« Jeu libre », un pléonasme ! Par Bernadette Moussy

EJE, formatrice (enseignement des courants pédagogiques)

Petit garçon joue aux duplo
Dialogue.    

-Je ne sais si c’est circonstanciel, mais j’ai l’impression que l’expression « jeu-libre » est devenue de plus en plus courante. 

-Et pourquoi pas ? N’y a-t-il pas une notion de liberté dans le jeu ? Ce qui serait juste pour la rappeler.

-Alors pourquoi ne pas dire « LE JEU » tout simplement ? 

-Et si c’était parce qu’il y a des jeux qui ne sont pas libres ? 

-Ce n’est pas possible puisqu’une des nombreuses qualités du jeu c’est d’être LIBRE

-Alors que faire pour apprendre aux enfants à jouer ?

-Rien du tout, les enfants jouent et c’est tout.

- Et un enfant qui ne joue pas ?

-En est-on sûre ? Avons-nous attendu assez longtemps pour observer avant d’intervenir ?  

- Mais, regarde cet enfant-là : il éteint et allume la lumière sans arrêt, ce n’est pas un jeu ! 

- Je ne sais pas ce qu’il a en tête en vérité, mais je crois qu’il veut voir si… Alors il recommence. Il a un enjeu, ce qui est une caractéristique du jeu.

- Ce n’est pas « éducatif » ! 

- Pourquoi ? Dans la vie n’y a t-il pas des moments lumineux et des moments sombres ? L’enfant et… les hommes ont depuis longtemps joué des moments de la vie.¹ Disons que son enjeu est peut-être de constater les effets de son pouvoir et d’en… jouer ! Alors il recommence pour en jouir. 

-Mais il faut qu’il apprenne quelque chose en jouant.

- Ca c’est une conséquence éventuelle du jeu, mais ce n’en n’est pas le but premier, c’est plutôt le nôtre, adultes. Tu constates qu’un enfant peut apprendre à compter en jouant aux cartes et tu vas le faire jouer aux cartes pour qu’il apprenne à compter et là ce n’est plus du jeu… puisque tu lui as imposé ton but à toi. Tu es entrée dans l’intimité qu’il y a entre l’enfant et son jeu avec ton objectif. C’est aussi parce qu’il est GRATUIT et qu’il « ne rapporte rien » qu’il reste du jeu.  

La place du jeu est dans la main et tout le corps du petit enfant. Et aussi dans son intention. Quand il le veut, le sent, quand il est en heureuse liberté de choix, de manipulation, de sortie du trait ou de la boîte, et ose poser son cube à un endroit qui n’a pas été prévu. Et quand sa main pose l’objet là où on pense que ce n’est pas sa place, alors on attend avec une belle curiosité ce qu’il va faire. Il crée, il se crée et notre regard émerveillé assiste à cet acte unique.

"Celui qui entreprend de parler du jeu en général est comparable à quelqu'un qui voudrait parler des étoiles et traiterait non seulement des astres lointains en même temps que les étoiles filantes, mais aussi des étoiles de mer, de certaines décorations, de la place de l'étoile et des vedettes de la scène ou de l'écran" ("les jeux de l'esprit" de J.O. Granjouan, ed. Le scarabée 1963)

¹Voir Huizinga J. Homo ludens, chapitre : le jeu créateur de culture, 1936
Article rédigé par : Bernadette Moussy
Publié le 22 mars 2021
Mis à jour le 25 mars 2021
En tant qu’adulte on a parfois du mal à se convaincre de ne pas intervenir ou d’accepter de ne pas comprendre tout ce qui se passe dans la tête de l’enfant. Ne serait-ce qu’une demi-heure... Et pourtant ce sont ces moments où on reste passif mais attentif, patient et confiant qui nous démontrent que les enfants savent aussi se développer sans notre intervention constante. Et quel plaisir qu’elle fierté et quel soulagement je ressens à chaque fois que mes enfants me le démontrent!