Eh, c’est bien ce que tu fais ! Par Anne-cécile George

Directrice de crèche, infirmière-puéricultrice

Istock
professionnelle et enfants encrèche
Tout le monde a soif de reconnaissance au travail. C’est notre moteur pour avancer, c’est une validation pour continuer, c’est bien plus qu’une valorisation salariale, c’est le reflet de notre identité professionnelle. Notre être tout entier demande à être reconnu pour être bien dans son milieu, sa micro-société, et ses baskets, et le travail est vecteur de cette reconnaissance sociale !

En crèche, les professionnels manqueraient cruellement de reconnaissance. Sur le terrain le malaise est palpable. Car le symptôme le plus courant du manque de reconnaissance, c’est l’absentéisme. L’étude « Absences au travail pour raisons de santé dans l’économie sociale » réalisée par CHORUM1 en 2011 compte 120 arrêts maladie pour 1 000 en crèche (en 2008), contre 81/1000 pour l’ensemble du salariat de l’économie sociale ! Au secours, nos professions auraient elles le vague à l’âme ? Autre symptôme cousin de l’absentéisme qui rendrait chèvre les directeurs de structure, le désinvestissement « ah désolé, je ne pourrais pas faire la fermeture, j’ai déjà pris mon billet » ou bien « pas possible pour moi ce soir, j’ai aqua-poney ». Les stratégies de repli sont nombreuses et peuvent aussi prendre la forme de la procrastination : projets, réunions, nettoyage du matériel remis au lendemain ou à jamais, tout y passe sous prétexte du « à quoi bon » ? 

Dis comme ça, on pourrait penser que la chronique a déjà un parti pris. Alors, je t’arrête tout de suite, après avoir abordé le symptôme, on va aller chercher la cause.
Le sociologue C. Dejours évoque dans le besoin de reconnaissance, deux notions incontournables. Le jugement d’utilité « heureusement que vous êtes là ! ». Et le jugement de beauté « Wahou, t’as fait du beau boulot ! ». Pas de panique, je développe. Se sentir utile dans la société, c’est aussi se sentir reconnu. Quand les parents déposent leur enfant à la crèche et nous salue en partant avec un « amusez-vous bien… » on peut typiquement se demander si notre fonction n’est pas réduite au jeu. Au sentiment d’être perçu comme un adulte ne sachant que jouer ou changer des couches et non comme un professionnel ayant un bagage de connaissances, notamment sur le développement psychomoteur de l’enfant.  Des à priori relayés dans notre société par les politiques. Sur un site de l’éducation on scande « devenir enseignant sans master c’est possible », si vous êtes mère de trois enfants et plus. Les pères ne sont pas mentionnés (cliché plutôt rétro, je te l’accorde) et on brade un diplôme comme s’il suffisait d’avoir des enfants pour bien s’en occuper. Pas plus tard qu’hier, je prenais le métro et m’apercevais que les agences de garde d’enfant faisait leur promo avec le slogan « venez trouver votre job !». Mais nos professions sont plus qu’un « job », et plus qu’une mission domestique. Prenons l’exemple des agences pour l’emploi qui dévalorisent le secteur de la petite enfance. Une personne de sexe féminin, sans diplôme, se présentant à Pôle Emploi, se verra proposer sans réflexion « vous avez essayé les crèches ? ». A un homme, lui proposons-nous d’emblée cette option ?

Selon Sophie Odena, la femme est cantonnée à sa fonction maternante2, comme si elle n’avait besoin d’aucun savoir spécifique pour rentrer dans le milieu de la petite enfance. Les crèches ne sont pas des fourre-tout ou des tiroirs de la dernière chance. On y accueille l’avenir, le précieux, l’enfant. Reconnaissez-le. Et le manager a un rôle à jouer pour rendre visible, l’invisible. La clef de voûte d’une structure qui roule et dont la mécanique est bien huilée, c’est la logique et le bon sens des professionnels face aux situations à risque ou aux problématiques. La créativité du personnel est une pépite qu’il faut mettre dans un écrin. Les initiatives, les décorations, les projets, les petits riens qui égayent et facilitent le quotidien sont autant d’éléments qui, valorisés, redonnent une motivation et un engagement actif au sein du collectif. D’autant plus que les tâches en crèche sont répétitives. C’est très bien pour l’enfant ! Il a besoin de repères et de stabilité. Mais pour l’adulte, c’est TOUS – LES – JOURS … pareil ! C’est une routine inscrite dans un projet pédagogique. C’est aussi pourquoi j’abordais plus haut les stratégies de retrait des professionnels dans une réalité où la reconnaissance fera défaut, où le travail au quotidien sera source de tensions intérieures (réfréner ses émotions pour apaiser celles de l’enfant), et où l’on rencontrera parfois des professionnels qui s’investiront davantage dans des missions de délégués du personnel, de syndicalisme ou d’autres instances comme le CHSCT en quête de la reconnaissance perdue.

Et si aujourd’hui le site des pros de la petite enfance est autant investi par la communauté des assistantes maternelles, des auxiliaires de puériculture et des titulaires du CAP petite enfance, c’est aussi parce qu’il a une vraie fonction pour lutter contre l’isolement et le manque de reconnaissance des professionnels.
Alors, merci qui ? Non parce que la créatrice du site, Catherine Lelièvre, a aussi besoin de reconnaissance smiley

1.    Etude « Absences au travail pour raisons de santé dans l’économie sociale », CHORUM (2011).
2.    Odena Sophie. Travailler en crèche : un choix par défaut et une hétérogénéité des professions source de tensions. Politiques sociales et familiales, n°109, 2012. Métiers de la petite enfance : registres et dimensions de l’activité. P 23-33.

 
Article rédigé par : Anne-Cécile George
Publié le 01 novembre 2018
Mis à jour le 19 novembre 2018
est-ce que quelqu'un du site a la charge de répondre à nos questions? j'en ai laissé sur facebook....