17 oeuvres de l'architecte Le Corbusier ont été inscrites au Patrimoine de l'UNESCO. Par Didier Heintz

Architecte et Designer d’espaces pour la petite enfance. Cofondateur de l’association NAVIR Enfants, Adultes, Environnement

Le Corbusier
Tout le monde a entendu parler de Le Corbusier (1887-1965), et plus particulièrement de «l’Unité d’Habitation de grandeur conforme» dite  «Cité Radieuse» à Marseille.
Une unité de vie : la cité Radieuse et sa place sur le toit
Mais saviez-vous aussi que Le Corbusier a fréquenté dans son enfance à la Chaux de Fonds en Suisse où il est né, une école traditionnelle Fröbel ? Ce type d’enseignement, qui allie manipulation de cubes et intuition morale, a fortement marqué l’enfant. Il l’a poussé à devenir l’architecte que nous connaissons et qui a réalisé de nombreuses constructions mondialement reconnues. Mais ce que l’on connaît moins, c’est que cela l’a aussi amené à créer des espaces dédiés à l’enfance: l’école maternelle et la crèche qui se trouvent sur le toit de la Cité Radieuse construite en 1952, de même que du mobilier d’enfant, spécialement conçu pour eux. De plus, Le Corbusier, une fois devenu architecte, a demandé à l’une de ses anciennes maîtresses d’école de l’assister dans son travail, de concevoir avec lui l’école maternelle de la Cité Radieuse.
L‘influence de cet enseignement se retrouve également dans l’architecture des petits bâtiments surplombant le toit de la cité, qui ont été conçus et disposés comme un grand jeu de cubes avec des formes rectangulaires, des cylindres et des demi-sphères. Il a ainsi créé un espace collectif ludique pour tous les habitants de ce grand village appelé « Unité d’Habitation », qui se développait sur 16 étages, avec ses rues intérieures qui la traversent, ses commerces et ses appartements situés  de part et d’autre sur 2 étages, comme de petits pavillons, avec leurs 2 chambres d’enfant, bien séparées de la salle commune d’un côté, et de la cuisine de l’autre.
Cette construction est l’une des toutes premières architectures qui intègrent dans leur conception  les familles et leurs enfants. C’est une architecture faite pour eux, et Le Corbusier ne se prive pas d’exprimer dans des croquis le déroulement de la vie d’un enfant tout au long de la journée.

Cela ne permet-il pas de retrouver, là aussi, l’enfant que fut Le Corbusier, et  l’enseignement qu’il a reçu ?

Cet enseignement, tel qu’il se pratiquait à la Chaux de Fonds au temps de la jeunesse de Le Corbusier, nous semble aujourd’hui un peu rigide, et certainement, pas non plus, tel que l’aurait voulu Fröbel lui-même. L’enfant en effet s’exerce d’abord sur des solides, puis passe à l’étude des surfaces, puis aux jeux de plaquettes et de bâtonnets qui représentent des lignes successives, pour aboutir au dessin qui se développe à l’inverse de la progression « point, ligne, surface » décrite par le peintre Vassili Kandinsky. Ici l’enseignement donne la préférence à la manipulation et aux rapports tactiles aux dépens de la contemplation/réflexion : les cubes, les briques et les lattes étaient soupesés, manipulés, retournés et palpés, puis divisés en quatre, en huit, en seize éléments. Puis une main saisit le bloc de quatre, qui se trouve scindé en deux.
On voit ici le pouvoir de la main, mais aussi le pouvoir de l’angle droit, de la surface et du volume rectiligne. Ici on retrouve à nouveau l’architecte durant son étude qui glisse les appartements de la Cité Radieuse dans une armature rectiligne, comme dans un jeu de construction.
Il retrouve ainsi par le jeu, le principe du fonctionnalisme, le rôle de la séparation des fonctions, de leur assemblage en unités distinctes. Cela aboutira ensuite à une longue réflexion où l’individuel et le collectif auront chacun une place bien distincte.

Le collectif, ici à la Cité Radieuse de Marseille, c’est la place magnifique et lumineuse qui se trouve au sommet du bâtiment avec son école, sa crèche et sa garderie, avec aussi son théâtre de plein air, son espace de jeu et son solarium, ses petits jardins rectangulaires, le tout façonné et disposé comme un jeu de cubes, les fenêtres  de l’école devenant elles-mêmes un damier de jeux de lumière.
L’individuel, ce sont les chambres des enfants dans l’appartement de leurs parents. Ces chambres qui peuvent devenir, à leur tour, un espace commun aux enfants, grâce à un mur coulissant avec son tableau noir à manipuler en fonction des désirs et des jeux.

C’était il y a 60 ans. C’était une autre époque, un autre enseignement, une autre architecture. Cet exemple pourtant nous montre que toute construction et tout urbanisme devrait avoir des composantes liées à l’enfance qui, comme à la Cité Radieuse donnent toute leur importance aux écoles, aux crèches et aux jeux, et aussi à des espaces culturels et sportifs, à des jardins pour tous, enfants et adultes confondus.
Mais au delà de ces lieux collectifs, les enfants, le soir et le matin ne devraient-ils pas trouver dans leurs appartements un petit espace bien à eux qu’ils pourraient manipuler et aménager à leur gré ? Aujourd’hui l’ensemble de ces concepts est toujours valable; Le Corbusier dans ce domaine a été un véritable  précurseur.


Nous architectes nous devrions:

Insérer notre projet dans un milieu social et culturel adapté aux familles et aux enfants : c’est le toit de la Cité Radieuse. c’est le projet social
Nous assurer toujours les compétences d’un enseignant ou d’un éducateur : c’est la collaboration de l’ancienne maîtresse de Le Corbusier, c’est le projet pédagogique.
• Réfléchir à la forme des salles de classe, de leur lumière, de leur matière et de leur acoustique : c’est le damier des fenêtres, ce sont les volumes différenciés et riches, c’est le projet architectural.
Rechercher la relation entre la maison et le lieu collectif : c’est créer ce que Le Corbusier a appelé « Unité d’habitation », c’est le monde des repères et du symbolique.
Développer la motricité et la flexibilité des espaces, autant intérieurs et extérieurs: c’est  l’espace culturel, pédagogique et sportif du toit de La Cité Radieuse.


Sources
« Le Corbusier, les Maternelles »
Pour une pédagogie plus humaine  éditions. Denoel / Gonthier, 1968

« Le jeune enfant et L’architecte »
«  La maternelle de Le Corbusier et le jardin d’enfant de Jeanneret»
par Marc Solitaire,  éditions Syros, 1991

« Le Corbusier »
par Gérard Monier,
éditions La Manufacture,1992
Publié le 26 septembre 2016
Mis à jour le 30 octobre 2017