Les grands enjeux des Schémas Départementaux des Services aux Familles

Initiés en 2013-2014, les Schémas Départementaux des Services aux Familles (SDSF) sont devenus en peu de temps la clef de voute de la politique petite enfance. Parce que locaux ils sont conçus pour répondre au plus près des besoins des familles selon les territoires. Et parce qu’aussi ils sont créés et menés en concertation avec tous les acteurs qui comptent dans la mise en œuvre de la politique familiale. Actuellement 93 départementaux ont signé un SDSF.
 En 2013-2014, le gouvernement a initié la mise en place de schémas territoriaux qui rassemblent les CAF, les services concernés de l’État (Cohésion sociale, Éducation Nationale, Ville, Justice…), les conseils départementaux, des représentants des communes et des professionnels concernés, le tout sous l’égide du Préfet.

Des objectifs ambitieux et 17 départements préfigurateurs
Ces schémas territoriaux devaient permettre aux différents partenaires impliqués dans la mise en œuvre des services d’accueil de la petite enfance et de soutien à la parentalité, de définir ensemble un diagnostic partagé et un plan d’action, qui décline localement les priorités nationales dont : développer l’offre d’accueil du jeune enfant et réduire les inégalités territoriales en s’appuyant sur la complémentarité des modes d’accueil ; faciliter l’accès des familles vulnérables ( familles précaires, familles monoparentales, familles confrontées au handicap, à l’illettrisme, etc.) aux services d’accueil de la petite enfance et au soutien à la parentalité pour garantir l’universalité d’accès et la mixité ; mailler progressivement le territoire en matière d’offre d’accompagnement à la parentalité, en proposant des outils visant notamment à mieux articuler l’accueil du jeune enfant et les actions de soutien à la parentalité ; faciliter une action coordonnée des acteurs sur le territoire ; améliorer l’information des familles sur l’offre disponible ; favoriser le recrutement et la formation des professionnels de la petite enfance. Après quelques hésitations c’est l’échelon départemental et non régional qui fut choisi d’où leur appellation "Schémas départementaux des services aux familles". En ce qui concerne les modes d’accueil des moins de trois ans, la création des schémas départementaux de services aux familles reposait sur un constat simple  : cela n’a pas de sens de d’évaluer l’offre de places d’accueil au niveau national alors même qu’il y a des grandes disparités entre les départements ( des variations allant de 1 à 10 ), mieux vaut concevoir une appréciation plus fine pour pouvoir ajuster offres et demandes en fonction des besoins réels des territoires.  
Un beau projet pour lequel il a été décidé de choisir des départements non pas tests ( le principe de cette politique était validée) mais « préfigurateurs » pour vérifier que le modèle et les procédures choisis étaient les bons. Le dispositif a donc d’abord été lancé avec 17 départements volontaires (Ain, Bouches du Rhône, Charente, Charente Maritime, Corrèze, Côtes d'Armor, Jura, Haute-Loire, Indre et Loire, Loire Atlantique, Lot, Pas de Calais, Pyrénées Atlantiques, Bas Rhin, Seine Maritime, Seine Saint-Denis, La Réunion) pour ensuite être élargi. Aujourd’hui 93 schémas départementaux des services aux familles ont été signés. Et une dizaine le seront encore d’ici la fin de l’année en principe. « Tout le monde a joué le jeu se réjouissait Daniel Lenoir, l’ancien directeur général de la Cnaf, il y a quelques mois. Et pour la prochaine COG, ils constitueront un point d’appui considérable. »

