SPPE et annonces post rapport IGAS : la petite enfance s’impatiente

Le Service Public de la Petite Enfance (SPPE) prend des allures d’Arlésienne, les annonces post IGAS tant attendues tardent à venir et les acteurs de la petite enfance, quels qu’ils soient, s’impatientent et commencent à ruer dans les brancards. Ils agissent en ordre dispersé mais tous veulent (re)mettre la petite enfance au cœur de la politique gouvernementale. Fini les promesses, les incantations, les analyses aussi justes soient-elles et les rapports aussi clairvoyants soient-ils, et qu’enfin on passe à l’action. Tous aussi le disent : il y a urgence. Retour sur une folle semaine qui a vu fleurir les prises de position.
Des tribunes libres, des conférences de presse, des communiqués pour tirer la sonnette d’alarme. De Pas de bébés à la consigne à la FFEC, des gestionnaires publics aux gestionnaires privés, un seul mot d’ordre : il faut très vite des annonces, des décisions, des mesures concrètes, des actes. Le bal avait été ouvert d’une certaine façon par le vote d’un avis sur le rapport IGAS par le bureau du Comité de filière petite enfance lundi dernier, 15 mai. Le Comité de filière y prenait position clairement et s’associait  aux 39 recommandations du rapport. Y ajoutant des propositions supplémentaires et les remettant en perspective avec ses propres travaux et résolutions. Et lui aussi, signifiant qu’il était en attente « de connaître le plan d’actions proposé par le gouvernement, son calendrier et ses conditions de mise en œuvre, notamment les moyens mobilisés pour y contribuer. » Bref, premier petit coup de pression pour le Ministère et le gouvernement.

Les 11 et 15 mai : communiqué et conférence de presse de Pas de bébés à la consigne
Il y avait d’abord le 11 mai un communiqué exigeant suite au rapport IGAS « des mesures rapides et concrètes » allant, si possible, encore plus loin que les recommandations de l’IGAS, notamment quant aux taux d’encadrement.
Dans la foulée, il y eut une conférence de presse le 15 mai  destinée à expliquer ce qui n’allait pas et ce que le collectif attendait pour répondre à la crise du secteur : qualité d’accueil, conditions de travail des professionnels, pénurie de pros, rémunérations insuffisantes, formations des pros, flou sur le SPPE qui, selon lui, doit exclure les acteurs privés lucratifs par qui, si ce n’est tous maux, nombre de difficultés et dysfonctionnements sont arrivés. « Nous sommes favorables à ce que les politiques publiques soient exemptes de marchés, de concurrences et d’entreprises », a-t-il été expliqué.
Un SPPE pour tous les modes d’accueil et tous les enfants, et qui soit de qualité. « Pas de service public au rabais ». En clair priorité à la qualité, la quantité ce sera pour plus tard.  Le collectif demandant « un plan d’urgence pour instaurer enfin la qualité des modes d’accueil » .
Et pour bien se faire comprendre le Collectif précise que si le ministre Jean-Christophe Combe n’annonce rien dans les prochains jours (on attend toujours la date du CNR petite enfance initialement prévu le 4 mai)  invite les professionnels de la petite enfance à se mobiliser le 6 juin prochain. Avec un rassemblement spécifique petite enfance le matin et la participation aux manifestations contre la réforme des retraites l’après-midi de ce même jour.

Le 17 mai : un long communiqué de la FFEC
Le 17 mai, à l’issue de son conseil d’administration, la FFEC publie un long communiqué titré « Décrétons l’État d’urgence de la petite Enfance » dans lequel elle appelle à « donner suite aux recommandations de l’IGAS et à agir au bénéfice des enfants et des familles ».
Trois grands points sont abordés :
 - « Il faut placer les professionnels au centre du déploiement du futur service universel de la petite enfance » (ndlr : la FFEC s’escrime à ne pas appeler le SPPE Service Public de la Petite Enfance, probablement à cause du terme public qui l’inquiète malgré l’assurance donnée par le ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes Handicapées que le secteur privé lucratif n’en sera pas exclu). Pour cela, la FFEC invite donc l’État à prendre le taureau par les cornes en créant « une véritable filière professionnelle petite enfance dotée d’effectifs en nombre suffisant » et en « améliorant notablement les dispositifs de formation initiale et en en relançant le Plan National Ambition Enfance Egalité. »
Par ailleurs, pour valoriser les professionnels, la fédération reprend l’idée de l’IGAS de créer une « carte professionnelle Petite Enfance », et ajoute bien sûr la nécessité d'agir sur les rémunérations.
- « Il faut placer le coût de la qualité d’accueil au cœur de la conception du SUPE ». Néanmoins la FFEC ne souscrit pas à la proposition de l’IGAS d’adopter le système de financement pluriannuel (CPOM) comme pour les EPHAD. En revanche, elle demande que le système de financement actuel (PSU) soit réformé « pour financer aussi le temps de travail hors de la présence des enfants, base indispensable d’un accueil de qualité et que les familles bénéficient de tarifs lisibles et compréhensibles. »
- Enfin  la FFEC soutient «  la volonté de transparence de la juste utilisation des fonds publics » et se fit favorable «  à des contrôles réguliers et coordonnés relatifs à la qualité d’accueil. »
Pour conclure, elle réitère sa demande que soit décrété l’état d’urgence pour la Petite Enfance et se positionne sur chacune des 39 recommandations du rapport par des appréciations (étayées) allant de très favorable à très défavorable.

