Petit chinois et l'immensité . Par Bernadette Moussy

EJE, formatrice (enseignement des courants pédagogiques)

esrampe -chinoise
 Il y a quelques années une exposition sur la Chine eut lieu au Grand Palais à Paris. D’immenses estampes étaient présentées dans des vitrines. Dessinée à  l’encre LE, l’une d’elles représentait un paysage très fouillé. Le contraste entre la multiplicité des détails et l’immensité de la surface était frappant. Les montagnes, les nuages, les arbres, la brume, les rivières, une cabane à moitié cachée derrière des branchages, un ruisseau traversé par un petit pont. Tout était d’une grande précision.
Cette nature foisonnante à la fois ordonnée et mystérieuse cachait dans un coin en bas à droite un petit bonhomme en train de pêcher. Qui l’a vu ? qui ne l’a pas vu ? on pouvait passer sans le remarquer, ecrasé qu’il était par cette immensité de la nature. Avec son petit chapeau, on ne voyait que sa silhouette. Etait-il conscient de cette étendue derrière lui ? Certainement ! Mais il lui tournait le dos. On le devinait concentré, attendant le poisson…Je me suis demandé alors la signification de ce contraste : la petitesse de l’homme devant l’immensité de la nature ? Peut-être, mais il n’était pas insignifiant. A l’échelle de l’estampe, oui, mais il avait une telle présence, une telle force…tout à son affaire, en attente d’une prise. Sa concentration lui donnait de la densité.
  Alors je me suis dit que la situation de ce pêcheur était comparable à celle des mamans, des tatas, nounous, éducatrices, qui dans l’immensité de toutes les données qui sont en jeu dans une situation sociale et éducative, essaient d’être là, au mieux pour le petit. Elles attendent que l’enfant soit prêt à s’asseoir tout seul alors qu’il « devrait le faire et ne le fait pas ». Qu’il accepte cette frustration dont il est en train de découvrir le sens et s’arrête de pleurer. Elles ont de la patience avec le petit qui découvre peu à peu l’intérêt de manger et pendant ce temps là le laissent jouer avec sa cuillière. Elles attendent que l’enfant soit prêt à l’entendre, à accepter ce qui se passe pour lui et qu’il ne comprend pas. Enfin, toute cette palette de projets offerts à celui et celle qui veut éduquer l’autre et qui demandent du temps.
Concentré sur son action, le petit chinois-éducateur sait – ou ne sait pas - qu’il y a autour de lui des composantes qui interfèrent au second degré ou même au troisième, dans sa façon de faire et dans les réactions de l’enfant. Elles sont variées, d’origine diverses : c’est l’immense paysage qu’il a derrière lui. Car la situation éducative dans sa réalité est beaucoup plus complexe, subtile, interactive, que nous ne pourrons jamais la présenter. Elle a été décrite théoriquement par les psychologues, les sociologues, les ethnologues et pourquoi pas des géographes et historiens. Des interactions entre les différents acteurs sont souhaitables. Mais les données qui y entrent en jeu dans chaque évènement éducatif si fugitif ou même banal soit-il, sont uniques. Composées de mille détails, la connaissance dont l’éducateur en a est parcellaire.
Est-ce gênant ? Apparemment pas, le chinois ne parait pas s’en préoccuper. Entre humilité et pugnacité il est là, il attend que les énergies qui circulent autour de lui, lui envoient le poisson qui arrivera à son heure.
Ces énergies peuvent venir d’un contact avec une maman, une collègue et pourquoi pas de l’enfant lui-même.
 
Article rédigé par : Bernadette Moussy
Publié le 13 mars 2017
Mis à jour le 24 mars 2017