Pikler Loczy

Rapport des 1000 premiers jours : un rapport très « piklérien » selon Miriam Rasse.

Miriam  Rasse, psychologue et ex- directrice de l’Association Pikler- Loczy France a lu avec intérêt le rapport de la commission des 1000 premiers jours qui vient d’être remis à Adrien Taquet par Boris Cyrulnik son président.  Elle y trouve de très « bonnes nouvelles » et surtout a relevé des intentions très proches de celles de l’approche Pikler-Loczy. Son analyse notamment sur ce qui concerne l’ accueil collectif du jeune enfant.

NDLR : toutes les phrases entre guillemets sont extraites du Rapport
Des  conditions d’accueil proches de celles défendues par Pas de bébés à la consigne
La Commission des 1000 premiers jours vient de rendre son rapport. Concernant les EAJE, nous ne pouvons que nous réjouir de nombreuses propositions faites comme ce questionnement sur l’âge des jeunes enfants au moment de leur accueil en EAJE soulignant « l’importance pour les bébés et les parents de disposer de temps afin d’élaborer leurs manières d’être ensemble et de construire une relation sécurisante et soutenante ». Avec, en parallèle, le développement de dispositifs d’accompagnement à la parentalité et d’espaces aménagés, de lieux d’accueil enfants-parents « pour lutter contre l’isolement social et favoriser les sentiments de confiance des parents ».

Et aussi des propositions qui rejoignent celles défendues avec ténacité depuis de nombreuses années par le Collectif « Pas de bébé à la consigne » : un ratio d’encadrement d’un adulte pour 5 enfants - quel que soit leur âge -, 70% de personnel formé, une formation initiale « de haut niveau » nécessairement complétée et enrichie par des temps réguliers de formation continue, de réflexivité, de supervision, d’analyses de pratiques.
Ces propositions sont accompagnées de l’impératif d’une revalorisation conséquente des salaires des professionnels, si l’on considère, vraiment, que la prime enfance est « une étape sensible pour le développement et la sécurisation de l’enfant qui contient les prémisses de la santé et du bien-être de l’individu tout au long de sa vie » et « recèle des enjeux considérables pour la société dans son ensemble : garantir le développement des enfants aujourd’hui c’est agir pour les parents, les citoyens et la société de demain ».
Est soulignée aussi la qualité de l’environnement dont « la taille réduite de l’établissement » (en terme de nombre d’enfants accueillis dans une même structure), « une surface intérieure minimum (de 7 m2/enfant) et un accès quotidien à un d’espace extérieur » (comment, encore aujourd’hui, des structures d’accueil peuvent recevoir un agrément d’ouverture sans disposer d’espace extérieur, en sachant que certains enfants vont passer 10h à 11h dans ce lieu, 5 jours par semaine...sans sortir dehors ?)


L’environnement et le temps, des facteurs importants pour le développement
 Nous ne pouvons que nous réjouir aussi de la mise en évidence de facteurs favorisant et soutenant un « bon état de santé physique, mentale et sociale » (selon la définition de l’OMS) car ils rejoignent les conceptions du développement énoncées depuis des décennies par les pédagogies nouvelles, dont l’approche Piklérienne pour la petite enfance :

- « l’influence de l’environnement, des modes de vie, de la qualité des relations sur l’expression des gènes » : l’enfant dispose, dans son équipement génétique, d’innombrables potentialités qui vont pouvoir émerger et se déployer différemment selon l’environnement matériel, humain, relationnel, social, culturel dans lequel il vit.

L’approche Piklérienne ajouterait le rôle actif de l’enfant, l’importance de son activité propre et de ses initiatives pour se saisir activement de ce qui est mis à sa disposition dans cet environnement et ainsi construire ses acquisitions, être acteur de son développement....