Le 17 mai : publication d'une tribune signée du patron de Grandir-LPCR et de 500 de ses directrices dans Le Figaro
Mauvaise coordination, ce même mercredi 17 mai, veille du grand pont de l’Ascension, une tribune publiée dans Le FigaroVox, intitulée « Faisons de la crèche et de la petite enfance une grande cause nationale » co-signée par Jean-Emmanuel Rodocanachi, président du groupe Grandir-LPCR et de plus de 500 directrices ou directrices adjointes de son groupe, s’immisce dans le débat et émet 4 propositions dont l’instigateur et premier signataire souhaiterait qu’elles pèsent sur les négociations actuelles de la COG 2023-2027.
Très clairement cette tribune émanant d’un des plus puissants groupes de crèches du secteur privé marchand parle de ce point de vue. Et la question financière y est très présente.
Au cœur de cette tribune : la pénurie de professionnels, les subtilités d'un mode de financement (la PSU) qui complexifie le secteur. Suite à ces constats, quatre propositions :
1.  L’une financière qui ne concerne que le secteur privé marchand : améliorer les rémunérations des équipes en « fléchant la taxe sur les salaires (ndlr : qui ne concerne ni le public ni le secteur associatif), déjà payée par les gestionnaires de crèches vers la rémunération des équipes ? Cela garantit une hausse de 10% dès 2023 ».
2.  « Convaincre les jeunes de faire carrière dans la petite enfance en simplifiant son fonctionnement ». Et là il est proposé une simplification de la PSU…
(ndlr : la surcharge administrative liée à la PSU ne concerne que les gestionnaires et directions de crèches).
3. Indexer la PSU sur l’inflation « afin d’assurer chaque année aux crèches les moyens de leur ambition sociale, pédagogique et éducative. »
4. « Diviser par deux la création de nouvelles places en crèche ». Et d'expliquer :
« Il faut a minima deux ans pour avoir de nouveaux diplômés, il faut donc ralentir les ouvertures de nouvelles places en 2023 et 2024, le temps de consolider l’existant ». Voilà une proposition à contre-courant… probablement assez réaliste.

La tribune se conclut par « ces quatre mesures permettraient de relancer qualitativement la création de places en crèche en France, d’innover socialement et de viser l’excellence pédagogique. »

Le 19 mai : publication dans Le Monde d’une tribune à l’initiative d’élus petite enfance
Et pour clore cette semaine atypique, une tribune publiée dans Le Monde signée d’une vingtaine d’élus petite enfance* enfonce le clou sur l’urgence à agir en interpellant directement Emmanuel Macron sous un titre choc : « Nos crèches brûlent et le président de la République regarde ailleurs ». Un titre qui donne le ton et qui indique, sans nuances, l’impatience des élus et des villes gestionnaires quant à la question de la petite enfance. Une tribune « transpartisane » selon son initiateur Steven Vasselin, élu de Lyon et membre du Comité de filière petite Enfance pour France Urbaine.
« Nous, élus en charge de la petite enfance, nous exhortons le président de la République à prendre enfin des mesures indispensables pour ne pas laisser mourir la filière de la petite enfance si essentielle à notre société ». Et, insistant sur « la pénurie de recrutement de professionnels diplômés », ils exigent que soit déclenché « un véritable choc d’attractivité ». Sans vraiment dire comment.

Pour l’heure selon eux, le SPPE « est vécu dans toutes les crèches de France comme une douce utopie ».  « Comment, expliquent-ils, imaginer créer des dizaines voire des centaines de milliers de places d’accueil nouvelles, alors même que nous n’avons pas les moyens de maintenir ouverts nos berceaux existants ? », si les moyens ne sont pas là. Donc les signataires demandent des moyens importants pour pouvoir augmenter les salaires, créer des places de formation, des locaux et des postes d’enseignants pour ces nouvelles places, des meilleurs taux d’encadrement dans les structures, un plan de prévention de l’usure professionnelle, une reconnaissance et un plan de formation pour l’accueil individuel  etc.  Et cette énumération  se conclut par « le SPPE ne pourra voir le jour tant que l’incendie que constitue cette crise de la main-d’œuvre ne sera pas durablement éteint. »

En résumé, rien de faux ni de nouveau dans cette tribune qui dénonce et exige… mais peu ou pas assez de précisions sur la façon dont toutes ces demandes pourraient être mises en œuvre rapidement.


Côté gouvernement, on prend son temps
Le président de la République a toujours dit qu’il souhaitait être le maître des horloges. Le gouvernement aussi. On le sait désormais, Élisabeth Borne, la première ministre veut elle-même faire les annonces concernant le SPPE. Ce qui complique évidemment les choses. Cela devrait être lors du dernier CNR petite enfance qui devrait se tenir à Nancy, dans les jours suivants le week-end de Pentecôte. (Beaucoup de conditionnels tant rien n’est sûr). Elle devrait donner les grandes lignes de l’article 10 du projet de loi pour le Plein emploi qui concerne la gouvernance des modes d’accueil (voir lettre hebdo 92)  et ce sera probablement l’occasion  pour Jean-Christophe Combe d’aborder le volet qualité. II avait promis des mesures rapides et significatives suite à la publication du rapport du l’IGAS sur la qualité d’accueil et la prévention de la maltraitance en crèche.

*Lyon, Paris, Marseille, Nantes, Rennes, Montpellier, Strasbourg, Bordeaux, Lille, Dijon, Grenoble, Villeurbanne, Tours, Annecy, Besançon, Rouen, Saint-Denis, Schiltigheim, Vandoeuvre lés Nancy, Tarnos
Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 21 mai 2023
Mis à jour le 22 août 2023