La pause s'impose ! Par Anne-Cécile George

Directrice de crèche, infirmière-puéricultrice

En crèche, on ne dit pas aux parents qu’on va « en pause ». Lorsqu’un parent demande à parler à une collègue partie « en pause » on travestit la réalité comme si avouer avoir besoin d’un répit serait honteux. C’est bien connu, nous sommes des robots avant tout. Nous ne soufflons jamais, nous ne rechignons jamais à la tâche et l’idée même de fermer la crèche à 16h00 pour fatigue collective ne nous a jamais effleuré l’esprit. Alors que prendre soin de soi est aussi important que prendre soin de l’autre.

Serait-ce parce que l’exigence de notre monde moderne serait de ne pas faire de vague et d’être ultra-performant ? De la table aux cheveux, tout est lisse. On ne tolère plus le moindre frisottis d’une atmosphère humide et chargée. On stresse à l’idée de ne pas renvoyer une image polie [et toujours lisse]. Nos enfants échappent encore à la rigueur capillaire, mais pas aux autres. Bouger, sauter, oser courir d’un bout à l’autre d’une salle seraient des signes d’agitation psychomotrice ou d’hyperactivité pour certains. Pour d’autres, des enfants en pleine pulsion de vie en phase avec un processus naturel. Oui lecteur, n’as-tu pas remarqué que nous vivons dans un univers hyper-normatif au détriment de la spontanéité ? Fort heureusement nos attitudes et émotions sont contenues pour revêtir l’équanimité requise auprès des enfants accueillis.
 
Mais il a été créé un sas, un crachoir, dévolu au rôle de déminage.
Les explosions et les émotions peuvent s’y exprimer. Des toilettes au canapé, de la terrasse à la véranda, la pause est nécessaire à chaque organisation humaine et chacune a sa salle dédiée. Chocolat, thé, café, parfois même pâté du Berry, fromage de Savoie et confiture fait-maison, l’ambiance invite au relâchement et rappelle l’univers domestique. Celui où chacun nettoie ses couverts et contribue à la vie de famille.

En crèche, la salle de pause est interdite au public. Invitez un enfant dans ce lieu sacré et vous encourez une peine de lynchage pour outrage à la pause. La salle, si petite soit-elle, voit passer les humeurs des uns et des autres, il y manquerait presque un divan de psychanalyse. Mais surtout en pause, il n’y a pas de téléviseur. Jamais. Nulle part. Parce que la pause a vocation à se parler.

Quand j’ai débuté en direction de crèche, je n’avais pas saisi l’importance de ce sas. À bien des égards il m’avait paru être un frein dans la mise en place d’ateliers le matin. Quand un élément de l’équipe était absent, supprimer la pause permettait un meilleur déroulement de la journée. Car un agent absent ajouté à un agent en pause, c’était deux agents de moins sur l’effectif. Et avec une logique chiffrée, j’arrivais bien souvent à une logique de rationalisation. Nous sommes aujourd’hui dans des systèmes où chaque temps mort est réduit ou supprimé, bien entendu pour ces mêmes intentions louables voire même peu louables (la surproductivité des créations des enfants pour satisfaire des parents-employeurs), mais au détriment d’une vie d’équipe.

Car la pause vient remettre du sens au collectif. On décline des « comment faire » et des « il est impératif de » mais il est aussi urgent de ménager des temps de convivialité auprès de l’équipe (sans tomber dans l’excès inverse où le directeur d’établissement se retrouve animateur GO). Car en vrai, s’il y a bien un truc qui réunit les gens c’est les grands malheurs, les grands bonheurs, mais surtout la bouffe. L’auteur Anne Vega, ethnologue, a étudié comment la pause était nécessaire dans une équipe pour réguler les conflits patents et permettrait une meilleure communication inter équipe1. Si une auxiliaire de crèche n’a pas vidé les poubelles la veille au soir, un membre de l’équipe se chargera de lui faire remarquer en salle de pause.

Il est aussi important de laisser s’exprimer les professionnels qui ont besoin de se retrouver entre eux pour tailler un costard à leur supérieur (que celui qui n’a jamais dit du mal de son chef à la pause me jette la première couche), de tourner à la dérision certaines situations douloureuses vécues avec des parents ou des enfants pour dédramatiser et passer outre lorsqu’on revient en section.

Alors, occupée par un mémoire phagocytant et ses petits frères envahissants (les écrits, les comptes rendus, les analyses…#vismavied’étudiante), j’ai décidé de faire une pause. La pause. Celle qui recentre, régénère et fait en sorte de nous infuser son pouvoir créateur (car c’est en état de pause que la prise de hauteur fait son œuvre).

1. VEGA Anne, 2001. « Pauses et pots à l’hôpital : une nécessité vitale », Consommations et Sociétés « L’alimentation au travail », 2, pp. 137-148
 
Article rédigé par : Anne-Cécile George
Publié le 04 avril 2019
Mis à jour le 04 avril 2019