Les douces violences à l’hôpital aussi ! Par Anne-Cécile George

Directrice de crèche, infirmière-puéricultrice

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Petit enfant hospitalisé
C’est vrai que sur le site des pros de la petite enfance, on parle beaucoup de crèche et de garde à domicile, mais on peut être un professionnel de la petite enfance et travailler en milieu hospitalier. Je songe à la maternité ou à la pédiatrie. Deux milieux qui n’échappent pas au rythme cadencé et aux nouvelles consignes pour optimiser l’hospitalisation de l’enfant. Si bien que le soignant ne s’y retrouve pas toujours dans ses convictions profondes et ses motivations, et le soigné est généralement directement impacté.
A deux reprises, j’ai vécu de plein fouet les douces violences évoquées par Christine Schuhl dans ses ouvrages. J’étais en situation de faiblesse et dépendait entièrement du corps soignant. A la maternité, difficile de ne pas se sentir dépossédée de sa fonction maternelle et de trouver sa place quand on décide pour vous ce qui est bon pour votre enfant. « C’est l’heure de lui donner le bain » « D’accord, je lui donnerais quand il se réveillera » « non maintenant car le médecin va passer » « qu’il passe » « oui mais il faudrait que votre bébé soit pesé » « pas de souci quand il se réveillera j’irai le peser ». Pour les biberons, même sketch « ça fait trois heures qu’il n’a pas bu, il faudrait le réveiller ». Besoin de se rassurer dans une planification où il n’y a guère de place à l’improvisation ? Le soignant est sans doute très consciencieux, mais qu’il est agaçant de devenir « une tâche à effectuer », d’être « coché » , puis d’être « quantifié » dans chaque acte pratiqué, prouvant ainsi une activité (sans oublier la fameuse enquête de satisfaction à la fin du séjour qui quantifiera d’autres items). Le planning des soignants vient se heurter à la réalité des jeunes mamans. Et quand vous lâchez que vous n’allaiterez pas, le soulagement du soignant est presque audible car un accompagnement, ça prend du temps. Tenir compte du vécu et  de l’histoire du patient, aussi. L’écouter, également. Car il y a les autres petits patients, qui attendent, eux aussi. Alors on ferme les yeux sur ces aspects pour une mise en conformité de la personnalité. On découpe votre pensée, on lui fait la tête au carré afin de la rentrer dans la case prévue à cet effet. Les soignants obéissent-ils à une logique de rendement qui ne leur laisse plus place à la créativité, à la personnalisation des rapports humains ? Y aurait-il une crise de confiance s’installant entre les soignés et les soignants ?

L’agressivité des patients envers les soignants représente 80% des violences se jouant à l’hôpital. Les douces violences faites aux patients sont à mon sens sous-estimées. Car même si il n’y a jamais eu de gestes violents ou d’insultes, elles ont été présentes à des degrés différents à chaque fois que j’ai pu côtoyer le milieu hospitalier.

On en parle beaucoup dans les milieux gériatriques, moins dans le milieu pédiatrique. Et j’ai moi-même eu des relents d’agressivité lorsque mon fils était hospitalisé en pédiatrie cette fois pour une varicelle carabinée. L’infirmière entre dans la chambre pour vérifier sa température corporelle. Il est fiévreux. Il a froid. Il se blottit sous la couverture (enfin quand on parle de couverture à l’hôpital, moi j’appelle ça un drap). L’infirmière a bien appris sa leçon, et demande à mon fils de se découvrir. C’est-à-dire : plus de couverture, mais un drap (donc si la couverture à l’épaisseur d’un drap, le drap a l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette), plus de pyjama, mais un slip. « allez ! montre nous ton slip » (where is the pudeur ? The pudeur is in the kitchen with Brian, but not in hospital). J’interviens, en disant que ce serait bien de privilégier son confort, car visiblement il est gelé. J’avais pris connaissance des dernières recommandations de l’HAS (Haute Autorité de Santé) datant du 12 octobre 2016, qui mentionnaient (outre que la fièvre, en vrai, c’est utile !) qu’il « ne[fallait] pas trop couvrir l’enfant », mais aussi qu’« un inconfort, parfois important et toujours présent par tout ce qui tend à réduire la température […] est perçue comme désagréable » et donc que la priorité était donnée désormais à la « lutte contre l’inconfort ». En conséquence,  le principal était de préserver le confort de mon fiston. En donnant du doliprane, si il ne tolérait pas la fièvre, et en le découvrant un peu, mais pas trop si cela le gênait. Avant de se retrouver dévêtu, il y a plusieurs paliers, on peut débuter par ôter l’écharpe, la cagoule et le pull en laine de Lama. J’avais pris ma voix la plus douce pour lui transmettre ces quelques mots et la prier de lui laisser au moins son tee-shirt. Et cela dit en passant, j’accepte aisément que l’autre n’a pas les mêmes idées que moi, j’essaie même de comprendre son point de vue. C’est la base du respect.  Manifestement, l’infirmière ne connaissait guère les dernières recommandations et ne s’est pas hasardée à s’y intéresser par le biais de notre discussion, ni juste m’écouter, elle savait. Point, à la ligne. A l’hôpital, ils embauchent des militaires en civil. Quand ils sortent de la chambre, c’est « rompez ». Ça pousse au vice finalement. Car sans compromis, tu as tendance à te dire « pas vu, pas pris ». Elle sortit de la chambre et j’ai fait ce que mes convictions me dictaient. Point, saut de ligne.

Beaucoup n’oseraient pas s’opposer à l’infirmière de leur chambre. Il y a des chaines psychologiques qu’on ne brise pas facilement. Dans le livre d’Idriss Aberkane, on peut lire la façon dont les cornacs s’occupent des éléphanteaux. On les attache à une chaine très lourde, impossible à soulever.  Si bien que lorsque l’éléphant grandit, il n’essaie plus de rompre cette chaîne. Pourtant celle-ci est bien plus légère à l’âge adulte, car il est impossible de reproduire une chaine aussi lourde pour un éléphant d’un si gros gabarit. Mais mentalement, l’éléphant a intégré qu’il ne pourrait pas briser cette chaine, alors il n’essaie plus. Ne baissons pas les bras et affirmons nos convictions avec force et persévérance.

Car dans les deux cas (maternité et pédiatrie), il n’est plus question de temps ou de moyens, mais de confiance. Il est vrai qu’en tant que professionnel, nous ne connaissons que très peu les familles, et il est plus simple de mettre en doute leur parole ou leur capacité que de remettre en question ses propres principes ou un fonctionnement, une institution, la hiérarchie,…. Et puis cette confiance, elle est parfois difficile à donner. Pour certains, elle se fera au feeling, pour d’autres ce sera une question de temps pour tester la fiabilité, ou alors la confiance se donnera sous conditions (d’une preuve, d’un acte de légitimité,…). Voilà un point très subjectif et propre à chacun, si bien que les rapports famille/soignant ne sont pas toujours lisses et égaux.

Ces expériences m’ont à chaque fois confortée dans l’idée qu’il fallait laisser le champ aux familles pour exprimer leur opinion (en crèche, à domicile, à l’hôpital, c’est kif-kif !). Savoir écouter et reformuler si nécessaire pour s’assurer de la bonne compréhension du message sont des qualités incontournables pour que les familles accueillies se sentent entendues, et non plus dans une relation dominant-dominé. Les rapports humains qui en découlent s’avèrent plus fluides et équilibrés.

 
Article rédigé par : Anne-Cécile George
Publié le 13 février 2018
Mis à jour le 13 février 2018