Halte-garderie semi-plein air : quel impact sur le développement et l’accompagnement du jeune enfant ?

Valérie Roy, EJE, est responsable de la halte-garderie semi-plein air Le p'tit jardin de l'Union Départementale des Associations Familiales à Paris. Elle est aussi titutaire d'un Master des Sciences de l’Education et dans ce cadre a mené une recherche  à l'Université de Paris 8 sur l'impact des haltes-garderies semi plein air sur le développement et l'accompagnement des enfants de 12 mois à 3 ans. Ce type d’établissement très peu développé en France leur apporte de nombreux bienfaits. A l’aire des colloques sur la bientraitance, cette recherche démontre combien les jeunes enfants développent leurs compétences et élargissent leurs champs sensoriels en entrant en contact avec les éléments de la nature. Elle questionne de ce fait les espaces dédiés aux tout-petits dans les structures petite enfance. Où et quand peuvent-ils jouer librement et s’épanouir de façon autonome ? Voici la synthèse de ses observations.

L’enfant et les jeux avec les éléments de la nature
Fröbel décrit le jeu comme un acte profond. L’enfant y développe ses sens et les premiers éléments de sa pensée .
Voici une observation menée dans le jardin de la structure : le 10 novembre 2017 « Il y a 4 adultes dehors et ils sont 20 enfants. Le temps est doux et nuageux. Durant l’après-midi les enfants sont restés dehors. J’observe une petite fille, Lalyha, deux ans et demi, en train de jouer avec des feuilles de l’arbre. En effet, depuis quelques jours, les feuilles des deux platanes ne font que tomber. Elle s’allonge de tout son long par terre sur l’herbe et s’empare de la grande feuille d’automne. Elle la regarde intensément et la déchire avec ses mains. Elle joue avec ses doigts, elle coupe la feuille en morceaux et cherche à en réaliser de plus petits. Elle semble complètement absorbée par son activité. »

Au terme de cette recherche, il est constaté que les enfants jouent à la fois avec ce que les adultes mettent en place à leur disposition dans cet espace plein air (coin garage, coin poupées, dînettes, coin poussettes ; etc) et à la fois, créent leur propre jeu imaginaire en entrant directement en contact avec les éléments de la nature de façon souvent solitaire. Ces jeux observés se font souvent quand l’adulte n’y prête pas attention. Les enfants en deviennent totalement auteurs. Je me suis souvent demandée pourquoi ? Une émotion perceptible, une concentration particulière s’éveillent à ce moment-là. Les enfants jouent avec des éléments vivants et de ce fait en tirent une énergie, une satisfaction différente. C’est comme une communion, une rencontre, une énergie partagée. Ils reçoivent de l’énergie des éléments de la nature.

Je remarque que les enfants développent une sensibilité particulière à la nature. Steiner voit dans la nature un lien très profond avec le spirituel. Selon ce pédagogue, derrière le monde physique, sensible que nous percevons, se trouve un monde spirituel. Il parle d’un sentiment moral qui s’éveille au contact de la nature. C’est peut-être ce que j’ai perçu durant les observations de terrain ? Dans un espace fermé, les jouets sont souvent en plastique, le sol, aussi. Les jouets n’ont pas la même vitalité, ils sont inertes.

De nombreux jeux de coopération entre pairs
Dans l’espace extérieur, cette recherche souligne que les enfants mettent en place beaucoup de jeux de coopération entre pairs (deux ou trois enfants) avec une durée plutôt longue. Ils développent leur socialisation de façon plus « secure ». Corinne, éducatrice d’une halte-garderie plein air précise : « On voit les enfants qui ont l’air très épanouis, il y a très peu de conflits entre eux, ils sont libres. » ou encore : « En tous les cas je vois plus de rire et d’interactions hyper positives entre les enfants, là je l’ai vu tout à l’heure, ce que les enfants ont pu faire en début d’après-midi, moi je n’avais jamais pu l’observer ailleurs ». Etant plus libres, ils organisent des jeux entre pairs plus facilement. Ils coopèrent entrent eux plus souvent. Maria Vincze, pédiatre, ayant exercé à Loczy, parle de la multiplication des conflits dans les espaces intérieurs. Les jeux entre pairs réussis offrent aux enfants une image agréable du groupe.

