L’analyse de pratique en 5 points-clefs

Travailler dans la petite enfance c’est une responsabilité immense. Et si l’analyse de pratique est utile dans bien des secteurs, elle l’est particulièrement pour les professionnels de la petite enfance qu’ils exercent en crèche ou à leur domicile. Comment l’analyse de pratique se met-elle en place ? Quels bénéfices en attendre ? On fait le point avec Pierre Moisset, sociologue-consultant politiques sociales et familiales et Caroline Morel, psychologue-consultatnte petite enfance, tous deux formés à ce type d’intervention.
1. L’analyse de pratique : essentielle dans la petite enfance
Travailler auprès de jeunes enfants c'est stressant, fatigant et surtout c'est loin d'être anodin puisqu'on prépare les adultes de demain. « Plus le petit enfant sera en relation avec quelqu’un qui rayonne, mieux ce sera » souligne Caroline Morel, psychologue. Et d’insister : « il faut que les professionnels soient bien dans leur peau, gais et disponibles ». Pour Pierre Moisset, sociologue, « dans la petite enfance on ne sait pas ce qu’on fait, ce qui se passe sur le terrain n’est ni vu, ni pensé, ni décrit dans les formations. D’où la nécessité de se poser, d’aborder des cas concrets et de mettre en forme et en mots ce que l’on vit au quotidien. » L'analyse de pratique aide à donner du sens à ce qu'on fait au quotidien. Et bien souvent (même s’il arrive parfois que des carences soient à pointer) le fond de l’analyse de pratique selon Pierre Moisset, c’est la « positivation ». Car les professionnelles font plus ce qu’elles pensent. Elles ont plus de compétences, plus d’implications et de valeurs que ce qu’elles croient.

2. L’analyse de pratique permet de prendre du recul sur l’exercice de son métier au quotidien
A un premier niveau, l’analyse de pratique est un outil de régulation. « Cela permet de vidanger régulièrement les problèmes. On en parle. Point barre, explique Pierre Moisset. A un deuxième niveau, on creuse un peu plus et souvent on comprend que les problèmes arrivent parce que l’activité n’est pas claire, clairement définie ». « L’analyse de pratique permet de prendre du recul, d’avoir un espace pour se poser et réfléchir » résume Caroline Morel.
Mais l’analyse de pratique même, si elle joue un rôle important notamment quand il s’agit de situations délicates à dénouer ne remplace en aucun cas, ni les réunions d’équipe ni les journées pédagogiques. En ce sens elle est l’un des outils de la réflexivité mais pas le seul.
 
3. Les 4 grands principes de l’analyse de pratique
• L’animateur doit être quelqu’un d’extérieur à l’équipe. Cela peut être un ancien professionnel (éducateur de jeunes enfants ou infirmière- puéricultrice), un psychologue ou psychothérapeute, un sociologue. Peu importe, il faut juste quelqu’un qui ait une bonne connaissance du secteur, des métiers et de la pratique. Quelqu’un qui ait pu éprouver les dilemmes, les enjeux et les postures dans lesquels la pratique met les professionnels.
• Le groupe doit être constitué de « pairs » c’est-à-dire de personnes ou bien travaillant ensemble (dans le cas de groupes organisés en interne) ou bien faisant le même métier et ayant reçu la même formation (dans le cas où cela se fait à l’extérieur du service) mais sans aucun lien hiérarchique. Car la parole doit être libre. Un climat de confiance où l’on ne juge pas et ne se sent pas jugé est une condition sine qua non. Très concrètement cela signifie que qu’une directrice n’a pas à être présente quand il s’agit d’analyse de pratique en interne. Ou qu’une animatrice de RAM ne doit pas participer à un groupe réunissant des assistantes maternelles. Dans l’idéal, participer à un groupe d’analyse de pratique doit être une démarche volontaire
• L’analyse de pratique doit être temporaire - pas plus de deux ou trois ans - sinon l’analyste connait trop bien le groupe et n’a plus le recul nécessaire.
• Enfin il faut une régularité dans le planning des réunions. Une fois par mois c’est bien. Une fois tous les deux mois c’est mieux que rien. Et deux fois par mois c’est l’idéal. Il arrive dans certains cas que les groupes se réunissent une fois par semaine, mais c’est rare.