Une étude de la Cnaf en demi-teinte
La Cnaf a d’ailleurs commandé une étude sur le sujet pour comprendre ce qui marche, ce qui peut être amélioré. Intitulée « Evaluation de la mise en œuvre des Schémas Départementaux des Services aux Familles », elle était destinée à recueillir « le regard et l’analyse des acteurs eux-mêmes et à évaluer l’efficacité et la pertinence de la démarche, des plans d’actions et des premiers éléments de mise en œuvre ». Elle a porté sur 9 des départements préfigurateurs : Pyrénées-Orientales, Pas de Calais, Loire Atlantique, Jura, Lot, Charente Maritime, Bas-Rhin, Côtes d’Armor et Seine Saint-Denis.
Trois questions étaient posées : comment s’est passé le partenariat lors de la mise en œuvre ; est-ce que cela a permis de lutter contre les inégalités territoriales ; comment ces schémas se sont- ils articulés avec les politiques petite enfance et parentalité déjà en place ?
Premier constat : il y des disparités entre les 9 départements étudiés à la fois dans la mise en place des procédures et dans l’appréciation du dispositif. Les dynamiques partenariales fonctionnent en général sur un triptyque Etat/Caf/Conseil Départemental et dans la plupart des cas c’est la Caf et non l’Etat via le Préfet qui a le lead. Avec même dans certains départements un effacement significatif du Conseil Départemental et de l’Etat au profit de la Caf. On note aussi dans ces partenariats une ouverture vers d’autres acteurs tels que l’Education nationale, l'Association des maires du département, l’Union Départementale des Associations Familiales (UDAF) et la Mutualité Sociale Agricole (MSA). Globalement cette logique partenariale satisfait car elle est plus lisible que la dynamique de réseau liée plus aux personnes qu’aux institutions. Néanmoins l’étude en pointe les failles : peu ou pas assez de réunions, pas de réel pilotage et pas de décisions (qui se prennent ailleurs).
Les SDSF permettent pourtant des avancées notables comme celles de décloisonner les politiques concernant les familles (l’accueil de la petite enfance et les soutiens à la parentalité). Tant et si bien que la question se pose de l’ouverture des schémas à d’autres champs comme la jeunesse. Sur ce point les différents départements étudiés ne sont pas tous d’accord.  En revanche tous regrettent que peu d’actions véritablement co-construites voient le jour. Ils évoquent des juxtapositions d’actions menées par les différents partenaires. Conclusion : les SDSF ne sont pas encore de véritables outils pour piloter des politiques petite enfance ou familiales cohérentes, encore moins des plans d’actions, mais plutôt des espaces communs de réflexion et discussion sur ces sujets. Une première étape a été franchie : apprendre à travailler ensemble, reste à le faire efficacement et plus concrètement. Car côté résultat un des échecs patents pour le moment mis en évidence par l’étude c’est une territorialisation peu ou pas aboutie. Dans pratiquement tous les cas les schémas n’ont pu réduire les inégalités territoriales au sein du département. Il est vrai que peu de ces SDSF ont réussi à associer comme ils auraient dû, les communes (voir ci-dessous).
Depuis cette étude réalisée au début de l’année 2016 il y a eu des avancées. Néanmoins des pistes d’amélioration ont pu être définies notamment en ce qui concerne l’articulation des SDSF avec les orientations nationales et une nécessaire intégration des communes et EPCI (Etablissements Publics de Coopération Intercommunale), acteurs clefs  et trsé en phase avec les territoires dans les modes d’accueil et le soutien à la parentalité.

Une journée de débriefing pointant réussites et difficultés
Puisque l’étude portait sur 9 des 17 départements préfigurateurs on peut penser que les écueils rencontrés étaient liés au fait « qu’ils essuyaient les plâtres » en quelque sorte. Pour aller plus loin et percevoir les atouts et faiblesses des SDSF, la Direction Générale de la Cohésion Sociale du Ministère des Solidarités et de la Santé a organisé le 25 octobre 2017 une journée nationale des Schémas Départementaux des Services aux Familles où étaient conviés les acteurs principaux des 87 départements où ils ont été d’ores et déjà mis en place. Certains ayant du recul, d’autres en étant encore à leurs balbutiements. En ouvrant cette journée Jean-Pierre Vinquant, le Directeur Général de la Cohésion Sociale a insisté l’originalité du projet de départ : un préfet représentant de l’Etat responsabilisé dans la décentralisation des services aux failles, « cela avait de quoi surprendre ». Et a rappelé le but de cette rencontre : bilan des bonnes pratiques et difficultés et recommandations sur ces SDSF en vue de la prochaine COG. Ce fut le cas puisque de nombreux acteurs de terrains ont pu exposer leurs expériences positives ou plus difficiles. Avec une diversité de situations importantes tant dans le mode de gouvernance que dans les relations de partenariat. Et certains départements et Caf tels les Côtes d’Armor ou l’Aube ont d’ailleurs signifié ne pas se reconnaitre dans l’étude de la Cnaf même quand ils y avaient participé.

Les communes veulent être au cœur du dispositif
 Parmi les déçues des Schémas départementaux on trouve les communes et leurs représentants. Elisabeth Laithier, co-présidente du groupe Petite enfance à l’Association des Maires de France (AMF) assez sceptique considère que les communes n’ont pas eu la place qu’elles devaient avoir lors de la préparation des schémas. En effet a-t-elle rappelé, dans les textes il est prévu que les communes y soient associées dès le départ. Pourtant ce sont les grandes absentes du dispositif dans la plupart des cas. Dans la préparation, la mise en place et le suivi des schémas. « Une aberration a souligné Elisabeth Laithier quand on sait la part qu’elles prennent au financement de la création des places d’accueil ». Regard critique aussi sur le mode de gouvernance adoptée avec une Caf au rôle prépondérant. Il faut absolument a-t-elle martelé que les élus départementaux et communaux puissent faire partie du dispositif. « En principe, le préfet drive, la Caf a en charge le secrétariat général et les communes sont au cœur du dispositif. C’est loin d’être le cas partout. En Meurthe et Moselle, il n’y a pas encore de schéma signé et en tant que maire adjoint de Nancy, je n’ai jamais été convoquée » regrette -t-elle.

