Enquête Cnaf : près de la moitié des crèches collectives touchées par la pénurie de professionnels

Ce matin, lundi 11 juillet, la Cnaf a restitué les résultats de l’enquête sur la pénurie de professionnels au Comité de filière Petite Enfance, en présence de Jean-Christophe Combe le nouveau ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées qui devait à l’issue de cette présentation faire des annonces sur le sujet. Le point sur les résultats et premiers enseignements de cette étude de grande envergure. Et les éventuelles annonces du ministre.

 
Une étude à la demande du Comité de filière
L’étude que la Cnaf a conduite à la demande du Comité de filière s’inscrit dans un contexte où les modes d’accueil – tous les modes d’accueil –  connaissent de graves et récurrentes difficultés de recrutement de personnels. Et le Comité de filière souhaitait en avoir une cartographie précise : quelle est l’ampleur de ces difficultés ? Tous les territoires sont-ils touchés (l’idée étant de géolocaliser le plus précisément possible la pénurie de pros) ? Quels effets ont ces difficultés ? Quels métiers sont les plus touchés ? Ces éléments devant lui permettre d’évaluer et d’anticiper les besoins, région par région, en places de formation.
Guillaume Roussier, responsable du pôle petite enfance à la Cnaf, précise : « l’enquête n’a porté que sur la pénurie de personnels en crèche y compris en crèches familiales. En effet, le cas des assistantes maternelles est assez bien renseigné par les données de l’Observatoire National de la Petite Enfance (ONAPE) ».

Une méthode inédite pour une enquête de grande ampleur
La « commande » émanant du Comité de filière Petite Enfance dont l’un des groupes de travail est consacré à la lutte à moyen terme contre la pénurie de professionnels, ses membres ont été mis à contribution. « L’enquête, explique Guillaume Roussier, a été conduite en collaboration avec les membres du Comité. Toutes les têtes de réseau ont été consultées pour établir le questionnaire qui a été envoyé par la Cnaf à toutes les crèches PSU et Paje répertoriées dans sa base de données. » Soit au total à 16 449 EAJE publics, privés lucratifs et privés non lucratifs comprenant crèches et micro-crèches collectives, et crèches familiales et représentant 432 005 places. « Et, souligne-t-il encore, les gestionnaires ont été des relais d’information importants. Non seulement ils relayaient le questionnaire mais par ailleurs s’il y avait des questions, ils nous les signalaient ».

Une photographie des places fermées et des postes vacants au 1er avril 2022
15 986 crèches (hors crèches familiales. Voir encadré) représentant 411 959 places ont donc été sollicitées du 31 mars au 16 mai 2022. 8176 soit 51,1% (représentant 58% des places d’accueil) ont fourni des réponses de qualité, c’est-à-dire exploitables. Un excellent taux de réponse qui a permis d’obtenir des résultats pertinents tant au plan national qu’au plan départemental. Leurs réponses devaient permettre de donner une photographie exacte de la situation en termes de places fermées (places fermées durablement en raison d’un manque de personnel) et de postes vacants (non pourvus au moins depuis 3 mois alors même que le gestionnaire souhaitait recruter + les absences longues non remplacées par manque de candidats) au 1er avril 2022. Guillaume Roussier précise : « Nous avons eu recours à une méthode de redressement afin de nous assurer de la représentativité des réponses au plan départemental, régional et national. Pour cela, nous avons retenu plusieurs critères : type de gestion (privé du secteur marchand, privé non lucratif, public), type de financement (PSU ou Cmg structure) et territoire d’implantation : métropole Ile-de-France, métropoles* et territoires hors métropoles (comprenant tout le reste du territoire, zones urbaines et zones rurales et l’Outremer). »
Voilà pour la méthode rigoureuse et fiable.


Près de 50% des crèches collectives touchées par la crise de recrutement
48,6 % des EAJE déclarent un manque de personnel auprès des enfants. Selon leurs réponses, 8 908 postes sont vacants, ce qui représente environ 8,5% des effectifs totaux auprès des enfants. Ces chiffres confirment donc une vraie difficulté de recrutement.
A l’échelle nationale, l’enquête propose un indicateur - le degré d’exposition au risque de rencontrer des difficultés de recrutement – qui renseigne assez précisément sur la situation. Le nombre d’ETP (soit un poste à temps plein) manquant par rapport aux enfants accueillis est de 21,62 pour 1 000 places agréées. Pour les micro-crèches, il est légèrement plus élevé : 23,71 ETP pour 1 000 places. Il semble donc que plus encore que les crèches, elles soient touchées par la pénurie de personnel alors même qu’elles recrutent souvent à des niveaux de qualification inférieure.

De grandes disparités territoriales
Évidemment et ce n’est pas une grande surprise, les disparités d’un département à l’autre sont énormes. Elles varient de 1 à 9. Ainsi l’Île-de-France, qui représente 30 % des places visées par l’enquête, concentre 41 % du total des postes vacants en France (soit 3639 postes).
En Corrèze, seuls 4 postes pour 1 000 places ne sont pas pourvus, alors que dans les trois départements de la première couronne parisienne (Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis et Hauts-de-Seine), ils sont de 36 pour 1 000 places. Mais le Rhône, Paris et la Guyane sont aussi en fortes tensions : 30 postes vacants pour 1 000 places !
On voit bien que les métropoles sont les plus exposées au manque de personnels et qu’elles concentrent donc tous les problèmes de recrutement. Hors métropoles, en moyenne, il manque 16 ETP pour 1000 places.

