“La sympathie a-t-elle une place dans l’éducation” ? Par Bernadette Moussy

EJE, formatrice (enseignement des courants pédagogiques)

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professionnelle et enfant
Il arrive quelquefois à la lecture d’un texte de pédagogie que l’on soit surpris par une expression. Comenius, pédagogue tchèque du seizième siècle nous dit : « La puissance de savoir et la puissance de comprendre sont de tout temps en l’Homme, il suffit de les cultiver en prenant avantage de la sympathie essentielle» Je me suis demandé ce que signifiait cette expression. N’ayant pas trouvé de suite pouvant l’expliciter, je vais dire ce qu’elle m’évoque en m’attachant à définir cette « sympathie ». Il est rare d’employer ce terme en pédagogie. Serait-ce une autre façon de parler de la bienveillance ou du care ? Il me parait y avoir des différences.

Dans la définition du dictionnaire Larousse, sympathie vient du terme grec sumpateia : « compassion » et se définit comme un penchant naturel spontané et chaleureux. Cela suppose une attirance vers une autre personne. Dans son important ouvrage, Nature et forme de la sympathie Max Scheller nous dit qu’elle est innée. C’est donc un élan spontané intrinsèque à notre nature. Toujours pour Max Scheller, cette attitude a conscience de la distance qui sépare les personnes et la conscience des différences entre elles-mêmes. Ce n’est ni fusion ni contagion et elle nous donne l’impression d’être l’autre malgré tout. C’est un rapport harmonieux qui reconnait à chacun la valeur qui lui revient.

Qu’en serait-il de la sympathie envers l’enfant ? A-t-elle une place dans l’éducation ?
La spontanéité est à la base. Ce n’est pas comme si elle naissait à partir d’un raisonnement, un argument ou d’une théorie qui donneraient un élan vers l’enfant.
La distance en est une composante, c’est l‘espace propre à la relation éducative qui est le garant que l’enfant se construit et prend son autonomie. La sympathie se manifeste alors par le respect que nous avons dans notre façon de le toucher, de le regarder et de l’écouter dans les différents moments de sa vie. Il s’y sent ainsi reconnu et l’enfant il s’approprie son chemin pour développer son originalité.

S’il s’agit de reconnaitre la valeur de l’autre, cela souligne une fois de plus l’importance de la connaissance de l’enfance et surtout de l’enfant que l’on a en face de soi. La connaissance va avec la reconnaissance. Mais ce n’est pas suffisant. Que veut dire « connaissance » dans la mesure où il n’est pas évident de connaitre vraiment quelqu’un ? Il y a la rencontre en plus. Dans un groupe d’enfants on discerne différents traits de caractère et l’approche de chaque enfant nous touche différemment. On observe son visage, son attitude corporelle, ce qui transparaitrait de sa personnalité. Ce qui frappe de suite lorsqu’on le voit pour la première fois va rester en nous plus ou moins consciemment, nous renvoyant personnellement et spécifiquement à lui. C’est le petit déclenchement en soi-même que l’on ressent lorsqu’on croise un enfant dans la rue, lors de son arrivée à la crèche, ou lorsqu’on le regarde vivre, juste quand un regard fait rencontre
Que voudrait dire « l’impression d’être l’autre » si ce n’est que l’on rencontre un peu de soi-même dans l’autre, tout en reconnaissant ses caractéristiques à lui. D’où l’importance de se connaitre. Surtout, on accepte ces caractéristiques sans vouloir les modifier.  Car il n’y a pas de rapport de force dans la sympathie. C’est un sentiment gratuit, sans arrière-pensée. Alors que souvent avec un enfant, nous avons des objectifs d’influence, d’évaluation ou de rentabilité.

Est-ce à cela que pensait Comenius lorsqu’il parlait de sympathie ? Je ne sais pas mais j’appellerais cela le plaisir du respect de l’enfant.

 
Article rédigé par : Bernadette Moussy
Publié le 05 février 2018
Mis à jour le 05 février 2018