Les crèches vont mal ? Par Héloïse Junier

Voici une tribune libre en forme de post pour réseaux sociaux d’Héloïse Junier, psychologue en crèche et docteur en psychologie. Elle souhaite ici alerter l’opinion publique sur la réalité de l’accueil des jeunes enfants en crèche. Elle nous livre ses constats et arguments.

 

 Les crèches vont mal ? Oui, bien sûr que les crèches vont mal. On dirait que c'est une découverte pour nos instances politiques et pour une partie des médias.

Pourtant, cela fait des années que les pros de terrain se battent pour communiquer au plus grand nombre la réalité de ces lieux d'accueil.

En 10 ans de crèche,

J'ai vu des bébés pleurer seuls à vous en tordre le bide, parfois jusqu'à l'épuisement, notamment sur le temps du repas ou dans le dortoir, parce que - et c'est parfois vrai - "on ne peut pas faire autrement",

J'ai vu des bébés livrés à eux-mêmes, passant de longs moments seuls sur leur coussin, sans stimulation, sans interaction avec l'adulte, parce que - et c'est vrai aussi - "on n'est pas assez nombreux",

J'ai vu des professionnelles s'effondrer dans les vestiaires car elles ne supportaient plus cette pression, ces cris d'enfants, ce manque de reconnaissance de la part des responsables administratifs, les mauvaises décisions venues "d'en haut",

J'ai vu des professionnels dégoûtés de la crèche, vivant un conflit intérieur entre leurs valeurs humaines et la réalité du métier,

J'ai vu des sections de crèche surchargées d'enfants pour des raisons essentiellement économiques suscitant la colère des pros clamant : "mais on ne gère pas des boîtes de conserve !".

Est-ce que le tableau que je décris est aussi sombre dans toutes les crèches ? Non, bien entendu. L'idée n'est pas de généraliser mais d'alerter l'opinion publique sur la réalité de très nombreux lieux d'accueil de notre pays.

Est-ce un hasard si une bonne partie des pros de crèches redoutent de confier leur nourrisson à une crèche ? Non plus.

Est-ce qu'il existe d'autres solutions pour les familles ? Oui, mais elles sont très limitées.

Tant que le congé maternité/ paternité restera aussi court,
Tant que le congé parental restera aussi mal dédommagé (et donc trop coûteux),
Tant que le jeune enfant ne sera pas plus pris en considération sur un plan politique, la situation n'évoluera pas dans le bon sens.

Les soignants nous ont mille fois alertés sur les mauvaises conditions d'accueil des patients à l'hôpital,

Les sages-femmes nous ont mille fois alertés sur le mauvais traitement des femmes en maternité,

Les professionnels des EHPAD nous ont mille fois alertés sur les mauvais traitements de leurs résidents,

Aujourd'hui, les pros de crèches nous alertent mille fois sur les mauvaises conditions d'accueil de nos enfants.

Alors, écoutons-les.

N'attendons pas d'autres drames pour nous mobiliser.

#j'aimalàmacrèche

PS : Contrairement aux idées reçues, l'une des solutions ne serait pas d'ajouter des professionnels au sein des structures mais d'alléger directement le nombre d'enfants. A l'heure actuelle, dans de nombreux lieux d'accueil, il y a déjà trop d'êtres humains rassemblés, petits et grands, dans un même espace. Il serait donc contre-productif d'en rajouter.

PS 2 : J'ai bien conscience que ce prise de position est susceptible d'induire en vous de la frustration, de la tristesse, de la colère, de la peur ou de la culpabilité. C'est aussi ce que je ressens en tant que psychologue en crèche ET jeune maman.

Je vous remercie néanmoins de rester courtois dans vos commentaires. L'objectif n'est pas d'alimenter la violence désinhibée des réseaux sociaux mais d'œuvrer en faveur de l'amélioration des conditions d'accueil de nos jeunes enfants...

Merci pour eux
Article rédigé par : Héloïse Junier
Publié le 30 septembre 2022
Mis à jour le 14 décembre 2022