Travailleurs de l'invisible. Par Anne Boulhoud, EJE

Anne Boulhoud est Éducatrice de jeunes enfants depuis plus de 20 ans. Elle dirige actuellement 4 crèches associatives. Son propos est là de revendiquer plus de considération, de reconnaissance et de visibilité pour tous les professionnels de la petite enfance qui font un travail fantastique mais invisible !  Un point de vue, en cette période de crise sanitaire, partagé par beaucoup de pros.
Méconnaissance de ces métiers pourtant essentiels
Les professionnels de la petite enfance n’ont pas la reconnaissance et la place qu’ils mériteraient au sein de notre société. Ce n’est pas nouveau mais la crise sanitaire que nous traversons n’a fait que confirmer ce désolant constat. Les médias nous parlent régulièrement de l’école et des personnes âgées sans que ne soit évoqué, ou si peu, les crèches et les assistantes maternelles.
 Pourtant, ces modes de garde ne sont-ils pas des acteurs incontournables de la bonne marche de l’économie en permettant aux parents d’aller travailler ? Les premières années de la vie d’un tout petit, si cruciales pour son développement, ne méritent-elles pas l’attention de tous ? Méconnaissance de nos métiers, surreprésentation des femmes, éléments socio-historiques...
La petite enfance est comme un impensé dans l’inconscient collectif. Les compétences nécessaires pour exercer nos métiers ne semblent pas reconnues comme telles mais plutôt perçues comme des « aptitudes naturelles » liées à une vocation. Joli cliché nourrissant un imaginaire mièvre qui nous dépossède de notre réalité. En effet, pour exercer nos métiers il faut s’appuyer sur de solides savoir-être et savoir-faire qui s’acquièrent en formation initiale et continue par l’expérience et les rencontres professionnelles, par les échecs et les réussites, par des remises en question parfois douloureuses. Alors où se nichent ces compétences de l’invisible ?

Les compétences de l’invisible
Avec les enfants : invisibles, les mots bienveillants qui contiennent les colères infantiles incontrôlables ; invisible, l’indispensable sécurité affective prodiguée pendant les abandonniques séparations du matin ; invisibles, l’encouragement et la confiance accordés pour soutenir les explorations et découvertes de l’enfant-chercheur ; invisible, la patience infinie face au bouillonnement de vie tonitruant d’un groupe d’enfants ; invisible, l’attachement distancié mais suffisamment proche pour remplir les réservoirs affectifs ;  invisible, le souci des soins quotidiens pour chacun au milieu de tous.
 En équipe : invisibles, les temps de réunion soutenant la réflexion collective pour déconstruire, reconstruire sa pratique ; invisible, la technicité pédagogique nécessitant formation, expérimentation et réajustement ; invisible, l’indispensable harmonisation des méthodes de travail apportant cohérence et fiabilité ; invisible, l’actualisation des connaissances pour faire évoluer les résistantes réticences au changement.

Invisibles, l’agacement, l’épuisement, le découragement, la joie, le rire, le partage, l’émerveillement ; invisible, l’impérative nécessité adaptative à chaque enfant, à chaque groupe d’enfants, aux parents, aux collègues, à son responsable, à l’institution.

Alors pour donner de la visibilité aux travailleurs de l’invisible, il faudrait que tous -journaux, télés, radios et politiques- rendent audible le travail des acteurs de la petite enfance afin qu’ils trouvent auprès du grand public une reconnaissance à la hauteur des enjeux de leurs missions.
 
Article rédigé par : Anne Boulhoud
Publié le 10 novembre 2020
Mis à jour le 10 novembre 2020