Vers des schémas départementaux plus contraignants ?
Daniel Lenoir, alors encore directeur général de la Cnaf, un des parrains de ces SDSF, a pu lors de cette journée, en toute liberté sonné regard sur ce dispositif. Un regard qui a-t-il précisé a évolué au fil de ces 4 années : « Quand j’ai été nommé a-t-il expliqué il y a 4 ans, se posait la question de l’aspect prescriptif ou seulement indicatif de ces schémas territoriaux. J’étais pour qu’ils, restent indicatifs et qu’ils puissent donner lieu à une créativité institutionnelle. ». Pour lui le bilan est positif : « le dispositif crée a permis, sans loi, de réunir et faire travailler ensemble tous les protagonistes. Et en même temps, il n’a pas tenu toutes ses promesses puisqu’il n’a pas permis notamment d’atteindre les objectifs fixés par la Convention d’objectifs et de Gestion 2013-2017 le développement de l’accueil du jeune enfant » En termes de nombre de places créées en crèches collectives. Et en même temps a été constaté l’explosion des micro crèches :  25 000 places crées dont la plupart en cmg –structures) offertes dans des zones où il n’y avait pas toujours de besoins. « Nous n’avons pas su réguler ce développement a regretté Daniel Lenoir. Ces places coûtent plus cher à la Cnaf et aux familles et ne participent pas ni à la régulation des dépenses ni au respect de la mixité sociale. Ma conception des schémas départementaux de services aux familles a donc changé. Je pense qu’il faut qu’on sorte d’un triple piège : celui d’objectifs uniquement nationaux en terme de places, celui de la surbudgétisation du Fonds National d’action Social ( FNAS) pour aller vers une approche plus qualitative que quantitative et plus territorialisée qui permette une régulation fine de l’ensemble de la dépense. Les SDSF doivent être la base de cette régulation et s’ouvrir en sortant du cadre accueil petite enfance, être élargi à la parentalité au périscolaire et au scolaire. Je pense que qu’il faut les rendre opposables en tout cas en ce qui concerne la petite enfance. Cela ne veut pas dire qu’ils devraient être prescriptifs puisqu’il n’y a pas de service public de la petite enfance. Cela signifie qu’il serait possible en s’appuyant sur eux d’interdire la création de nouvelles places là où il y en a suffisamment ou d’inciter à en créer via des appels d’offres et des aides spécifiques à en créer là où c’est nécessaire.  Mais pour cela il faudrait changer le cadre juridique » conclut-il.

Quel avenir pour les schémas départementaux des services aux familles ?
Pour les uns, les schémas départementaux des services aux familles doivent aller plus loin. Devenir opposables comme le suggére Daniel Lenoir ( ce que ne souhaitent pas l’AMF, soucieuse de préserver leur indépendance protégée par le principe de libre administration) ? Peut-être pas. En revanche, pour mieux jouer leur rôle de régulation des offres par rapport aux besoins, il y a consensus pour dire qu’il faut qu’ils puissent prendre en compte dans leur diagnostic et prévisions l’accueil individuel (assistantes maternelles et MAM) et les micro-crèches Cmg-strcutures qui jusqu’à présent ne le sont pas vraiment. Or elles sont souvent sources de déstabilisation en se créant au détriment de l’offre existante. « Il faut maintenir l'existant et aider les communes à le faire, elles qui connaissent de grosses difficultés financières souligne Elisabeth Lanthier avant de développer de multiples structures. En 2016, les micro crèches ont connu des évolutions à trois chiffres -200% en 4 ans - alors que dans le même temps les EAJE n’ont progressé que de 16% » .
Pour David Blin, chef du bureau des familles et de la parentalité  de la DGCS «  il faut surtout clarifier qui fait quoi et dans quelle instance ». « Il y a quatre phases dans un SDSF a-t-il rappelé, le diagnostic, l’élaboration d’un plan d’action, sa mise en œuvre et son évaluation. Tout le monde ne peut pas participer de la même manière. Il y a des missions différentes. ». Enfin selon lui, plus ils seront pensés en fonction d’autres politiques publiques mieux ce sera.
Quelles que soient leurs évolutions, les SDSF devraient au cœur des négociations de la prochaines COG entre l’Etat et la Cnaf. Ils sont devenus la pierre angulaire des politiques petite enfance et constituent la clef non seulement d’une meilleure régulation des dépenses mais aussi de la lutte contre les disparités territoriales en termes de modes d’accueil des moins de trois ans notamment.

 
Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 17 novembre 2017
Mis à jour le 01 février 2018