Zoom sur les écoles maternelles « plein air » de l’entre deux guerres

Depuis un an que de cette épidémie de COVID-19 bouleverse nos vies et celles des enfants que nous accueillons, Valérie Roy, EJE, responsable d’un EAJE semi plein air, et doctorante à l’Université de Paris 8 en Sciences de l’Éducation a souhaité revenir sur une période de notre histoire où les maternelles en plein air se développaient. Créées au départ pour lutter contre la tuberculose, elles ont montré non seulement leur intérêt en termes d’éducation à la santé mais aussi en termes de pédagogie, d’initiative, de qualité d’accueil du jeune enfant, d’éducation nouvelle et à l’environnement, bien entendu d’éducation à la santé. Valérie Roy raconte le quotidien d’une école maternelle plein air à Rouen en 1922. Et c’est passionnant !
L’école en plein air, un mouvement né au début du XX éme siècle
Halte à une idée reçue ! Non le mouvement plein air ne concerne pas que les pays froids comme la Suède. La France a bien joué un rôle important durant le mouvement plein air de l’entre-deux guerres qui s’est répandu des années 1900 à 1945, par le biais de pionniers importants comme Gaston Lemonier, Alice Jouenne, Ovide Decroly, etc.  
Des éducateurs, des médecins, des maires, des sénateurs, des architectes novateurs se sont réunis durant de nombreux congrès avec une forte participation de la France en 1922 et 1936 notamment.  Tous ces professionnels travaillaient ensemble. Il n’y avait pas d’un côté les praticiens de terrain et de l’autre les médecins, les pédopsychiatres ou les psychologues, les universitaires. Tous réfléchissaient ensemble à l’amélioration de la prise en charge de l’enfant, notamment celle de sa santé et des plus fragiles comme les pré-tuberculeux, les tuberculeux.
De nos jours, le petit enfant est mis à mal dans nos structures petite enfance. Souvent enfermé dans une pièce possédant de grandes baies vitrées qui donnent parfois sur un jardin inaccessible, il doit se contenter de quelques minutes en extérieur ou attendre le mois de mai pour sortir dehors. Alors qu’un siècle plus tôt, il était en petite tenue dehors, en train de profiter du soleil, du vent, d’herbes hautes et de fleurs.
Loin des espaces extérieurs plastifiés, couteux, difficiles à entretenir, nos anciens ont utilisé finalement une méthode plus simple, plus naturelle, que j’expérimente moi-même en travaillant sur Paris : l’utilisation d’un jardin avec des arbres, ce qui est encore mieux pour la santé des tous petits.

Une façon de lutter contre la tuberculose
 En ce temps-là, la prise en charge du jeune enfant n’effrayait pas à ce point l’Hygiène Sociale, (l’équivalent de notre PMI actuelle). La tuberculose sévissait, une maladie bien plus grave que le coronavirus, compte tenu des déformations osseuses qu’elle pouvait provoquer, des morts, et pourtant, une solution toute simple fut trouvée, celle d’exposer le corps au soleil, à la lumière réparatrice.
Pas n’importe comment, puisqu’un médecin accompagnait les enfants durant l’exposition solaire. Ce qu’il faut retenir ce sont les résultats positifs impressionnants. Il suffit de lire l’ouvrage d’Armand Rollier « quarante ans d’Héliothérapie1 » pour s’en rendre compte.

Cette école accueillait à l’époque de tout- petits enfants. En effet dès deux ans, ils entraient en école maternelle. Ce qui peut surprendre de nos jours. Il faut bien comprendre que cette ’école plein air était une vraie école où la scolarité s’effectuait non pas entre les murs de l’établissement mais bien dehors. « Ce n’est pas simplement un bâtiment scolaire situé à la campagne, avec des cours plus vastes qu’à l’ordinaire où seraient prises des récréations plus longues et plus nombreuses2. » C’est une structure où l’on travaillait. Mais il ne s’agissait pas de dressage mais de méthode active.

 L’exemple de la maternelle de Rouen
Pour illustrer ce qu’était cette école maternelle qui accueillait des tout- petits, j’ai choisi celle de Rouen tenue par Mlle Messier. Si l’on voulait obtenir une santé robuste chez les enfants, il fallait œuvrer dès la base, auprès des tout- petits. Les enfants entraient donc à l’école maternelle plein air de Rouen, créée en juillet 1922 dès deux ans. Cette première année, elle accueillait 66 jeunes élèves.
L’installation était vétuste. Des subventions régulières permirent par la suite de moderniser les locaux et actuellement cette école accueille 728 enfants. L’école de plein air se situait donc sur un très beau terrain de la rue des Hospices.  « Et domine au sud-Ouest toute la vallée de la Seine, le vallon du champ des oiseaux 3».
Ce terrain ne comprenait qu’un hectare. L’horizon était limité par Canteleu, le Mont-aux-Malades, Le Mont-Fortin, BoisGuillaume et Bihorel4. Les jeunes enfants partaient en tramway rejoindre l’école. C’était toute une aventure. Ils venaient de quartiers pauvres et pour eux, l’école plein air représentait un lieu de vie de plaisir et d’épanouissement au soleil.