4. Analyse de pratique : comment se déroule une séance
Chaque séance dure 2h ou 3h selon les cas en moyenne. L’analyste fait une introduction assez neutre et rappelle les règles : bienveillance mutuelle, écoute respect des différents points de vue énoncés, pas de jugement.  
Tout commence par une étude de cas exposée par l’un des participants. « Mon rôle explique Pierre Moisset est alors de poser des questions pour déplier le récit. » Des questions précises sur le cas pour pouvoir mettre en évidence ce qui n’a pas été vu ou qui est apparu comme anodin lors de la situation. Après chacun peut s’exprimer sur le cas de façon constructive et bienveillante. « Quand on parle de pratique, insiste Pierre Moisset, tout le monde est sur un pied d’égalité. On ne se prononce pas en termes de compétence supposée, statut ou place hiérarchique ». Et Caroline Morel précise : « en analyse de pratique la personne qui n’est pas concernée par le cas peut se prononcer. Le fait d’en avoir parlé avant peut lui permettre de l’affronter quand la situation se présentera. En ce sens l’analyse de pratique joue un rôle de prévention ». L’analyste ensuite formule un certain nombre d’hypothèses sur ce qui s’est passé, sur les véritables enjeux au-delà de la situation décrite. L’animateur ne donne aucune solution mais en revanche, grâce à ses interventions, permet à chaque membre de groupe à partir d’un même cas concret de trouver ses propres réponses.

5. Analyse de pratique : pourquoi elle n’est pas généralisée ?
L’argent et le temps : voici les deux principaux freins à une généralisation de l’analyse de pratique dans toutes les structures d’accueil collectif mais aussi pour les assistantes maternelles via les RAM. Une heure d’analyse de pratique est facturée de 130 € à 350€ environ. Une fourchette large qui dépend des intervenants choisis et de leurs tarifs.  Et ce n’est souvent pas une priorité dans les budgets des crèches ou des RAM ! Par ailleurs l’analyse de pratique doit se faire hors du temps « enfant ». Et là arrive le casse-tête des remplacements. Ces deux facteurs expliquent que pour certains gestionnaires ou directions ce ne soit pas vraiment une priorité ! Dommage particulièrement pour les assistantes maternelles qui isolées dans leur pratique, en éprouvent particulièrement l’envie et le besoin.
Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 17 septembre 2017
Mis à jour le 29 mars 2019

2 commentaires sur cet article

En tant qu'auteure d'un ouvrage sur l'analyse de la pratique paru chez Erès (2016), je souhaiterais revenir sur plusieurs points. D'abord le tarif annoncé qui me paraît excessif (voire scandaleux) et qui risque de décourager les équipes. Pour ma part, je demande 110 € de l'heure et c'est à peu près le tarif pratiqué sur la région lyonnaise. Pour qui se prennent des intervenants qui demandent de telles sommes? Par ailleurs, pour moi, un psychologue est particulièrement formé à l'analyse de la pratique, à l'écoute, à la dynamique de groupe et à la connaissance du jeune enfant. Un EJE qui intervient en AP risque d'être l'expert qui vient donner des solutions, ce qui n'est pas l'objectif de l'AP. Enfin, la présence de la directrice se discute. Sa non participation est devenue un dogme, or, dans les petites équipes, où elle est beaucoup sur le terrain, elle est exclue de la réflexion en équipe et c'est parfois dommage. j'ai des équipes qui souhaiteraient que la directrice participe. L'analyse de la pratique est précieuse pour les équipes et il faut effectivement défendre cette activité de soutien pour la qualité de l'accueil de l'enfant, de ses parents et la qualité du travail en équipe. Marie Paule Thollon Behar
Bonjour, je suis d'accord avec mme Thollon-Behar: la formation d'EJE ou de sociologue ne permet pas de mener des groupes d'analyse de la pratique. En effet, il s'agit d'un positionnement très délicat qui demande connaissances approfondies de la relation qui s'instaure entre un adulte et un jeune enfant, la prise en compte des enjeux conscients et inconscients du travail auprès de jeunes enfants et pas seulement des connaissances sur le développement de l'enfant, une écoute neutre et bienveillante acquise souvent par un travail sur soi-même,la connaissance de techniques qui permettent d'aider les professionnelles à réfléchir par elle-mêmes, la prise en compte des phénomènes qui se développent dans tout groupe et peuvent entraver la dynamique de groupe. La tendance est à assimiler les professions d'éducateur et de psychologue, de puéricultrice et de psychologue, les éducateurs pouvant même devenir les supérieurs hiérarchiques des psychologues et je ne pense pas que cela soit favorable à notre profession mais aussi aux professionnelles avec lesquelles nous devons travailler. En ce qui concerne la participation de la responsable de la crèche, je suis aussi d'accord avec Mme Thollon-Behar. En effet, même si son travail peut être beaucoup envahi de tâches administratives, elle est responsable de la bonne prise en charge des enfants et est elle-même prise dans des enjeux dont elle n'a pas forcément conscience. On ne choisit pas ce métier par hasard... En revanche, en ce qui concerne le tarif, 150-200 euros ne me paraît pas excessif. Il faut enlever 50 % de charges sociales, les congés payés, le travail de préparation en amont (pour ma part, je passe du temps au téléphone pour cerner la demande, je fais un projet qui peut être discuté, j'envoie un questionnaire pour mieux préparer mon intervention, même si elle peut se révéler très différente de ce que j'avais pensé!), le temps de trajet qui peut être énorme en région parisienne... Dorothée Bouilloc