Télé = tranquillité ? Par Anne-Cécile George

Directrice de crèche, infirmière-puéricultrice

Istock
enfant devant télé

Il est loin le temps où l’homo sapiens se contentait de la chasse et de la cueillette pour occuper ses journées. Tout le monde avait un œil sur les enfants des autres qui jouaient librement dehors. Pas de voitures gênant les jeux des enfants, juste quelques lions affamés attendant le moment propice pour attaquer.  Aujourd’hui, il n’y a plus le stress de se faire dévorer par un animal sauvage nous scrutant avec avidité, juste des adultes trimant dix heures par jour, esclaves du monde moderne,  chérissant l’espoir de trouver leurs enfants doux et calmes à la sortie de la crèche ou de l’école pour profiter pleinement de leur repos. Si les enfants ne seront ni doux ni calmes mais simplement excités par le fait de retrouver leurs parents, on sacrifiera sur l’autel le principe du tout sans écran ! Télévision/tablette, pour nombre de familles, signifient la garantie d’une demi-heure de quiétude. 

Et voilà comment, moi aussi, en tant que professionnelle avertie, j’ai cédé aux sirènes de la tranquillité facile ! Nous avons beau être des pros de la petite enfance, avoir mille données sur le développement de l’enfant, sur ce qu’il faut faire, ne pas faire, on ne reste pas moins des parents en proie à ses faiblesses. En proie à une routine qui nous aveugle. Tous les matins on s’enferme dans un « deux tours dans la serrure, bip voiture, sac côté passager », alors qu’on pourrait varier et faire « un tour serrure, cloche pied jusqu’à la voiture, et sac sur la banquette arrière ! », (Tu m’as suivie (ou pas), bref j’ai eu besoin de casser ma routine et pas seulement en faisant du cloche pied ! Je me suis rendue à l’évidence que ces trente minutes de télévision quotidienne (qui virait parfois aux trois quart d’heure- une heure selon le degré de fatigue) cassait l’envie d’aller jouer dehors, de faire un jeu en famille ou de se parler tout simplement. Arrêter la télévision virait parfois à la déclaration de guerre avec mouvements extrêmes de contestation, des manif anti-devoirs/anti-jeux/anti-bain. Ils étaient accrocs sans aucun doute. Accrocs à leurs habitudes, mais aussi aux images qui défilent  et comme toute addiction, la sensation de manque se caractérisait par une nette agressivité.Pour ne pas me retrouver emprisonnée pour possession illicite d’images télévisuelles abrutissantes, j’ai arrêté de dealer pour mes enfants. Les énervements et crêpages de chignon consécutifs à l’arrêt de la télévision s’estompèrent dans la fratrie. Avait-on mis le doigt sur une découverte ?


Non ! Beaucoup d’auteurs l’ont mis en exergue dans leurs ouvrages (comme Serge Tisseron pour ne citer que lui). Les écrans sont néfastes aussi bien dans leur manière d’entraver la relation que de contribuer à tout un panel de troubles comportementaux comme l’agressivité citée plus haut, l’hyperactivité, le retard de langage, les troubles de l’attention ou encore des symptômes similaires aux troubles envahissant du développement. Où sont passés les enfants qui jouaient avec la terre, les bâtons et les cailloux ? Apprendre en deux dimensions n’a jamais égalé la 3D avec ses manipulations si riches d’enseignements sur le monde qui nous entoure et ses stimulations sensorielles. Voir un seau et une pelle à la télé n’aura pas la même saveur que de sentir la pelle dans ses mains, l’utiliser pour creuser, remplir le seau et deviner des notions de contenants/contenus.  Etre passif devant un écran n’a jamais aidé non plus à développer son langage quand une discussion avec le parent incite à poser des questions sur le sens des mots.
Je passais un entretien avec une famille dont la petite fille présentait une grande agitation motrice et une agressivité envers les enfants de la crèche, et je leur posais candidement la question « avez-vous des moments calmes que vous partagez avec votre enfant ? », « oui le soir quand elle regarde la télévision, elle est très calme ».

C’est un des effets pervers de la télévision, le cercle vicieux par excellence. Ils sont énervés, on leur propose innocemment un dessin animé pour se calmer. Devant la télé, l’enfant se retrouve dans un état catatonique où il emmagasine une énergie considérable qu’il pourrait dépenser en shootant dans un ballon ou en courant après les bulles de savon. Le cerveau est submergé par toutes les informations transmises par les écrans tant les stimulis sont denses, il disjoncte et on se retrouve avec un jeune enfant au bord de l’explosion dès qu’on appuie sur le bouton OFF de la télécommande (alias le doudou 2.0 des enfants).

D’où vient cet engouement pour les écrans ? Pourquoi plongeons-nous aveuglément dans ce travers, alors que le monde nous attend ? Je la vois toujours cette lueur d’espoir chez ma fille, le matin, pour regarder un dessin animé et tenir son blog à jour sur les nouveautés qui sont sorties (je blague, on en n’est pas encore là). Mais pourquoi cet attrait, délaissant coloriages et découpages ? Il semblerait selon Pavlov que cette propension aux images affluant avec rapidité active notre « réponse d’orientation », réponse biologique qui nous viendrait de nos ancêtres (tu sais l’homo sapiens, celui qui chassait et cueillait, prêt à déguerpir au moindre frétillement de feuilles annonciateurs d’un prédateur). Notre cerveau cherche à en savoir davantage pour déterminer l’action future, tandis que le corps patiente. Excepté qu’aujourd’hui la réponse d’orientation est activée de manière continue avec les écrans et qu’il est difficile de s’en détacher. Aussi, il est prouvé qu’une surexposition aux écrans augmenterait le risque de myopie. En cause : la fatigue engendrée par le fait de devoir accommoder sa vue de près devant l’écran  et le manque de lumière du jour (oui, le temps que l’enfant passe devant un écran, est du temps en moins à jouer dehors). Le marché de la lunette n’est pas prêt de s’éteindre.
 

Donc règle numéro 1 : les écrans, ce n’est pas avant trois ans.
Règle numéro 2 : si le parent a enfreint la première règle (n’allons pas nous bercer d’illusions…) l’utilisation se doit d’être homéopathique, et en interrompant régulièrement le contact visuel établi par l’enfant avec la télé, en étant à ses côtés (la télévision n’est pas une baby sitter à bas prix), et en échangeant aussi sur ce que l’enfant regarde (on crée une interaction ! et ainsi on fait de l’ombre à Dora).
Règle numéro 3 : pas de télé avant de s’endormir… ou à minuit vous êtes encore sur le pont !
Règle numéro 4 : donner l’intérêt de la démarche, pas d’interdiction sans explications

Article rédigé par : Anne-Cécile George
Publié le 27 avril 2018
Mis à jour le 28 juin 2018