La philosophie exigeante de Montessori pour les tout-petits

La pédagogie de Maria Montessori a fait ses preuves auprès des enfants en âge scolaire, mais sa vision pour la petite enfance est plus récente. Une approche pas évidente à mettre en place dans des lieux d’accueil aux pratiques bien ancrées et aux moyens limités.
Pour mieux comprendre l’esprit Montessori, il faut se replonger dans l’histoire et dans l’époque de Maria Montessori. Médecin psychiatre, passionnée d’anthropologie, c’est en observant les jeunes enfants défavorisés qui lui sont confiés, qu’elle conçoit progressivement une pédagogie nouvelle basée sur un environnement ordonné, adapté aux élèves, et sur leur grande autonomie dans ce cadre. Un regard différent sur le développement de l’enfant, qui porte rapidement du fruit. Forte de son succès, elle ouvre des écoles et forme des éducateurs, pour les enfants de 3 à 6 ans et de 6 à 12 ans. Et ce n’est qu’à partir de 1939, à la faveur de son exil forcé en Inde pendant la guerre, puis de son installation aux Pays-Bas, qu’elle va s’intéresser de plus près à la vie intra-utérine, au nouveau-né et au tout-petit de moins de 3 ans, en les observant vivre simplement. « A son retour d’Inde, explique Patricia Spinelli, directrice de l’Institut Supérieur Maria Montessori (ISMM), elle a dit à ses collaboratrices, « un enfant de 3 ans, c’est comme un vieillard de cent ans, il est construit ! » Elle avait compris que le tout-petit avait une structure psychique, une identité déjà bien formée et qu’il lui fallait un environnement adapté à son besoin de développement profond. » Une idée révolutionnaire ! Il faut dire qu’en Occident, à cette époque, le bébé n’est pas vraiment considéré comme une personne, est nourri à heure fixe, bien souvent confié et fait à peine partie de la vie de la famille. 

Un héritage avant-gardiste
Maria Montessori commence alors à élaborer les prémices d’une formation, et meurt quelques années après, en 1952. Elle laisse en héritage une vision du tout-petit incroyablement lucide pour son époque, consciente que l’enfant est doté d’un esprit absorbant, guidé par des périodes sensibles transitoires, qui le poussent naturellement à puiser dans son environnement ce dont il a besoin, pour acquérir des compétences instinctivement recherchées. A sa suite, « l’Association Montessori Internationale (AMI) a mis beaucoup de temps à développer la formation 0-3 ans parcequ’il a fallu commencer par former des formateurs eux-mêmes, explique Patricia Spinelli. Donc ça ne fait qu’une petite vingtaine d’années que l’AMI développe l’accueil des enfants de 0 à 3 ans ! » Qu’à cela ne tienne, la pédagogie Montessori pour les tout-petits s’est rapidement fait connaître des professionnels de la petite enfance et du grand public, du moins dans ses grandes lignes... Car « faire du Montessori », dans la réalité des lieux d’accueil de la petite enfance, c’est un engagement difficile, une remise en cause totale des pratiques habituelles qui exige un taux d’encadrement plus important, un matériel et un environnement adaptés ainsi qu’une formation spécifique des professionnels de la petite enfance. 

« Une autre façon de considérer l’enfant » 
Car il ne suffit pas d’utiliser quelques plateaux et de retirer les barrières pour accueillir à la manière de Montessori ! « En crèche, il est difficile de faire quelque chose à moitié. Lorsqu’on se contente d’installer une étagère, deux hochets, je ne vois pas en quoi on « fait du Montessori ». Alors que dans les écoles, si l’Education Nationale emprunte des petites choses à Montessori, c’est déjà formidable, note Sylvie d’Esclaibes, formatrice, et directrice pédagogique du réseau Neokids. Cette approche, c’est un état d’esprit, un regard différent porté sur l’enfant. Au quotidien, ce n’est pas facile mais c’est tellement enrichissant… » Pour proposer un accueil Montessori global en collectivité, il faut accepter de repartir de zéro, de mettre en place un environnement sobre, épuré et ordonné, dans lequel les enfants pourront être autonomes, dans le cadre structurant qui leur est donné. Un matériel simple mais spécifique est mis à leur portée notamment pour le développement sensoriel (mobile et images noir et blanc, hochets, balle de préhension, boite à permanence de l’objet etc.). Les journées sont rythmées par des routines rassurantes et les enfants évoluent en motricité libre. Chaque professionnel de la petite enfance doit surtout adopter une juste posture d’éducateur, toujours dans l’observation, la retenue et l’accompagnement, en étant solidement formé (et pas seulement initié) à la pédagogie Montessori. 

« Pikler va plus loin sur les 0-3 ans » 
Mais pour certains, si l‘approche Montessori fait foi à l’école, elle est moins adaptée pour les 0-3 ans. Dans le groupe Plaisir d’enfance, on a choisi de suivre Pikler Lòczy pour les crèches et Montessori pour les écoles. Pour son président, Boniface N’Cho, « Les crèches Montessori, oui ça fonctionne bien parce qu’en terme de marketing, c’est ce que connaissent les parents, c’est le truc du moment. Mais dans les valeurs et les repères, pour moi ce n’est que du Pikler ! La motricité libre c’est une approche Piklerienne. On a d’autres choses très intéressantes chez Montessori mais je trouve qu’Emmi Pikler est plus riche et va plus loin sur les 0-3 ans. » Pas de guerres de clochers, en pratique, nombreuses sont les crèches qui associent intelligemment la pédagogie Montessori à d’autres approches alternatives comme Pikler Lòczy, Snoezelen ou encore Freinet, qui viennent compléter l’idée d’un accueil respectueux du développement de l’enfant, mis au centre du projet pédagogique. « C’est vrai que Maria Montessori et Emmi Pikler sont souvent mises en parallèle. D’ailleurs le matériel qui est utilisé dans les crèches Pikleriennes est souvent, en proportion importante, du matériel proposé par Maria Montessori, explique Fabienne Ferrandini, directrice pédagogique du groupe Plaisir d’Enfance, plus mesurée. Je pense que les valeurs sont les mêmes, les objectifs aussi, sauf qu’Emmi Pikler a davantage développé sa vision du très jeune enfant, dès les pouponnières d’après guerre. La différence pour moi elle est là. »


 
Article rédigé par : Laurence Yème
Publié le 08 juillet 2021
Mis à jour le 01 décembre 2021