Les assistantes maternelles et les tout-petits à l’école de la forêt

A Plonéis dans le Finistère, Autour du Feu - la forest school de Bretagne - accueille les assistantes maternelles pour des ateliers et jeux libres en pleine nature et par tous les temps. Une belle occasion de sortir du cadre et de bousculer ses pratiques en découvrant la pédagogie par la nature.  
 
Cuisine de la gadoue, bricolages nature, lectures au fond des bois, roulades dans les feuilles, marche sur le sol inégal de la forêt… Voilà cinq ans que l’association Autour du Feu accueille qu’il pleuve ou qu’il vente, petits et grands enfants avides de nature et d’expériences sensorielles. A l’initiative du projet, la pétillante Julie Ricard, institutrice de formation. Dix années passées au Royaume-Uni lui ont donné l’occasion de découvrir et de se former à la pédagogie par la nature (PNN) développée au cœur des « forest schools ». Une approche pédagogique née dans les pays scandinaves, mais assez populaire au Royaume Uni et dans les pays du nord, par laquelle les enfants sont invités à explorer librement leur environnement naturel, à en prendre soin et à développer leur relation à la nature et aux autres. Lorsque Julie Ricard revient s’installer en France avec sa petite famille, elle se met tout de suite en quête du lieu inspirant qui pourra accueillir leur « forest school ». Avec son compagnon, ils posent leurs valises dans une hêtraie à quelques kilomètres de Quimper et créent Autour du feu. 

Assistantes maternelles dans les bois 
Pour une séance ou un cycle de plusieurs ateliers, l’association accueille chaque semaine une centaine d’enfants et leurs parents sur le temps extrascolaire mais également des classes, des centres de loisirs et des assistantes maternelles avec leurs petits protégés. La plupart viennent invitées par le RPE de Quimper qui finance, par la Communauté de communes, des cycles de trois ateliers pour ses ass’mat. Mais suite à cette expérience, certaines ont choisi de continuer avec un atelier par mois, en accord avec les parents qui en assurent le coût. 

Lorsqu’Autour du feu accueille des assistantes maternelles, un coin bébé invite à l’exploration sensorielle avec des petits livres adaptés, des « cubes des bois » à empiler faits avec des éléments naturels, des brindilles d’osier a enfiler dans des bambous pour la motricité fine, des mobiles naturels, des marionnettes à doigts… « Nous avons maintenant des assistantes maternelles aguerries ! se réjouit Julie Ricard. Les bébés sont avec elles sur le sol forestier, et c’est tout. Ils ne vont même plus au coin bébé ! Ils restent dans la forêt à explorer librement… » 
Avec les 1-3 ans, outre la cuisine de la gadoue, le bac à boue et de nombreuses activités libres, l’association propose souvent de jolis petits bricolages très simples à faire avec l’adulte. « Récemment on a fait un nid géant, raconte Julie Ricard. On a déplacé des branches entassées en forme de rond, et on s’est tous mis à l’intérieur ! Et puis les enfants ont fabriqué des oiseaux d’argile que l’on a installés dedans. »  

Une approche pédagogique qui bouscule les pratiques 
A la forest school, tous les ateliers même les plus simples ont une visée pédagogique. Mais, comme l’explique Julie Ricard, les activités sont vraiment secondaires, elles sont une proposition rarement choisie par les enfants à cet âge-là. C’est plus souvent un besoin de l’adulte. Mais pour Julie, c’est un medium par lequel elle va ouvrir la discussion avec les assistantes maternelles… Les enfants, eux viennent chercher beaucoup de liberté, dans un cadre qui garantit leur sécurité. « Certains peuvent passer deux heures à la cuisine de la gadoue ou au bac a boue, en toute liberté, sous le regard de l’adulte sans être en interaction avec lui… et ça doit faire du bien ! » constate-t-elle. Dans la pédagogie par la nature, on retrouve de nombreuses thématiques bien connues des professionnels de la petite enfance : le jeu libre, le participant au cœur de la pratique, la posture de l’adulte, la communication non violente… Mais bon nombre de pratiques viennent titiller les habitudes des assistantes maternelles comme le temps long, la prise de risque mesuré ou la possibilité de se salir…

Le défi de la prise de risque mesurée  
Un sacré défi pour ces professionnelles de la petite enfance, habituées à respecter des normes strictes en matière d’hygiène, de propreté, de sécurité, à qui l’on demande ici de lâcher prise. Nombreuses sont celles qui craignent une chute sur le sol inégal de la forêt, l’ingestion de petits éléments pour les non-marcheurs que l’on pose au sol, l’intoxication avec des plantes… La Pédagogie par la nature offre à l’enfant la liberté d’explorer, de vadrouiller sans un adulte, et de prendre les risques qui lui semblent utiles. L'adulte est discrètement présent, dans l'observation et dans les échanges, pour accompagner et intervenir si besoin. Pour apaiser leurs craintes, en amont des ateliers, Julie passe donc beaucoup de temps à expliquer comment sont réfléchies et sécurisées les activités. Par exemple, à la cuisine de la gadoue, les végétaux sont tous comestibles… « Elles sont courageuses ces femmes, reconnait Julie Ricard. Apprendre à lâcher prise sur la sécurité d’un enfant qui n’est pas le vôtre et dont vous avez la responsabilité, c’est compliqué ! Ça demande du courage de la part des assistantes-maternelles. Et ça demande qu’elles soient bien accompagnées et rassurées, c’est notre rôle. » De fait, Julie passe beaucoup de temps avec les assistantes maternelles à mettre des mots sur ce que les enfants sont en train de vivre, pour petit à petit faire évoluer leur regard et ouvrir d’autres portes. « Je vais à leur rencontre là ou elles en sont, avec leurs habitudes, leurs expériences, ce qu’elles ont toujours fait. Ce n’est pas facile de questionner ses pratiques, ça peut être inconfortable, admet Julie Ricard. Mais je les vois évoluer c’est incroyable ! »  

Prendre le temps, par tous les temps 
Même avec des tout-petits, les ateliers ont lieu par tous les temps et par toutes les saisons, dans la mesure du raisonnable et du bien-être de l’enfant. Les enfants sont équipés de salopettes imperméables, ce qui heureusement n’empêche pas d’avoir les mains sales et des feuilles dans les cheveux… Ca ne semble pas gêner les enfants qui trouvent souvent le temps trop court. « Ici, explique Julie Ricard, on propose des ateliers d’une heure et demie et c’est vraiment le minimum absolu, alors que dans les lieux dédiés aux tout petits, c’est plus souvent 45 minutes. Mais dans la réalité les assistantes maternelles restent deux heures ! On déborde chaque semaine car les enfants ne veulent pas partir ! » 

Julie Ricard forme également des professionnels de la petite enfance qui exercent en crèche pour découvrir la pédagogie par la nature et amorcer une réflexion autour de « Comment amener plus de nature dans le fonctionnement des structures » et un véritable questionnement des pratiques sur une façon d’être avec l’enfant au sens large. « Je trouve que les professionnels et même la PMI s’ouvrent de plus en plus à ce type d’approche qui mettent l’enfant au centre, constate-t-elle, enthousiaste. Pour moi le Covid a vraiment été le marqueur décisif, a poussé certains à avancer plus vite. (…) Tout n’est pas gagné mais c’est en train de changer, il y a une belle évolution des pratiques ! » 

Plus d’infos sur www.autourdufeu.org/
 
Article rédigé par : Laurence Yème
Publié le 11 mai 2023
Mis à jour le 12 juin 2023