Education à l’hygiène et à la santé
Ces enfants n’avaient jamais posé leur main dans un jardin, ils étaient ravis de toucher l’herbe, de cueillir des fleurs. « Ils apprennent à regarder les nuages, le ciel, à voir les rayons du soleil resplendir sur le paysage. Toute leur sensibilité ardente s’éveille au contact de la nature bienfaisante et douce5 »   Une infirmière travaillait sur place pour les soins d’hygiène des enfants. Trois baignoires étaient disposées dans l’infirmerie. Chaque enfant possédait une serviette individuelle et se lavait les mains au lavabo avant le repas et après chaque récréation. Chaque enfant ne sachant pas lire possédait un signe particulier apposé sur ses vêtements, ses serviettes, etc. Ses insignes permettaient aux enfants de développer leur mémoire visuelle et leur observation. Un bac à sables permettait aux jeunes enfants de jouer au sable. C’était un grand plaisir pour eux. Des arbres fruitiers étaient mis en place dans l’école afin que les enfants développent leur connaissance des fruits, des plates-bandes de fleur, ajoutaient un charme fou au bac à sable. Au-delà des préoccupations habituelles, (nourriture, jeu, propreté) les maîtresses s’occupaient de la santé des enfants, car ils étaient chétifs et souvent issus de milieu défavorisé.
Un sirop iodo-tannique était proposé aux plus fragiles. Le poids des enfants, leur état physique était mentionné dans un cahier de suivi.  

 Apprentissages : des enfants qui progressent vite
Cette école et son organisation pédagogique développaient les compétences des enfants. Les résultats étaient satisfaisants. Leurs progrès étaient notoires au niveau intellectuel. Ils progressaient nettement plus vite que dans des écoles classiques.5
Les enfants se sentaient moins oppressés dehors, « En plein air, au contraire, l’enfant se sent beaucoup plus libre, il n’a pas de mur qui l’enferme, il est toute la journée dehors, il retrouve toute sa spontanéité, et tout son élan. » Les enfants reprenaient du poids et durant l’été, cette école offrait secours aux plus démunis, aux enfants mal logés, surtout pour les parents qui travaillaient et n’avaient pas d’autres recours. La richesse de cette expérience et des écoles plein air françaises démontrent combien certains pédagogues ont rendu possible l’expérience d’un accompagnement différent des enfants en France, un accompagnement plein air.

Des pédagogies à remettre au goût du jour.
Alors demandons-nous pourquoi aujourd’hui dans notre pays, il faut garder l’enfant à l’intérieur dès qu’il naît. Il faut le préserver car il peut tomber, il peut se faire mal, se blesser. Il ne faut surtout pas lui présenter la nature telle qu’elle est, le situer dans un environnement pourtant sain pour sa santé et déjà expérimenté dans notre pays.
Je me demande bien pourquoi en formation d’éducateurs, d’auxiliaire, de CAPAEPE, un module plus long sur l’espace plein air n’existe pas alors que l’expérience de nature est bien recommandée par le gouvernement.
 Oui, il est possible d’accompagner en zone urbaine de jeunes enfants dehors, même en plein Paris. Oui il est possible de créer des potagers muraux qui prennent si peu de places. Il me semble qu’à l’heure du coronavirus, la vitamine D offerte par le soleil, le grand air apportent le plus grand bien aux tous petits.
Finalement n’ayons pas peur de ce type de pratiques puisqu’elles ont déjà été expérimentées en France. Au contraire, améliorons encore plus cette pédagogie par des réflexions communes, des échanges entre praticiens de toute la France, entre pédagogues de terrain et spécialistes médecins, psychologues, pédiatres, pédopsychiatres, universitaires, chercheurs enseignants, architectes, entrepreneurs petite enfance. Et redonnons à notre pays sa place pédagogique qu’elle mérite.

 1.Rollier A. (1944), Quarante ans d’Héliothérapie, Leysin.
 2. M. O Auriac, L’Hygiène par l’exemple, Les Écoles de plein air en France. I. Les débuts. [Lettre-préface de D. Fassou.]. 1944. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, p 59.
3. L’Hygiène par l’exemple, Les Écoles de plein air en France. I. Les débuts. [Lettre-préface de D. Fassou.]. 1944. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, p. 211
 Idem, p. 211
4.  L’Hygiène par l’exemple, Les Écoles de plein air en France. I. Les débuts. [Lettre-préface de D. Fassou.]. 1944. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, p. 213
5. L’Hygiène par l’exemple, Les Écoles de plein air en France. I. Les débuts. [Lettre-préface de D. Fassou.]. 1944. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, p. 216
 Ibid, p 216

 
Article rédigé par : Valérie Roy
Publié le 27 janvier 2021
Mis à jour le 21 avril 2022