- l’importance du temps : du temps pour l’enfant « pour créer des liens, interagir, découvrir, explorer le monde » ; du temps pour les professionnels « pour accompagner les tout-petits, écouter les parents, coordonner leurs interventions » ; de la continuité et des transitions pour relier les différents temps vécus par les enfants, les parents ; « des articulations entre les temps parentaux, personnels, professionnels »

La référence comme essentielle à la qualité d’accueil
Et, nous ne pouvons que nous réjouir de la recommandation « de porter plus particulièrement les efforts sur l’application de la pratique de la référence qui permet une continuité des soins dispensés à l’enfant et contribue significativement à la qualité de l’accueil et à une relation de confiance enfant-parents-professionnels ». Cette pratique, développée depuis de nombreuses années par l’approche Piklérienne et les structures qui s’en inspirent, se voit là confortée par des travaux de recherche cités dans le rapport  qui montrent « qu’une organisation dans laquelle chaque enfant a un adulte référent de manière durable permet à l’adulte de mieux répondre aux besoins de l’enfant, favorisant non seulement la sécurité de l’attachement de l’enfant à l’adulte référent, mais aussi les relations de confiance parents-enfants-professionnels. »

Et, dans le rapport, il est ajouté que « des témoignages de professionnels en France attestent que la référence permet d’acquérir une fine connaissance de l’enfant, de ses habitudes de vie, promouvant donc un accompagnement plus ajusté aux rythmes et besoins de l’enfant. La référence engendrerait une relation enfant-professionnel plus sécurisante et plus favorable pour le développement de l’enfant. Les parents et les professionnels en profitent également lorsqu’une relation stable, individualisée et de confiance s’établit entre eux. À leur tour, ces liens peuvent aussi favoriser une participation plus importante des parents dans la vie de l’EAJE, avec davantage d’échanges mutuellement enrichissants, au-delà des transmissions quotidiennes. »

Bien sûr, il est fait mention des réserves quant à cette organisation institutionnelle autour de personnes de référence, de la part de nombreuses structures d’accueil « qui cherchent ainsi à éviter les « risques » d’un attachement de l’enfant à un adulte référent ».
En effet, mettre en place un tel fonctionnement pour que puissent se construire et se vivre des relations de juste proximité, ni exclusives, ni excluantes, entre professionnels et enfants, tout en prenant soin des relations de l’enfant avec ses parents, n’est pas simple ! Et, de nombreux professionnels ont été échaudés par des expériences difficiles d’enfants qui réagissaient fortement à l’absence de leur référente, du poids de la responsabilité d’une référente quand elle n’est pas partagée et portée par une équipe, et de l’investissement intense que cela représente si elle est trop « seule », avec la crainte de ne pas être à la hauteur de la mission, ou pas à sa place vis à vis des parents dont la place fondamentale est à protéger et soutenir… Car, pour que ce fonctionnement puisse être source d’un mieux-être, pour chacun, être bénéfique et structurant, des conditions institutionnelles sont indispensables : un accompagnement et un soutien des professionnels, avec des encadrants formés à ce travail , la mise en place de personnes-relais; ainsi que des dispositifs jouant un rôle de tiers dans les relations des professionnels avec les enfants, les parents, leurs collègues : un cadre contenant, un projet auquel se référer, un travail d’équipe, des temps de réunion, d’expression et d’élaboration pour penser ensemble (leur nécessité étant d’ailleurs soulignée aussi dans ce rapport).

Et maintenant , des actes !
De nombreuses bonnes nouvelles donc, dans ce rapport de la Commission des 1000 premiers jours … il reste juste qu’elles soient suivies d’effets ! Est-ce que notre société est prête à mettre l’humain au cœur de ses priorités (y compris financières) ? Est-elle prête à miser sur la prévention et la prévenance, « à agir sur le présent pour infléchir les trajectoires futures », plutôt que sur des logiques économiques à court terme ?
 
Article rédigé par : Miriam Rasse
Publié le 16 septembre 2020
Mis à jour le 17 août 2021