Retrouvailles. Par Anne-Cécile George

Directrice de crèche, infirmière-puéricultrice

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bébé à la créche
Je reprends ma plume pour traiter d’un sujet banal, d’une scène de la vie courante, d’un « classique » en crèche mais qui m’interroge fréquemment : la posture du pro de la petite enfance lorsqu’il voit un enfant en proie à une tempête émotionnelle en retrouvant son parent. Vous voyez de quoi je veux parler, il se joue un remake de l’intitulé à peu près dans chaque crèche, chaque soir.
Tout d’abord que se passe-t-il ? Maman arrive dans la section après une séparation de dix heures (ce qui équivaut à une éternité pour son enfant). Un flot d’émotions s’abat sur le petit d’homme qui est partagé entre la joie de retrouver son parent et l’envie de lui montrer ce qu’il a réalisé à la crèche. Il monte sur le toboggan à l’envers, court se cacher sous la table, jette les balles de la piscine à balle HORS de la piscine à balles devant le regard médusé de la professionnelle qui jure sur la tête de son chien que « je vous assure madame, juste avant votre arrivée il était très calme ». La maman n’est pas loin de mettre en doute la véracité de ces propos tant l’excitation est à son comble. Maman-rabat-joie intime à son enfant d’arrêter car elle aimerait savourer ses retrouvailles dans le calme et la sérénité (c’est-à-dire ?), mais surtout elle aimerait rentrer. Elle a en tête le bain de ce soir, le repas, le coucher et enfin le repassage du dimanche soir qu’elle a reporté au mardi soir (vie de dingue quand tu nous tiens !). La situation dégénère : son petit d’homme traine des pieds, il hurle pour rester à la crèche. Elle se dit qu’il exagère, après une aussi longue journée de ne pas vouloir rentrer. Il se dit qu’elle exagère. Elle ne regarde pas ce qu’il est capable de faire, elle veut déjà rentrer ! Elle s’énerve. Il s’énerve. Le ton monte.
Objectivement, la professionnelle est très mal à l’aise. Elle ne sait quel comportement adopter face à cette réaction en chaine. Plusieurs choix s’offrent à elle :
1. Adopter la posture du caméléon (se fondre dans le décor ou si vous préférez faire mine de ne pas voir ce qu’il se joue devant soi).  La peur de créer une gêne chez le parent est prépondérante. Il pourrait se sentir observé voire jugé ! Donc continuer d’encadrer le groupe d’enfants et monter dans les aigus sur un air de « Un éléphant qui se balançait sur une toile d’araignée ».
2. Trouver une petite phrase d’accroche pour s’adresser au parent « oh ! je ne vous ai pas dit ! il a fait du dessin aujourd’hui… ! ». Si vous n’êtes pas interrompue par un « super… Bon, allez… on y va maintenant ! tu te dépêches ». Ne jetons pas la pierre aux parents. La société occidentale ne nous aide pas à avoir un rythme de vie où nous prenons le temps excepté lorsque c’est une philosophie pour la famille. Soyons indulgents. Nous même avant cette prise de conscience avons vécu dans le désir de tout faire en un temps record, au dépend des sentiments d’autrui. Cette citation d’Isabelle Fillozat nous donne à réfléchir « très certainement, à la fin de sa vie elle ne se demanderait pas si sa maison était impeccable, si son lit avait été fait, si la vaisselle était toujours propre, mais plutôt si « elle avait assez aimé », si elle avait assez partagé de bons moments avec ses proches. ».  Peut-être expliquer au parent que l’enfant était tout occupé à une activité avant son arrivée, qu’il a besoin d’un temps de transition, d’être prévenu avant de quitter la crèche. La séparation se fait dans l’autre sens et un temps est parfois nécessaire à chacun pour se dire au revoir.
3.S’adresser directement à l’enfant afin de ne pas nier ses sentiments. Qu’il se sente entendu et reconnu. « Tu aimerais que maman regarde ce que tu as fait à la crèche aujourd’hui ? ».
4. Il peut arriver qu’avec toute la bonne volonté du monde, la relation soit tendue et le parent  perçoive notre intervention comme un affront. Moi-même l’ayant déjà vécu entre le rayon des légumes et des fruits au supermarché car mon fils déplorait de façon très virulente le manque d’artichauts au mois de décembre. Une sénior s’arrête avec son caddie, nous scrute de manière insistante et nous lance «eh beh !  c’est pas joli à voir un petit garçon dans cet état ».  Outre le fait que se retrouver au centre de l’attention mette mal à l’aise,  si l’intervention de l’adulte n’apporte rien de plus à la situation, cela génère une once d’irritabilité. Mais lorsque l’intervention est dénuée de tout jugement, qu’on y ajoute  la bienveillance et l’accompagnement à la parentalité, elle a toute sa place.


 
Article rédigé par : Anne-Cécile George
Publié le 16 mars 2017
Mis à jour le 16 mars 2017