Couches compostables dans les crèches : premier bilan pour Poitiers et Bordeaux

3,5 milliards, c’est le nombre de couches pour bébé jetées chaque année en France. « Un fléau » écologique auquel certaines municipalités ont décidé de s’attaquer. Ainsi, Poitiers ou encore Bordeaux ont embarqué leurs crèches collectives dans un test de couches compostables. L’expérimentation est aujourd’hui terminée. L’heure du bilan a sonné et à la vue des premiers éléments, il semble plutôt positif. 
La couche jetable : un enjeu environnemental certain
« Le volume de déchets est faramineux. Un bébé représente une tonne de déchets, soit environ 4 500 couches de la naissance à l’acquisition de la propreté », explique Stéphanie Mazet, co-fondatrice de Mundao, entreprise bordelaise qui travaille aux alternatives compostables dans le secteur de l’hygiène et à l’origine de la couche compostable Popotine. « Et pour les crèches, cela peut représenter jusqu’à 80% de leurs déchets », ajoute-t-elle. Ainsi à Bordeaux, sur les 30 crèches collectives municipales que compte la Ville, en février 2022, 46 596 couches (440 000 sont achetées chaque année) ont fini à la poubelle pour 1 080 enfants.  A Poitiers, c’est 210 000 couches, soit près de 46 tonnes de déchets.

Et ces couches usagées sont ensuite soit incinérées soit enfouies. « C’est une aberration, souligne Stéphanie Mazet, elles sont composées à 70% de matière organique, il existe donc des voies de valorisation beaucoup plus pertinente. » Pour lutter contre ce gaspillage de matière, Mundao a travaillé avec un laboratoire de recherche et développement et un fabriquant français installé dans les Vosges pour créer une couche compostable. Popotine – la version 1 – est née en janvier 2022.

Couches lavables versus couches compostables
Plusieurs villes de France se sont donc lancées en début d’année dans l’expérimentation de couches compostables avec Mundao. C’est le cas de Bordeaux, Poitiers ou encore Libourne. Mais pourquoi ne pas avoir opté pour des crèches lavables ? « Il y a quelque temps, on a pris un bureau d’étude spécialisé qui a fait les bilans carbones des différents types de couches et les a comparés. Il ressort que le lavable n’est pas forcément plus écolo que le compostable. Si les lavables sont séchées avec des sèche-linge de type industriel, le bilan de la couche compostable devient ainsi plus intéressant », informe Fannie Le Boulanger, adjointe au maire de Bordeaux en charge de la petite enfance. Elle se réjouit toutefois qu’une crèche de 60 berceaux dont la gestion vient d’être confiée en septembre à une entreprise de l’économie sociale et solidaire via une DSP passe à 100% couches lavables. « On l’a choisie aussi pour ça, c’est la première crèche de Bordeaux, à partir sur du lavable », indique-t-elle. A Poitiers, l’option couche compostable est préférée à l’option couche lavable car « l’objectif n’est pas de compliquer le quotidien du personnel petite enfance », assure Samira Barro-Konate, conseillère municipale déléguée à la Petite enfance, à la ville de Poitiers. 

Un test à grande échelle à Bordeaux et un test plus long à Poitiers
L’expérimentation bordelaise a duré un mois et a concerné les 30 crèches collectives de la Ville, « permettant ainsi de tester à grande échelle tout le circuit logistique », souligne Fannie Le Boulanger. En pratique, il a bien sûr fallu briefer les équipes, équiper les salles de change d’une poubelle de tri et de sacs poubelles compostables (5 800 !). Mais ce n’était qu’une partie du « défi ». Un circuit de collecte a dû être mis en place. En l’occurrence, Bordeaux a fait le choix d’une entreprise de l’économie sociale et solidaire, qui venait deux fois par semaine en vélo cargo récupérer les couches usagées, et les déposait sur une plateforme de tri sur la métropole de Bordeaux. « Ce système de collecte a très bien fonctionné. Cela nous a permis de voir que nous étions au point là-dessus », précise Fannie Le Boulanger. Le budget municipal pour l’opération : 13 419 euros TTC pour les couches, 1212 euros TTC pour les sacs poubelles compostables, 2891 euros TTC pour les poubelles de tri. Soit un total de 17 552 euros. A noter que la collecte a été financée par le pôle territorial de Bordeaux métropole. 
A Poitiers, l’expérimentation a duré plus longtemps (3 mois) mais a concerné moins de crèches (4 sur les 10 crèches municipales). « Nous avons souhaité réaliser le test dans des crèches situées dans des quartiers différents. Chaque quartier a son public et cela nous permettait d’avoir un point de vue assez global. Nous nous sommes limités à 4 établissements car le coût ne nous permettait pas d’enrôler toutes nos crèches (NDLR : l’expérimentation a coûté autour de 6 000 euros) », explique Samira Barro-Konate.

