Accueil du jeune enfant : ce qu'en pensent les économistes de Bercy

Selon le service de communication de Bercy, il ne faut pas y voir malice et c’est un hasard de calendrier. Néanmoins on peut s’interroger sur la sortie de ce Trésor-Eco consacré à la petite enfance et intitulé « Les inégalités d’accès aux crèches et leurs enjeux économiques » précisément en ce mois de janvier. Au moment même où se négociera la future COG et où la concertation autour de la création d’un SPPE bat son plein. Tour d’horizon des points forts du rapport.
Hasard de calendrier…
Selon le service de communication du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, la sortie de ce Trésor-Eco consacré à l’accueil du jeune enfant était programmée et n'est absolument pas liée au contexte actuel de négociation de la future COG et du SPPE. Trésor-Eco est une collection de publications dont les auteurs sont des économistes de Bercy. Les sujets sont choisis, selon leurs centres d’intérêts mais surtout des lors qu’ils peuvent être source d’analyse économique. Ne pas y voir de malice donc, ni d’intention de s’immiscer dans les débats actuels autour de l'accueil du jeune enfant. Ne pas non plus s’inquiéter des constats (aux allures parfois de partis pris). Oublions donc que Bercy a souvent le dernier mot puisque c’est Bercy qui a les sous ! Et que, comme chacun le sait, l’argent, les financements, c’est le nerf de la guerre !
En conclusion, s’il n’y a pas malice, il y a néanmoins maladresse et certainement manque de dialogue et coordination !

Un rappel en 4 points
En introduction, on peut lire :
1.    Que « les politiques publiques d’accueil des enfants de moins de 3 ans poursuivent un double objectif : soutenir l’activité professionnelle des parents et favoriser le développement des enfants jusqu’à l’entrée à la maternelle. »
À noter : rien à dire c’est effectivement le sens de la politique familiale française
2.    Que « Lors des premiers mois de l'enfant, c'est la garde par les parents qui est la plus favorable à son développement, surtout lorsqu'elle est exercée par les deux parents. Mais après la première année, l'accueil formel, particulièrement en structure collective, devient plus favorable à l'enfant, surtout s'il est issu d'un milieu modeste. À long terme, le financement de places d'accueil des jeunes enfants permet ainsi de développer leurs capacités, le capital humain en général, et de réduire les inégalités sociales. »
À noter : là encore, rien de nouveau, si ce n’est que les auteurs intègrent la dimension réduction des inégalités des modes d’accueil.
3.  « L'offre d'accueil en crèche inégalement répartie sur le territoire rend parfois difficile l'accès à la garde formelle et limite la capacité des parents à exercer un emploi, en particulier dans les familles monoparentales. De plus, les restes-à-charge liés à la garde formelle en limitent le recours chez les familles modestes. La garde par les parents, essentiellement exercée par les mères, les éloigne de l'emploi lorsqu'elle est prolongée trop longtemps et vient ainsi nourrir les inégalités sociales et de genre. »
À noter : la garde formelle se réduit ici à l’accueil collectif. Est-ce oublier que les assistantes maternelles sont le premier mode d’accueil formel en France ?
4. « Le développement de l’offre d’accueil en crèche nécessite d’en améliorer la gouvernance en définissant un chef de file parmi les nombreux acteurs concernés. »
À noter :
c’est notamment l’objet de la concertation sur le SPPE actuellement en cours.
4bis. « Rapprocher le reste-à-charge de la garde par un assistant parental par ailleurs moins coûteuse pour les finances publiques de celui de la garde en crèche (...) permettra de favoriser le recours des ménages modestes à la garde formelle ».
À noter : référence faite ici à la réforme du Cmg-assistante maternelle de la LFSS 2023.
Des points de rappel qui annoncent les trois parties du texte proposé :
1.    État des lieux de l’accueil des jeunes enfants en France
2.    La garde formelle est favorable à l’enfant et contribue à réduire les inégalités sociales
3.    Réformes récentes et perspectives pour la garde des jeunes enfants

Lire entre les lignes
Bien sûr, on n’apprend rien dans cette publication. Mais la façon dont sont présentés les différents rapports, les chiffres, les données et études, en dit beaucoup sur les intentions et partis-pris. Il n’est donc pas question ici d’en faire une lecture exhaustive, mais de mettre en évidence quelques « constats » qui ne seront probablement pas du goût de tous.
À noter : les économistes, auteurs du texte, parlent encore et toujours de modes de garde, mais en revanche se refusent à parler d’assistante maternelle ou même d’assistant maternel et préfèrent le terme assistant parental. Pourquoi ? « Le terme d’assistant parental sera employé dans un souci de neutralité par rapport au stéréotype qui associe la garde des jeunes enfants aux mères et à une profession féminine, même si dans les faits cette profession est très majoritairement exercée par des femmes ». (Sic)