Les jeux de motricité globale
Cette recherche souligne que les enfants entre 13 mois et 3 ans révolus, dans le jardin extérieur développent une plus grande motricité globale en raison de la liberté éprouvée au travers du jeu. Ils passent facilement des matinées entières (3 heures) à jouer au vélo, à la trottinette, courir dans tout l’espace sans se fatiguer.
Alicia, responsable de la halte-garderie en plein air soulève cet élément durant son entretien : « ils ont une motricité globale, une aisance dans leur corps qu’on ne retrouve pas dans d’autres structures. » Jessica, une maman l’atteste aussi : « Oui, je suis persuadée que l’accès quotidien aux jeux d’extérieurs, l’espace et l’air pur ont permis à Alice d’acquérir une plus grande agilité et beaucoup plus rapidement ».
Les enfants n’appréhendent pas de monter sur des draisiennes, des trottinettes. Les accidents sont rares. Ils apprennent même tous seuls à en faire. Sarah Wauquiez, psychologue, institutrice atteste des progrès des enfants immergés régulièrement dans la nature .
Alicia ajoute concernant le stade sensori-moteur : « Il existe un moment donné dans le développement de l’enfant, la phase du déménageur. On sait très bien qu’il a  besoin de vider, de transvaser, de bouger. Il a besoin de sauter… ». Mais ce besoin semble minimisé, réduit avec trop d’investissements à l’intérieur des structures

Les jeux de motricité fine
Cette recherche atteste que de nombreux enfants mettent en place des jeux très habiles avec leurs petites mains dans l’espaces extérieur du jardin, des jeux d’autant plus variés. Voici une observation, celle du vendredi 27 octobre 2017 : « J’observe un jeu d’enfants. Les enfants sont 20.  Le garçon a trois ans. Il est installé à même le sol sur la gomme. Il joue avec une feuille. Il a récupéré une poêle du coin dinette. Il déchire la feuille. Je lui demande : « Que réalises-tu ? une salade ? » « Non, je récupère la tige ». Tout en l’observant, je vois qu’il retire toute la feuille de la tige avec ses petites mains, ses doigts plus précisément. Et il la conserve. Il utilise ses doigts pour cela de manière très fine... » La nature encourage la découverte du schéma corporel, favorise le développement intellectuel et la créativité, la concentration  mais aussi la motricité fine.
Maria Vincze, pédiatre, l’évoque également. Les professionnelles de la petite enfance prennent l’habitude de proposer des ateliers de motricité fine aux jeunes enfants dans les structures mais ils en font eux même naturellement, de façon très autonome.

Le voyage et la pulsion viatorique
Cette recherche met en lumière combien les jeunes enfants s’amusent à voyager dans l’espace extérieur de la structure. Chose assez étonnante ou pas, ils sont pris par une frénésie du voyage ! Ils montent sur les motos, les camions et ils s’en vont. Ils font plusieurs fois le tour du grand chemin en rigolant. Cela paraît très sérieux pour eux. Le jardin dans lequel les enfants s’amusent et se déplacent est un lieu à explorer, un environnement dédié aux voyages imaginaires avec ses odeurs et ses couleurs.
Voici une observation, le 16 avril 2018 : « Je surprends deux enfants en train de jouer à la trottinette. Un enfant dit à l’autre : « on part en voyage, il faut rejoindre l’avion ». »
Bernard Fernandez précise que l’homme est attiré par les espaces. Il conquiert les espaces, peut-être pour rendre familier ce qui semble inconnu, pour s’approprier sans cesse l’environnement car, dès l’enfance, le petit être fait un apprentissage cognitif et spatial de l’environnement.

G. et A. Haddad, psychanalystes dans leur ouvrage « Freud en Italie » parlent d’une pulsion, la pulsion viatorique. Cette pulsion nous pousserait à voyager, avec l’appel de l’inconnu, de l’autre, des espaces. Il existerait donc une cinquième pulsion, nommée « pulsion viatorique » . Quels seraient donc les paramètres de cette pulsion ?  L’objet en jeu dans cette pulsion originale serait donc l’espace lui-même. Il semble que celui qui voyage le fait pour retrouver une dignité blessée ou menacée. C’est peut-être aussi ce qu’entreprennent les enfants en voyageant ainsi dans le jardin. Ils s’approprient l’environnement pour le rendre familier et se rassurer. L’organe de la pulsion viatorique est la plante des pieds.  
Les jeunes enfants éprouvent le besoin de marcher, de traverser tout le jardin, d’aller dans tous les recoins de cet espace pour se l’approprier mais aussi parce que cette pulsion se met en place et s’exprime au travers de leurs jeux d’enfants. Priver un enfant de marche, de courses, d’espace, est-ce peut-être le priver d’un besoin de découverte, d’une curiosité, d’un élan animé par la pulsion viatorique ?

