Regards qui portent, regards qui freinent . Par Claire Boutillier
Assistante maternelle, psychologue
La motricité libre (Emmi Pikler), c’est permettre à l’enfant d’explorer par lui-même et à son rythme son environnement ainsi que ses capacités propres. C’est le laisser se mouvoir au sol et non bloqué dans un transat. C’est le soutenir par la parole et non par l’action sur son corps, dans ses efforts pour faire de nouvelles acquisitions (se retourner, s’asseoir, se mettre à quatre pattes…). C’est enfin le faire participer aux soins qui le concerne : c’est incroyable de voir un tout petit coopérer pour recevoir le sérum physiologique qui va nettoyer son nez encombré…
Pour ma part, au début de ma pratique, il m’a été parfois inconfortable de laisser les enfants faire face seuls aux des défis sur l’aire de jeux ou de refuser de monter un enfant sur un jeu qu’il n’est pas capable d’atteindre seul… On parfois au contraire surestimer le risque, et trop interdire...
Ce qui m’a été difficile, c’est de ne pas aider, de ne pas agir pour rendre le plaisir du jeu accessible à l’enfant. Ou plus précisément, ce qui m’a été difficile avant de pouvoir assumer ce choix, était de le refuser aux enfants sous le regard surpris des autres personnes… Il est arrivé qu’une bonne âme propose à l’enfant ce que je venais de refuser (l’installer sur un jeu à bascule sur lequel il n’arrivait pas à grimper)… Pourtant, les enfants intègrent facilement cette règle ; et surtout quelle satisfaction quand ils atteignent par eux-mêmes leur but !
Cette expérience nous apporte beaucoup de joie à l’enfant et à moi : elle révèle l’Envie, autorise la confiance en soi, et encourage la ténacité. L’enfant, déterminé, affirme son désir de monter sur le jeu. Il me sollicite, je lui propose d’essayer par lui-même : c’est donc l’effort qui suit, l’expérimentation, la ténacité de l’enfant qui est en jeu. Quand cela ne fonctionne pas, il se tourne vers un autre jeu, mais quand cela fonctionne, il jubile ! La fierté et le plaisir de l’enfant qui vient d’accomplir par lui-même ce qu’il projetait est bien supérieur à sa satisfaction d’utiliser le jeu. C’est ainsi que nous favorisons l’optimisme de l’enfance face aux défis de la vie, sans parler de son sentiment de compétence. Au contraire, placer l’enfant sur le jeu va peut être lui faire plaisir sur l’instant, mais risque de compromettre son goût à faire des efforts pour obtenir le résultat voulu et entrave la juste confiance en soi. Dans la relation à l’enfant, notre regard le porte, le soutien, l’autorise. Et d’ailleurs, pourquoi ne pas accorder le même crédit au regard de l’Autre sur notre façon d’être ? Ce regard, on l’imagine désapprobateur quand on ne met pas bébé sur le toboggan, on quand on le laisse à même le sol plutôt que bloqué dans sa poussette, mais il ne l’est pas toujours. Laissons donc ce regard surpris, curieux parfois constater après les efforts, le plaisir de l’enfant et la complicité entre soi et l’enfant. Et si un simple échange de regards, de sourires à cet Autre, témoin de notre posture éducative, était bon pour nous aussi ?
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