Planète Marseille. Par Anne-Cécile George

Directrice de crèche, infirmière-puéricultrice

Marseille
Cher lecteur, j’ai testé pour toi, l’immersion sur la planète Mars ! Marseille pour les intimes. On pourrait s’imaginer que la petite enfance diffère d’une région à une autre, mais du nord au sud et de l’est à l’ouest (même à Vesoul ? #foustacagoule), je dois dire qu’on a beaucoup de choses en commun !
A commencer par les projets et une réelle passion pour notre domaine. Motricité libre, communication non violente, pédagogie Montessori, … Y’a tarpin* de projets. (cf le lexique des mots marseillais). Quand j’ai postulé, j’avais demandé une crèche des quartiers sud. Quand t’es immatriculé 75, la raison l’emporte sur le goût du risque. C’est plus safe. Donc quand on m’a dit que j’étais affectée dans les quartiers Nord de Marseille, j’ai pensé que c’était une blague, ou plutôt un bizutage. Mais la parisienne, elle craint dégun*. J’ai pris mon sac à dos de Dora l’exploratrice, et je suis partie à l’aventure. « Sac à dos, sac à dos ».
Premier jour, j’abîme mon rétro. Le stress. (Mon mari vous dira que j’ai passé trois fois le code et trois fois permis et qu’il n’y a rien à ajouter). Deuxième jour, on m’abime la carrosserie. Troisième jour, moi qui étais au tiers vol incendie, je prends une assurance tout risque. A part ça, le quartier était très calme, y avait même des lapins (des vrais) qui zonaient dans la rue. Parait que c’était normal, alors à défaut d’avoir une rubrique chiens écrasés, y avait la rubrique des lapins (et des mouettes). Confidence pour confidence, de la section des moyens, on voyait la mer et les bateaux de croisière.  C’est pas trop dégaine* ça ?

Accueil chaleureux, on vous fait des gâtés* le matin, le midi, le soir… c’est très convivial ! Dans le sud, on aime le contact (mais pas le full contact). Bon moi j’arrivais du Nord (si, pour les gens du sud, passé Lyon, t’es du Nord), et il est vrai qu’on ne se fait pas tellement la bise. Bref, dans la crèche du Bonheur, on se fait des gâtés et puis c’est tout (et tu te dis : « qu’est-ce qu’un gâté ? »…. Au début j’ai pensé « ils taxent tous les minots* d’enfants gâtés, c’est pas chouette », et après j’ai compris (c’est un câlin), enfin il m’a fallu du temps parce que je comprends vite mais faut m’expliquer longtemps et puis voyant mon désarroi on m’a acheté un petit dico sur les expressions marseillaises. Ça a été mon salut. Quand un minot tombe, on lui dit : « peuchere*, il s’est pas loupé » (au début, tu crois qu’ils disent « il a pris cher », mais non « peuchere » c’est « oh, le pauvre »… et quand le minot a vraiment pris cher, là on dit « oh la la, peucheret » (au féminin ça donne « peucherette »). Faut savoir que c’est très dur à porter peucherette, c’est vraiment quand t’es au bout du rouleau, et qu’un désenvoutement s’impose.

Outre les expressions, j’ai apprécié l’humour des parents qui se sont révélés très blagueurs. Une professionnelle rappelait à une maman qu’il fallait qu’elle écrive le nom et le prénom de son enfant sur son manteau (histoire de ne pas mélanger les vestes), la maman a répondu tout naturellement « Je vois pas pourquoi, de toute façon, il ne sait pas encore lire le minot ».  Allez trêve de blagounette, tout ça ne nous dit pas comment on travaille à Marseille ! Déjà, il fait beau et bon une majeure partie de l’année, mais MALGRE TOUT, dès que tu passes sous la barre des 20°, TOUS LES MINOTS ont bonnet/écharpe/cagoule/gants,  comme on dit dans le Nord « ceinture et bretelle ! ». On ne sait jamais ! (Si à 20° les parents mettent le paquet sur la panoplie anti froid, à -2° on est plus sur une momification de l’enfant, les déplacements deviennent compliqués, on les roule pour aller d’une pièce à l’autre, voilà tu sauras tout).

Et une chose qui m’a interpellé et qui parait-il est typiquement sudiste (c’est la seule chose d’ailleurs car du reste, je suis tombée sur un équipe canon, avec de beaux projets, une réflexion perpétuelle et du dynamisme), donc une chose (bon allez deux), c’est que les enfants restent  en chaussures dans les sections. J’avais connu jusqu’ici le nu pied commun pour ses nombreux bénéfices sur l’acquisition de la marche, et les stimuli sensoriels qu’il offre… mais dans le sud, on a peur d’attraper froid par les pieds (toujours ce froid, si typique du sud…). Eh oui. Je ne connaissais pas cette forme de refroidissement pouvant être à l’origine de nombreux maux. J’avais connaissance de la pneumonie si on tentait le tee-shirt dehors par moins 15. Et je me pose depuis une question existentielle, source de nuits blanches et d’une tacite réflexion, si l’on peut prendre froid par les pieds, peut-on prendre froid par les mains ? (et par le nez, on en parle ?)
Si c’est le cas, va falloir songer à faire porter des moufles aux minots, car il est hors de question de risquer le rhume en plein mois de décembre, à l’intérieur de la crèche ! Ce serait le pompon !

La deuxième (si tu insistes), c’est qu’on mange beaucoup. Alors en crèche, de manière générale, il y a souvent des gourmandises en salle de pause. Un petit gâteau fait par l’un, des petits biscuits apportés par un autre. Et si on fait le calcul, en tant que professionnel de la petite enfance, tu prends environ un kilo par année travaillée. A Marseille, tu multiplies ce chiffre par douze. En fait, c’est à peu près un kilo par mois (d’où mon départ précipité, ce fut le déclic). L’avantage, c’est qu’il peut y avoir un confinement de 45 jours, on tient. A l’aise. Il y a une réserve digne d’une épicerie  où chacun amène régulièrement des choses à manger, des boites de conserve, des pâtes, tout. TOUT. Quand tu oublies ta gamelle le midi, tu as l’impression d’être au self avec 4 menus au choix, tout le monde te propose son assiette. A Marseille, on ne tombe pas la chemise, on la donne.

Alors si tu as bien suivi, je suis encore sur les routes et je ne suis plus sous la protection de la Bonne Mère, mais sous celle de Jeanne D’arc ! Si tu connais bien l’histoire, tu devrais connaître la destination. Cette année, c’est décidé, je vous fais un petit tour de France des crèches.

*Tarpin : beaucoup
*Dégun : personne
*Dégaine : génial
*Gâté : câlin/bisou
*Minot : enfant



 
Article rédigé par : Anne-Cécile George
Publié le 21 janvier 2018
Mis à jour le 22 janvier 2018