Plus d’émotion dehors
Concernant les émotions, cette recherche démontre que dans l’espace plein air, l’expression émotionnelle est plus ample, pleinement vécue et autorisée par les professionnelles.
Corinne, l’éducatrice, dans son entretien précise : « il y a, énormément de rires, de mouvements, le plein air le permet, ce serait plus compliquer à réaliser et à accepter en tant que professionnelle à l’intérieur. » Le bruit à l’intérieur des espaces bride la manifestation des émotions des enfants. Des spécialistes le soulignent. « Le contact avec la nature améliore la qualité du sommeil et augmente l'énergie et la joie de vivre…», affirme le Dr David Suzuki, scientifique et environnementaliste de renom.


Suite aux différents thèmes abordés, le mot central de cette structure singulière semble celui de la liberté.
Au terme de cette recherche menée sur deux ans, il ressort que la halte-garderie semi-plein air a un impact positif sur la motricité globale des jeunes enfants de 13 mois à 3 ans révolu, elle l’accentue. Elle a un impact sur la motricité fine en permettant sa mise en place librement et de façon très autonome au travers de jeux supplémentaires élaborés par les jeunes enfants avec les éléments naturels. Au terme de cette recherche, il est constaté que la structure semi-plein air a un impact sur les émotions des jeunes enfants. Elle permet une plus grande expression affective par rapport à l’espace intérieur. Au terme de cette recherche, je confirme que la structure semi-plein air a un impact sur la relation qu’établissent les enfants avec des éléments de la nature auxquels ils ont accès dans leur espace de jeu, de façon autonome. Ils ont un plus grand champ d’expériences sensorielles à leur portée. Ces expériences participent à l’élaboration de leur construction identitaire environnementale. La structure semi-plein air propose une élaboration plus fréquente des jeux entre pairs dans un climat coopératif et de façon autonome.
J’émets l’hypothèse que l’environnement stimulant du jardin extérieur aide l’enfant à l’élaboration d’une pensée plus vaste, plus profonde du fait des stimulations et des expériences sensorielles plus variées avec les éléments de la nature.

Cette recherche pose un problème, celui de l’éducation à l’enfermement. Trop de structures prennent l’habitude de laisser les enfants à l’intérieur des espaces au détriment même de leur santé. « Le syndrome du déficit de la nature » a été abordé en 1880 par des médecins alarmés par l’état de santé des petits urbains. En effet, à cette époque, les conditions de vie urbaine, chargée de microbes, multipliaient les maladies infectieuses, créant une catégorie d’enfants fragiles dénommés « les inadaptés urbains ».
Sans doute au cours du moyen âge, de la Renaissance, de toute la période pré-révolutionnaire, l’enfance a vécu en plein air comme le souligne Marc Augier dans son chapitre « l’enfant en plein air ». Depuis, d’autres auteurs semblent alarmer comme Richard Louv dans son ouvrage « The last child in the wood ». Cette recherche soulève ainsi le problème de la bientraitance et des difficultés de sa mise en place en structure petite enfance. Avons-nous la capacité d’accueillir cette bien-traitance psychiquement ? Ou est-ce une utopie, un rêve un peu fou d’envisager un accueil de qualité destiné aux petits enfants ?
Je finirai toutefois sur ces mots, libres sont les enfants en plein air.

NB. Réalisée au sein du Laboratoire Experice de l’Université de Paris 8 à Saint-Denis, cette étude a été dirigée par dirigée par Mme Chicharro, Docteure en Ethnologie de l’Université de Paris 10-Nanterre, diplômée en Chinois de l’INALCO, maître conférencière au département de Sciences de l’Education de l’Université Paris 8, directrice pédagogique de l’IED. En accord avec Xavier Caro, directeur de l'UDAF, et Emilie Négrier, coordinatrice du Pôle petite enfance de l'UDAF.

Consulter l'intégralité de l'article (incluant l'introduction, la méthode de travail, le lieu de recherche, les appels de notes, la bibliographie) :
Article rédigé par : Valérie Roy, tiré du Mémoire de recherche « Libres enfants du plein air »
Publié le 15 octobre 2018
Mis à jour le 01 octobre 2020