Cinéma : Chanson douce, une garde d’enfant qui vire au cauchemar

Affiche du film chanson douce
Le film « Chanson douce » tiré du livre de Leïla Slimani (Goncourt 2016) aborde le travail des auxiliaires parentales, appelées aussi « gardes d’enfants à domicile » ou « nounous » dans le film. Inspiré d’un fait-divers new-yorkais, on y découvre Paul et Myriam (Leïla Bekhti), un couple parisien qui souhaite recourir aux services d’une auxiliaire parentale pour leurs deux jeunes enfants afin que Myriam puisse reprendre le travail. Ils engagent alors Louise (Karin Viard), habituée à la garde d’enfants, pour s’occuper de la petite Mila (5 ans) et son frère Adam (11 mois). Rassurés par ses compétences, les parents-employeurs vont laisser une place bien trop conséquente à Louise et finiront par en payer le prix fort.

Le métier d’auxiliaire parentale, très peu représenté, consiste à garder des enfants au domicile des parents. Elles sont exactement 116 286 à exercer ce travail en France, dont près de la moitié se trouve en Île de France. Leïla Slimani, l’auteure, raconte d’ailleurs dans une interview qu’elle a « grandi au Maroc, où des nounous vivaient avec nous. Petite déjà, j'étais fascinée par la relation (…) avec la famille, qui à la fois nous élevaient comme leurs enfants, que l'on pouvait appeler maman mais qui n'étaient pas nos mamans et qui restaient des étrangères ». Cette place complexe qu’occupe l’auxiliaire parentale dans une famille est justement au cœur de ce thriller.

A l’arrivée de Louise, le couple revit. Soigneuse, organisée et très liée aux enfants, elle leur permet de se focaliser sur leur vie professionnelle active en se substituant doucement mais sûrement aux tâches du quotidien. Complimentée pour son travail par l’entourage familial, elle veille à la perfection sur les deux enfants avec lesquels elle tisse un lien privilégié, ce qui permet au couple de se retrouver. En compagnie d’autres auxiliaires parentales, Louise alterne ses journées entre le parc, la garde d’Adam et l’éducation de Mila auprès de laquelle elle s’investit beaucoup.

Mais peu à peu, Myriam et Paul vivent comme une intrusion la présence de Louise chez eux. Jalouse, la maman de Mila et Adam s’en veut de ne pas passer assez de temps avec ses enfants et culpabilise de se reposer autant sur Louise.
La question du territoire est très présente dans le film : Louise envahit de plus en plus la vie de famille. Elle arrive tôt, finit très tard, prend des décisions éducatives pour les enfants (leur donner des produits périmés pour éviter le gaspillage). Louise en vient à être en rivalité avec la grand-mère des enfants et s’énerve quand la famille souhaite passer du temps sans elle. Sa vie finit par tourner uniquement autour des enfants dont elle est de plus en plus proche.

Interrogée par une autre auxiliaire parentale, Louise reconnait qu’elle n’envisage pas un « après » sans Mila et Adam et s’angoisse même à l’idée de devoir un jour partir. Pour y remédier, elle tente par tous les moyens de convaincre Mila qu’elle a envie d’un petit frère ou d’une petite sœur et essaye de laisser au couple de plus en plus de moments d’intimité pour que Myriam tombe à nouveau enceinte.

Petit à petit, l’auxiliaire parentale sombre dans la névrose. Hallucinations, agressivité, elle en vient à commettre le drame peu après avoir découvert qu’Adam avait obtenu une place en crèche.

Si les médias ont fait le choix de se concentrer sur le côté « effrayant » d’une auxiliaire parentale et des peurs que peuvent ressentir n’importe quel parent à laisser son enfant et son chez-soi à une étrangère, le film quant à lui creuse une dimension bien plus importante : comment cadrer ?
Car si Louise est belle et bien folle, elle n’en reste pas moins exploitée par les parents. Ces derniers en profitent et l’incitent à faire le ménage dans l’appartement, à préparer le dîner et tiennent même à l’emmener en vacances avec eux pour avoir du temps à deux. Pratique la Louise ! Elle se transforme en cuisinière et hôtesse pour les amis de Myriam et Paul et veille tard quand ils sortent.
D’ailleurs Paul, le père, finit même par avouer avec colère à sa femme qu’ils « explosent son quota d’heures » et qu’elle pourrait se retourner contre eux. Car ce couple de trentenaires n’est pas différent de certains parents-employeurs extrêmement pris par leurs carrières. Tous deux  rechignent d’ailleurs à employer une première auxiliaire qui leur signifie vouloir des horaires cadrés et ne pas finir tard. Facile pour eux de céder à la tentation de laisser les rênes à cette « nounou modèle » qui joue les intendantes, cuisinières et même mamans de substitution !
 
Si ce film peut apporter un regard négatif sur les auxiliaires parentales, il insiste bien sur la folie de Louise et contrebalance avec le personnage de Wafa, elle aussi garde d’enfant. Cette dernière s’avère bien plus saine, tendre avec l’enfant dont elle s’occupe sans pour autant négliger sa propre vie personnelle.
 
Article rédigé par : Nora Bussigny
Publié le 17 décembre 2019
Mis à jour le 17 décembre 2019