Burn out : le témoignage de Corinne G, auxiliaire de puériculture

Ironie du sort, c’est suite à une formation sur le stress professionnel et le burn out que Corinne Grimaldos, 48 ans, auxiliaire de puériculture dans un multi-accueil de Gironde a comme elle dit « explosé en plein vol ». Cinq mois d’arrêt maladie. Elle vient de reprendre le chemin de la crèche. Encore fragile mais plus déterminée que jamais à « faire bien son travail ». Suite à l’article publié sur notre site  intitulé « crèches : des professionnels sous pression », elle nous a contactés. Nous publions ici son témoignage : c’est son texte, son ressenti, rien n’a été retiré ou ajouté. Edifiant.
Je suis auxiliaire de puériculture depuis 26 ans, 11 ans en halte garderie et depuis 2003 en multi-accueil.
Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, je n'ai toujours voulu faire que ça, et je n'ai toujours fait que ça.

Mai et Juin 2015. Je pars en formation sur le thème : "du stress au mieux être au travail". Les 2 jours en mai, notre formatrice, psychologue clinicienne, nous parle du stress, qu'est-ce que le stress ? Pourquoi je stresse, conscientiser le mal-être, on nous dit que le stress est une tension, que l'on peut être stressé sans être déprimé, qu'il faut dialoguer, que le stress s'installe quand il y a du TROP (trop vite, trop de bruit, trop de turn-over, trop de fatigue, trop de tout).
Puis on nous liste les symptômes : symptômes physiques, psychiques, émotionnels, intellectuels et comportementaux. Déjà, là, on découvre des "sous" catégories auxquelles on n'aurait pas pensé !
Pendant que la formatrice continue ses explications, je "m'amuse" à surligner tous MES symptômes... Ça alors, je ne pensais pas que tout ça en était ! TOUT ÇA !!! Et je me mets à rire en douce en me disant, en fait je ne suis pas blonde, je suis juste stressée !
Puis on arrive au burn out, ce terme provient de l'aérospatial, c'est quand la fusée explose en plein vol en l'absence de carburant, pas très rassurant tout ça !
Puis arrivent les symptômes... "Ah ! parce qu'il y en a d'autres ?!" Oui, oui 4 symptômes, je reprends mon surligneur : 1 j'ai, 2 j'ai, 3 non ... ah en fait si, 4 j'ai, ça ne s'arrange pas !
Bilan des 2 jours de formation : "Excusez moi Madame, quand on a beaucoup des symptômes évoqués c'est grave ?" dis-je en plaisantant bien sur. "Vous dites ça de manière ironique Corinne mais ça n'est pas drôle".

Juin 2015. Suite de la formation avec un sophrologue, avant de passer à la partie pratique (respiration, massages), ce monsieur nous dit que le stress fait partie de la vie mais qu'il ne doit pas devenir une façon de vivre.
Retour au travail, je cogite, je mouline, je repense régulièrement à tout ça, puis la routine reprend le dessus, et puis moi je suis forte, je sais qui je suis, je sais ce que je vaux, ça ne m'arrivera pas. Et pourtant c'est de plus en plus dur, ça va de moins en moins bien, mais pas le temps d'y penser, pas envie, ne pas s'écouter, ne pas fléchir, ne pas montrer ses failles, ses faiblesses, être forte tout le temps, ne pas craquer, ne pas lâcher, ne pas penser à soi.

Août  2015. Trois semaines de vacances. Cette année, j'ai plus de mal à me détendre.

Fin août 2015. C’est la reprise, je n’ai pas envie et j'ai un de ces nœuds à l'estomac ! Pas le temps de s'arrêter sur ça, sur moi, c'est reparti. Ah oui c'est vrai cette année on a une professionnelle en moins mais on reste dans les quotas d'encadrement, encore moins le temps de penser, trop de travail, trop de bruit, trop de tensions, trop d'enfants, trop de familles, trop de fatigue, trop de fragilité, trop de questions, trop peu de réponses.
J'ai toujours dit que tant qu'on ne va pas à l'encontre de ce que je suis en tant que professionnelle et en tant que personne, je suis prête à accepter beaucoup de chose.