Les auxiliaires de puériculture « une denrée » rare
Au niveau national, l’enquête confirme ce que tous les gestionnaires savent, la pénurie touche en priorité les auxiliaires de puériculture, un des métiers clefs de l’accueil du jeune enfant. 45% des besoins d’AP ne sont pas couverts, soit 3972 postes. En ce qui concerne les Éducateurs de jeunes enfants (EJE), le pourcentage descend à 17% soit 1550. Les postes vacants d’infirmières-puéricultrices sont 334. Les autres métiers ne sont pas précisément renseignés par l’enquête mais ils  correspondent à 1516 postes vacants. Voici le détail des 8908 postes. Mais c’est sans compter Norma !
Si la réforme entre en vigueur en septembre, cela nécessitera la création supplémentaire de 651 postes d’EJE et 700 postes d’infirmières puéricultrices (habilitées à être référents santé inclusion.). Ces deux derniers nombres n’ayant pas été redressés, ils ne concernent que les EAJE ayant répondu au questionnaire.

Personnels de direction : une pénurie moindre
Globalement du côté des personnels de direction (directeur, adjoint et référent technique), la crise de recrutement est moins sévère. Une crèche sur 10 seulement est concernée (1 poste vacant pour 10 EAJE) par des difficultés à trouver son personnel de direction. Mais globalement c’est tout de même 1623 postes qui sont déclarés vacants.

Quel impact sur le nombre de places fermées ?
L’étude a interrogé les EAJE sur le nombre de places durablement fermées ou inoccupées faute de personnel pour encadrer les enfants conformément à la réglementation en vigueur. 9512 places (soit 2,3% du total des places recensées dans le cadre de l’enquête) n’ont pu être attribuées.
Avec là encore une forte concentration territoriale : la région Île-de-France concentrant 75 % des places fermées. Paris (9 % des places en France) représente à elle seule 39 % des fermetures.
Les trois départements de la première couronne proposent 12 % des places de crèche mais constituent eux 34 % des fermetures.
A noter, et l’étude ne la mesure pas, que nombre des gestionnaires, sans fermer de places, ont été contraints de réduire les amplitudes d’horaires d’ouverture de leurs structures.

Conclusion : des tensions de fonctionnement au sein des EAJE
Pour Guillaume Roussier, les enseignements de cette étude sont de trois ordres, « la pénurie de personnel est un phénomène relativement diffus mais ses effets se répercutent surtout dans les métropoles et l’Ile-de-France. Les fermetures de places sont, elles, vraiment concentrées en Ile-de-France. Enfin, il est à noter que la part de places fermées est de 2,3 % alors que la part de postes vacants se situe entre 6,5 et 8,6 %… ce qui illustre parfaitement les tensions de fonctionnement que rencontrent aujourd’hui les EAJE. Et ces difficultés sont majorées par le nombre de postes de direction de crèches vacants. »

Effectivement, en proportion, il y a plus de postes vacants que de places fermées. Et globalement pour un poste vacant, on « ne ferme » qu’1,07 place. Ce qui ne correspond pas aux taux d’encadrement réglementaires et qui doit mettre sous pression le personnel présent.

Le nouveau ministre souhaite apporter des réponses directes à l’urgence
Jean-Christophe Combe, le nouveau ministre des Solidarités, de l'Autnomie et des Personnes handicapées, présent ce matin, a souhaité montrer aux acteurs du secteur, qu’il était à l’écoute et conscient des difficultés. Il pourrait, devrait, annoncer deux premières mesures piochées dans les propositions du comité de filière. Avant la réunion du groupe de travail pénurie de ce matin, il avait rencontré Élisabeth Laithier, la présidente du comité de filière qui lui avait présenté les principales propositions adoptées par le bureau le 29 juin. Et notamment les plus consensuelles : création d’un Observatoire de la qualité de vie au travail et des conditions de travail des pros de la petite enfance, lancement d’une grande campagne de promotion des métiers de la petite enfance, soutien de l’état pour permettre une augmentation significative et pérenne des rémunérations, et harmonisation des restes à charge pour les familles quel que soit le mode de garde choisi.
A priori, pourraient déjà être retenues et annoncées les deux premières propositions. Ce qui constitue un double signal envoyé aux professionnels du secteur : la reconnaissance de leurs conditions de travail difficiles voire dégradées et la nécessité de donner plus de visibilité et d'attractivité aux métiers de la petite enfance.
En ce qui concerne la partie financière des propositions… il y aura une clause de revoyure pour septembre, car cela nécessite réflexion, négociation avec les gestionnaires et probablement un arbitrage du côté de Bercy.

* Bordeaux, Brest, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Metz, Montpellier, Nancy, Nantes, Nice, Orléans, Rennes, Rouen, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulon, Toulouse et Tours



 

Le cas des crèches familiales

Le questionnaire a été envoyé à 463 crèches familiales (soit 20 046 places). 48,2% d’entre elles ont répondu. Les questionnaires n’ont pas été retraités ; les réponses représentent donc les répondants et ne peuvent donner une photographie aussi exacte que pour les crèches collectives. 427 postes d’assistants maternels sont vacants, ce qui équivaut à 44 ETP pour 1 000 places agréées. Pour les postes de direction : 35 ETP pour 1000 places. Le nombre de places fermées, faute d’assmat est de 1 170 soit un peu plus de 10% des places.

 

Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 11 juillet 2022
Mis à jour le 01 novembre 2022