Les pros de la petite enfance et leur propre éducation. Par Amandine Micoulin

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à la crèche
C’est l’histoire de Jessica, qui entre dans mon bureau les larmes aux yeux en répétant à voix basse « mon dieu, j’ai fait n’importe quoi ... »
Devant ses pleurs, je m’interroge, je m’inquiète, je lui propose de s’asseoir un instant. Pourtant, rien de particulier ne s’est passé : pas d’affichage de résultats de module, pas de cours sur un sujet sensible ! Juste une séquence pédagogique autour de la parentalité, un questionnement sur nos pratiques auprès des enfants. Jessica repense à son éducation, à ses parents, à la naissance de ses enfants et comment elle a essayé de gérer notamment leurs difficultés d’endormissement.
Elle se questionne sur ce qu’elle a dit, sur les décisions qu’elle a prises : je les ai laissés pleurer… je pensais qu’ils faisaient des caprices ou qu’ils en avaient besoin. En tout cas le pédiatre m’a conseillé de le faire à l’époque. Aujourd’hui je me demande ce qui est le mieux. Je me demande comment j’ai été élevée confie-t-elle dans un souffle.

Fatima elle, ne voit pas où est le problème. Elle travaille dans une crèche qui reçoit des enfants parfois en difficulté. Elle est très souvent touchée par leurs situations, essaie de faire de son mieux. Elle ne comprend pas par contre ceux qui chouinent toute la journée, surtout dans l’espace des grands. Ils ont entre deux et trois ans, sont là parfois depuis plusieurs années, à force ils devraient comprendre que leurs parents reviendront le soir non ?
S’il faut tous les jours qu’elle se comporte comme s’ils étaient en adaptation elle sent qu’elle va perdre patience !
L’année dernière, elle était référente dans l’espace des bébés et finalement cela ne l’étonne pas beaucoup : quand on voit comment les parents prennent les enfants aux bras dès qu’ils pleurent un peu, il ne faut pas s’étonner après qu’ils se collent à la vitre dès qu’ils se sentent seuls, ou pour attendre leurs parents.
Elle, quand elle était petite et qu’elle refusait de manger, ses parents épiçaient la nourriture pour la faire céder et après tout, elle n’en est pas morte non ?

Amélie travaille dans une pouponnière. Elle a toujours voulu être auprès d’enfants en difficulté et aujourd’hui elle se sent à sa place. Elle est partie de loin vous savez, elle a longtemps cru que son éducation était une vérité !
Et puis un jour une émission à la télé et elle s’est pris un mur, comme elle le dit si bien. Elle s’est rendue compte qu’elle n’avait pas eu une enfance si heureuse que cela, que la bienveillance éducative ne faisait pas partie de son quotidien. Du coup elle a commencé à s’interroger : pourquoi reproduire et garder ces croyances ? A commencé alors un long travail sur soi qu’elle espère bien finir un jour, mais elle n’en est pas certaine.

C’est bien là, à mon sens, qu’est toute la difficulté : réfléchir à la manière que l’on a d’aborder les enfants et de penser les relations avec eux nous ramène forcément à nos croyances, à ce que nous avons fait avec nos propres enfants ou vécu avec nos parents.
Pourquoi est-ce si difficile de repenser notre manière de voir les rapports avec les enfants, la pédagogie ? Pourquoi avons-nous tant de croyances qui persistent et qui nous collent à la peau ?
Tout le monde a certaines phrases toutes faites, des idées reçues, des représentations autour de l’enfance, autour des besoins des enfants. On entend encore aujourd’hui   laisse le pleurer sinon il va croire que tu es à son service, ne l’endors pas aux bras ou tu ne t’en sortiras pas, il faut qu’elle apprenne à se débrouiller seule, qu’elle comprenne que le monde est parfois dur etc. etc.

Parce que, au final, notre enfance et notre manière d’appréhender les choses sont si intimement liées qu’il est parfois difficile de changer l’une sans changer son regard sur l’autre et c’est là qu’est toute la difficulté.
Les rapports que nous avons avec les enfants en disent long sur nous et évoluer dans ses croyances demande une grande remise en question et du courage.
Personnellement  cela aura a surement été le plus difficile de toute ma carrière, plus encore qu’écrire des mémoires, passer des oraux, travailler en réanimation pédiatrique.
Apprendre la révolution cardiaque, la diversification alimentaire m’a demandé un peu de temps et d’investissement mais finalement pas tellement de ma personne.
Découvrir les besoins de l’enfant par contre, la parentalité positive, les neurosciences m’a obligée à repenser à la manière dont j‘ai grandi, aux relations que j’avais avec mes parents. Il a fallu questionner tout cela, y poser un regard plus professionnel, remettre en question mes croyances et avouer que je m’étais souvent trompée, et ça croyez moi c’est difficile !
Parce se dire que l’on s’est trompé revient à questionner son éducation mais aussi la pratique que l’on a eu, ce qui n’est pas une mince affaire. Et que dire alors de cette culpabilité parentale lorsque l’on pense avoir mal agi ?

Pour vous aider à voir les choses avec plus de sourire, dites-vous que Dolto aimait à dire : «  Quoique vous fassiez pour élever votre enfant, de toute façon, vous le ferez mal » !
Alors donnons-nous le droit de remettre en question notre éducation mais aussi dans la continuité nos pratiques professionnelles et nos idées.  


 
Article rédigé par : Amandine Micoulin
Publié le 02 février 2020
Mis à jour le 03 février 2020