De l’animation à la création. Par Bernadette Moussy

EJE, formatrice (enseignement des courants pédagogiques)

petit garçon qui peint
Je profite de la sortie du programme du nouveau CAP petite enfance qui s’achemine vers un accompagnement éducatif plus élaboré, pour faire quelques réflexions pédagogiques. Ma critique risque de mettre certaines représentations en cause.
Il s’agit dans ce programme, de savoir mettre en place des « techniques d’animation en collectivité ». L’expression : « animation », me laisse songeuse. D’eux-mêmes les enfants ne sont-ils pas animés ? Faut-il les réveiller alors qu’ils le sont déjà ? Le terme « animation » est ancien, il a même donné naissance à une profession : les animateurs.

J’écoute une animatrice qui présente son métier. C’est une interview où l’on voit de temps en temps des petits enfants en pleine activité. « Lorsqu’on est animateur, nous dit-elle, il faut d’avoir de la patience, de la gentillesse et de la compréhension ». Elle parle de la bonne entente que les enfants doivent avoir entre eux et de l’importance de savoir respecter les règles. Durant son interview on voit des petits qui font des exercices sur un itinéraire de gymnastique tout préparé, ils ont l’air heureux. Ils suivent bien ce qu’on leur demande. L’animatrice rajoute qu’il lui faut savoir se donner en spectacle pour montrer aux enfants comment faire et ne pas « avoir peur du ridicule ». Elle dit que l’on doit apprendre à anticiper car « ça va très vite à cet âge » ; un groupe de petits toute une journée de huit heures, c’est beaucoup.
Et je me souviens de mes petits neveux très fiers de me montrer la production qu’ils avaient faite en centre aéré : une boite en carton qui représente un aquarium plein de poissons sur un fond bleu. Ils le gardaient précautionneusement.

Alors tout va bien ! L’enfant obéit, soutenu par l’enthousiasme de l’adulte à qui il veut faire plaisir. Il est content d’agir, de découvrir au fur et à mesure sa production. Il va montrer son œuvre à ses parents en rentrant et tout le monde est content.

Comment s’est passé vraiment cet atelier ? Les enfants l’ont-ils choisi ? Qui a décidé qu’ils allaient faire un aquarium ? Par exemple si un enfant, surtout un petit, ne veut pas représenter un poisson, qu’il veut « gribouiller » et faire une autre forme ? Et si un enfant veut faire l’eau rouge ou verte ? L’adulte va lui dire « ah non l’eau n’est pas verte ». Veut-il vraiment donner à l’enfant la possibilité de créer, c’est-à-dire imaginer, inventer et trouver ? En quoi un aquarium intéresse les enfants ? Et même n’y a-t-il que cette possibilité là pour l’enfant de réaliser quelque chose ? S’il résiste ou qu’il ne veut rien faire, il se peut que l’adulte cherche à le séduire aen étant gentil et convainquant…
Alors il obéit, mais ne reste-t-il pas au fond du cœur de l’enfant comme une frustration et quelque chose qui lui échappe ? Il apprend à se plier à la proposition de l’adulte pour ne pas dire son l’injonction. Il met de côté sa créativité et la possibilité d’inventer ce qui correspond à ce qu’il lui convient de faire en fonction de ses besoins.

Alors qu’être créateur lui donne la possibilité de se connaitre, de construire sa confiance en lui, de découvrir ses possibilités. La création libre sans intervention de l’extérieur lui permet d’exprimer sa vie intime et de la construire en la découvrant. Il se développe harmonieusement et s’épanouit. Le geste où il laisse sa trace est important pour lui. Même si le dessin ne représente pas quelque chose pour l’adulte, cela a une signification pour lui.
Nous ne sommes plus alors dans la production mais dans la création.

Alors plutôt qu’organiser ce que l’enfant va faire, il s’agit de préparer un environnement où il pourra choisir telle ou telle activité. Cela évitera à l’animatrice citée ci-dessus d’avoir l’impression de « se donner en spectacle » pour montrer ce qu’il faut faire. Imaginons : l’enfant sait où se trouve le matériel qui sera le support de sa création. Il le choisit. Ce peut être des cartons, mais aussi du matériel de récupération, des éléments cherchés dans la nature ou de la terre… L’adulte a organisé l’environnement de façon à ce que ce soit à la disposition des enfants, qu’ils ne soient pas trop nombreux sur le lieu et que chacun ait une place. Ce peut être dans différents lieux de la crèche.
Alors il n’y a pas besoin d’animer l’enfant car il a en lui « un élan de vie », pour reprendre une expression de Célestin Freinet. Il suffit de lui signifier en lui proposant des matériaux, que c’est son résultat à lui qui compte ainsi que le chemin qu’il va prendre pour l’atteindre. Lui signifier que pour nous ce qu’il aura vécu durant sa propre création a de la valeur. Mais je crois que l’enfant le sait. C’est plutôt nous qu’il faut convaincre.

Un problème se pose : mais alors quel serait le résultat ? Qu’est-ce que l’on pourrait montrer aux parents et aux collègues ? Une boite peinte en rouge avec des gribouillis ? Jean Jacques Rousseau dans son paragraphe où il explique que l’on ne doit pas se servir de son élève pour se valoriser, nous déclare : « Maitres soyez simples, modestes et retenus ». Ceci est donc une histoire ancienne que le maitre, l’éducateur, l’animateur doit « montrer » ce qu’il a fait faire aux enfants. Il se valorise, alors que c’est l’enfant qu’il faut valoriser, ou plutôt le laisser se valoriser lui-même sous notre regard émerveillé.

Et que l’adulte n’ait pas peur, « on ne lui prend pas son travail » car il a toute une préparation à penser et à réaliser pour laisser l’espace à l’enfant ainsi que des moyens de création. Durant la création des enfants, il est là, observe avec intérêt, éventuellement partage. Il réajuste son organisation au fur et à mesure de ses observations. Son repère est que l’enfant « ait la main ». Il partage ses réflexions avec les autres, les parents et l’équipe. Ils s’écoutent et un travail en commun se fait pour laisser la libre créativité à l’enfant sans se dire : à quoi je sers ? Car l’adulte se réalise en donnant la place à l’enfant.
Article rédigé par : Bernadette Moussy
Publié le 12 février 2019
Mis à jour le 05 août 2019
La méthode traditionnel autour de la demande de production enferme l'educateur contraint a faire respecter, faire faire...Que se cache t il derrière ces règles ces consignes ? la peur de lâcher prise et de ne plus contrôler la situation...Ou est alors la liberte, le partage, la relation, l'expérimentation ???L'enfant obéit, sous la contrainte il perd son imaginaire, sa créativité, sa confiance en lui sous les yeux de l'adulte qui attend l'exécution d'une demande rigide enfermant frustrante… Laissons ouvert le champ des possibles, laissons les enfants s'approprier la matière, le temps, l'espace pour entrer véritablement dans l'expérience artistique et la liberte créatrice...Laissons l'enfant en connexion avec ses énergies profondes et sa capacité a se révéler a travers ce qu'est véritablement l'art avec un grand A!!!!La possibilité d'exprimer aux travers d'une activité ses émotions, ses frustrations internes, son énergie…Merci Bernadette!!!!