Garde formelle : l’accueil collectif privilégié
Les économistes signant ce Trésor-Eco considèrent que la garde formelle si elle ne débute pas trop tôt a un impact positif sur le développement de l’enfant. Mais, précisent-ils, « les modes de garde formels ont des effets positifs à long terme, surtout en accueil collectif. Avec le développement cognitif des jeunes enfants, l’accueil collectif participe au développement du capital humain qui, agissant sur la productivité, accroît la croissance potentielle à long terme. »
Et de citer les études qui évoquent les bienfaits de l’accueil collectif sur les futurs résultats scolaires notamment en sciences, le langage et même sur les compétences émotionnelles et relationnelles. Bref, l'idée étant de démontrer sa supériorité sur l'accueil individuel... Particulièrement pour les enfants issus de milieux modestes ou fragiles qui pourtant fréquentent peu ce mode d’accueil. D’autant que plus les parents ont des revenus modestes, plus ils renoncent à une garde formelle. Ce qui engendre selon les auteurs « des inégalités de genre » puisqu’en majorité ce sont les mères qui cessent leur activité pour garder les enfants. Les auteurs pointent un manque de places en garde formelle et soulignent qu’en ce qui concerne l’accueil collectif « la création de places est désormais principalement portée par les opérateurs privés qui peuvent s’appuyer sur un modèle économique rentable grâce à une forte mobilisation des financements publics et une tarification plus souple ». Notant que cela peut toutefois « renchérir le coût des crèches pour les familles : le Reste à charge des micro-crèches Paje privées serait environ deux fois supérieur à celui des crèches publiques financées par la PSU ». Mais ils n’en tirent aucune conclusion.

L’accueil individuel ? Qu’il se transforme en accueil collectif !
Les assistantes maternelles apprécieront ce morceau choisi ! « Par ailleurs, les places d’accueil auprès d’assistants parentaux, moins coûteuses pour les finances publiques, pourraient évoluer vers un mode d’exercice se rapprochant de l’accueil collectif, plus favorable au développement des enfants mais aussi générateur d’emplois de meilleure qualité. ». Et de citer les mam et les crèches familiales qui « permettent un exercice plus collectif de la garde. » Ajoutant pour bien enfoncer le clou : « Ces conditions d’exercice de garde rapprochent garde individuelle et collective et sont à la fois susceptibles de rendre ce métier plus attractif pour les professionnels de la petite enfance et rendre ce mode de garde plus attractif pour les familles. ».
Et après cette descente en flammes du premier mode d’accueil formel… les auteurs concluent de façon assez paradoxale puisqu’ils se félicitent de la réforme du Cmg instaurée dans la Loi de financement de la sécurité sociale 2023. En précisant : « Cette mesure assurera une meilleure solvabilisation des familles et permettra de favoriser le recours par les ménages modestes à la garde professionnelle auprès d’un assistant parental. »

Un droit opposable ? Pourquoi pas ?

Alors que c’est une question très touchy et que le Ministre a officiellement donné sa position sur ce point, les auteurs font l’apologie du droit opposable à la garde d’enfant avec moult exemples de pays l’ayant adopté à l’appui (Allemagne, Suède, Finlande, Angleterre, Danemark et Islande). Ils expliquent : « La définition d’une entité cheffe de file pour l’accueil collectif du jeune enfant en France permettrait d’en clarifier la gouvernance. Cette compétence pourrait s’accompagner d’un renforcement des incitations à la création de places en crèche pouvant à terme prendre la forme, par exemple, d’un droit opposable. ». Et boum, après la gaffe de Gabriel Attal la semaine dernière, les trois économistes de Bercy en remettent une petite couche... Mais il est vrai qu’eux ont pris soin de préciser « à terme ».
Conclusion ? On a d’emblée noté en début d’article que la période est mal choisie pour sortir cette « analyse ». Deuxième point : finalement, est-ce bien raisonnable de laisser des économistes qui connaissent mal le secteur écrire sur l’accueil des jeunes enfants ? Car s’ils s’appuient sur toutes sortes d’études françaises et internationales (abondamment citées en notes), leur interprétation est parfois fausse et même blessante pour tous ceux qui au quotidien accueillent (et non gardent) les jeunes enfants. ■

Voir l’intégralité du Trésor-Eco 323

Reprise de l'article publié dans La lettre Hebdo 79
Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 30 janvier 2023
Mis à jour le 17 mars 2023