30 septembre 2015. Puis, vient ce jour où ça devient TROP... douloureux. C'est douloureux de ne plus être en accord avec ses valeurs. Alors on craque pour un rien, on s'énerve ou on pleure, on est émotionnellement sur un fil, jusqu'au jour... jusqu'à CE jour où même les enfants on ne les supporte plus, on rentre chez soi effondrée, épuisée, on va chez son médecin car on croit qu'on couve quelque chose et là le diagnostic tombe : burn out.
Tout ça pour en venir à se demander comment on en est arrivé là, comment ILS en sont arrivés là, oui ILS... la société, les politiques, les décideurs, comment autant de décrets, de décisions et d'information sur la petite enfance ont pu être mis en place, comment ont-ils pu oublier que les enfants d'aujourd'hui seront les adultes de demain, oublier l'importance des premières années de la vie, de la qualité des soins, de la bientraitance à cette période cruciale, pourquoi vont-ils à contre courant de ces idées unanimement reconnues ?
Il est normal qu'un accueil de qualité ait un coût, et je comprends que les collectivités (associations etc.) veuillent rentabiliser leurs structures, mais pas au détriment de cette qualité, l'aspect quantitatif ne devrait pas primer sur le qualitatif.
Ai-je besoin de leur rappeler que nous avons une profession exigeante, le personnel est soumis au stress, à la pression, au bruit, à la fatigue, aux exigences sociales, politiques, culturelles et familiales, nos professions sont essentiellement fondées sur un don de soi dans une société où cela ne va plus de soi !
Contrairement à ce qu'ils pensent, nous ne faisons pas que changer des couches, jouer avec eux et être assises sur des coussins, nous contribuons à leur développement physique, psychique, à leur épanouissement, leur confort, leur sécurité, leur autonomie, à leur intégration sociale, nous accompagnons les familles dans leur rôle éducatif, nous avons aussi un rôle de prévention, nous ne nous occupons pas de bétails ni de machines mais de petits humains et nous sommes aussi des humains.
Je suis bouleversée de voir que l'on fait tout dans la précipitation, il faut tout faire vite, même les câlins, comment expliquer à un petit enfant qu'on n'a pas le temps, plus le temps, qu'on a plein de choses à faire, qu'il n'est pas tout seul, je suis bouleversée qu'on ne se soucie plus d'eux mais de combien ça va coûter, combien ça va rapporter...
Je me demande comment continuer à travailler ainsi, continuer à faire de son mieux avec les moyens qui nous sont donnés, claquer la porte à la débauche et faire comme si de rien était. Je ne peux pas, je ne veux plus.
J'en suis arrivée à me demander comment je vais faire, qu'est-ce que je vais faire, comment je vais pouvoir le faire ?
J'aimerais que toutes ces années d'expériences puissent être utiles à autre chose, à continuer à aider autrement, à faire évoluer les choses autrement, car je ne suis pas contre l'évolution mais pas comme ça .
Je souhaite que les futures professionnelles soient conscientes de tout ça pour appréhender leur travail d'une manière différente, de façon à ce que tout le monde y trouve son compte sans en arriver où j'en suis arrivée.

15 Mars 2016.  Cinq mois et demi plus tard. Je me sens prête. Je retourne à la crèche, j’ai besoin de savoir si je peux continuer à exercer ce métier que j’aime et  que j’ai choisi. Verdict ; oui je continue, je suis contente de retrouver les enfants et mes collègues m’entourent,… Vais- je tenir encore 17 ans ? J’en doute.

Septembre 2019. Trois ans ont passé. Depuis d’autres collègues ont vécu la même chose. Je ne suis plus seule à savoir ce que signifie réellement le burn out, on se comprend et on se soutien. Ce terme qui me paraissait être un mot américain à la mode, a maintenant pris tout son sens.
Désormais, je prends plaisir à partager des moments avec les petits et je travaille toujours en accord avec mes valeurs. Le burn out m'a appris à dire non !
Voir mes propres enfants arriver dans le monde du travail m’a fait prendre conscience qu’être dans la petite enfance c’est comme être dans le "monde des Bisounours", un monde rempli d'empathie et de bienveillance. Je me sens protégée de certaines choses.  
Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui je me pose beaucoup moins de questions : j’aime la place que j’ai dans la crèche, j’aime définitivement ce métier, et je travaille avec une équipe qui déchire !
Article rédigé par : Corinne Grimaldos
Publié le 20 avril 2016
Mis à jour le 12 juin 2023
Très beau témoignage. Je le vis aujourd'hui, mais pour mon cas, c'est la malveillance des collègues, autant envers les adultes que les enfants qui m'ont fait sombrer. Cela fait 10 mois aujourd'hui,j'ai un métier passionnant, enrichissant. Un pur bonheur d'être auprès des enfants et des parents. Mais du fait d'avoir des collègues non formées et qui viennent parcequ'elles sont payée, je redoute mon retour. Comment l'aborder ? Car j'ai peur de retourner dans mes dérives, faire tout à la place des autres qui discutent entres elles, laissent les enfants pleurer, car il ne faut pas les habituer aux bras..... Pourtant, comme vous, cemétier je ne l'ai pas choisi, c'est lui qui a fait de moi un professionnel qui s'amuse parfois autant que les enfants....