de bébé et mettre son programme de maturation à l'épreuve d'un environnement immédiat à la fois sobre et stimulant.

Pour aller plus loin

À lire
• Bloch H., Premiers pas, premiers gestes. Le jeune enfant et le monde, Odile Jacob
• Denis P., Jeux de bébés,  Erès, 1001 bb
• Appell J-R, Jeux et jouets, pages 63 - 70, Joue, bébé joue, Spirales, Erès ou télécharger sur : https://www.cairn.info/revue-spirale-2002-4-page-63.htm
A visionner
2 extraits du documentaire de Laurent Frapat “Petits d’homme” : Agathe et le hochet , Maé et le palet

Article rédigé par : Fabienne-Agnès Lévine, psychopédagogue
Publié le 18 juillet 2017
Mis à jour le 14 septembre 2017