Après la collecte, le compostage…
« Le compostage se fait aussi à proximité des crèches, dans un rayon maximum de 50 kilomètres car on tient compte du bilan carbone », explique Stéphanie Mazet. A Bordeaux, le compost a été traité 6 mois sur la plateforme de traitement des déchets les Détritivores, une entreprise de l’économie sociale et solidaire. Il est aujourd’hui terminé. A Poitiers, elles sont compostées, sur une plateforme locale (entreprise Urbraser à Ingrandes). Si pour le moment le compost de couches ne peut être normé - et ne peut donc pas être vendu - car la réglementation en vigueur ne l’autorise pas, il peut toutefois être utilisé en plan d’épandage, sur des sols spécifiques notamment non destinés à l’agriculture. Stéphanie Mazet souhaite toutefois faire évoluer la réglementation. Sur ce point, elle peut compter sur le soutien de la ville de Bordeaux. Pour autant, Fannie Le Boulanger affirme que « dans une logique de zéro déchet, ce type de compost est quand même intéressant, car cela retourne à la terre. » Aussi, même si le statut du compost n’évolue pas, cela ne bloquera pas un éventuel passage à 100% sur des couches compostables, selon l’élue en charge de la petite enfance de la ville de Bordeaux. Du côté de Poitiers, même discours. « Tant que le compost peut être utilisé, c’est satisfaisant pour nous », assure Samira Barro-Konate. 

Un bilan en cours d’élaboration
Les expérimentations étant terminées, Mundao travaille actuellement sur le compte-rendu. « En début et fin d’expérimentation, on interroge les professionnels via un questionnaire (la perception de nos couches, leur performance, les gestes de tri, la collecte…) pour avoir des données quantifiées mais aussi qualitatives à restituer dans le bilan de l’expérimentation que l’on rend à la fin à la collectivité. On a à cœur d’avoir une approche rigoureuse par rapport au feed-back que l’on rend », insiste Stéphanie Mazet. Et poursuit : « Pour l’heure, ce que l’on peut dire c’est que le concept a été très bien perçu. Parmi les points à améliorer, le système d’attaches pour qu’il soit plus performant. Une V2 va ainsi sortir en janvier 2023. »

Des crèches effectivement plutôt satisfaites
Avant même d’avoir les résultats de Mundao, les Villes ont bien entendu interrogé leur personnel petite enfance. Et, que ce soit à Poitiers ou à Bordeaux, le constat est positif. « De notre côté, globalement, cela s’est bien passé, confie Fannie Le Boulanger. Il a fallu s’adapter à un nouveau dispositif. Mais on est ressortis de l’expérimentation en se disant que l’on pourrait envisager de prendre des couches compostables de façon pérenne quand tous les voyants seront au vert. » A Poitiers aussi, « tout le monde est plutôt satisfait, même s’il a fallu changer les pratiques et qu’un temps d’adaptation a été nécessaire pour les équipes », signale Samira Barro-Konate. Et d’expliciter : « les couches Popotine se portent plus bas que les couches classiques et étaient parfois trop petites pour certains enfants. Mundao s’est déplacé et a expliqué aux pros comment s’en servir, ils nous ont aussi envoyé des couches avec des élastiques pour que ce soit adapté à la taille de tous les bébés. »

Des améliorations en cours et de nouvelles expérimentations
Des Villes enthousiastes donc mais avant de sauter le pas, il reste quelques points à régler et non pas des moindres. « Avant de pouvoir s’engager plus, il nous reste à travailler sur la filière de transformation des matières. Pour le temps de l’expérimentation, les déchets avaient été amenés sur une plateforme « Détritivores » dédiée. Mais si demain on apporte cette quantité tous les mois et que potentiellement toutes les villes de la métropole nous suivent et que finalement c’est la métropole de Bordeaux qui se met à composter ses couches, il faut qu’on ait une plateforme spécifique. Sur un mois cela a fonctionné, il faut maintenant passer à grande échelle et il faut savoir où on va aller épandre le compost. On doit donc rencontrer le Vice-président de la métropole en charge des déchets pour structurer la filière », développe Fannie Le Boulanger. Mais l’élue petite enfance est confiante et estime que, à court terme, il serait possible de pérenniser l’expérimentation car « la métropole de Bordeaux avance très vite sur le zéro déchet. » Elle tient toutefois à préciser : « On est soumis au code des marchés publics, il y aura donc un appel d’offres. Les concurrents de Mundao (Ndlr : la société Les Alchimistes fabrique aussi des couches compostables) pourront donc y répondre, ce ne sera donc pas forcément les couches Popotine. » Dans le cas de Poitiers, on attend les résultats et notamment de voir comment sera le compost, mais les professionnels étaient satisfaits. Ce qui pourrait coincer c’est le prix. « Peu de sociétés proposent des couches compostables donc les tarifs sont un peu élevés », relève Samira Barro-Konate. (ndlr : Mundao ne communique pas sur les prix, c’est encore trop pour eux). Enfin, du côté de Mundao, on continue à démarcher d’autres territoires. De nouvelles expérimentations sont ainsi prévues avec une dizaine d’autres collectivités, en Nouvelle Aquitaine notamment mais pas seulement. Elles débuteront début 2023 et bénéficieront de la Version 2 de la couche avec notamment un système d’attaches remanié.
Article rédigé par : Caroline Feufeu
Publié le 07 octobre 2022
Mis à jour le 04 novembre 2022