Les Ficelles de Bruno Munari. Par Didier Heintz

Architecte et Designer d’espaces pour la petite enfance. Cofondateur de l’association NAVIR Enfants, Adultes, Environnement

Bruno Munari est un designer italien, un artiste hétéroclite, un graphiste, peintre, sculpteur, créateur de jeux et de livres pour enfants. Né à Milan en 1907, il est décédé dans cette même ville en 1998.




 
Dans son livre " Les machines de Munari " celui-ci s'amuse à exciter et élargir l’imagination des enfants avec des inventions utopiques et humoristiques.
                                                                                             
 
Avec ses sculptures de voyage il adopte l'idée de " fonctionnalité de l’art " et invente par exemple un objet à " fonctionnalité esthétique " pliable et à emporter avec soi.

 

Il montre aussi qu'il est possible d'exprimer les formes corporelles du vent.



" La connaissance du monde par les enfants est pluri sensorielle et, parmi tous les sens, le toucher est celui qui est le plus utilisé. Il complète la sensation visuelle et auditive. 
Le sens du toucher est pourtant  considéré comme moins important que ces deux sens, et ceci est dû à une éducation limitée et essentiellement orientée vers la vue et le son. 
Nous avons tous reçu une éducation de type littéraire. Dans cette éducation, les expériences visuelles et tactiles sont presque uniquement exposées par la parole.
    Si nous voulons garder la globalité de nos sens, nous devons, entre autres, nous occuper aussi de la perception tactile en tant que  telle. "
 

    Pour cela, Bruno Munari propose de commencer par " regarder " par le toucher une œuvre de Filippo T. Marinetti (artiste italien 1876-1944) qui avait créé en 1921 un tableau tactile, une œuvre à toucher qui permettait de ressentir une véritable gradation de sensations tactiles.

Dès le bas de ce tableau-collage se développe un ensemble de matériaux très doux, de couches de papier lisses et de toutes sortes de tissus chiffonnés. La douceur de la forme du " doudou " blanc qui domine le fond noir bleuté pousse à rêver à notre enfance. Le chiffon jaune rappelle que cette enfance n’est pas seulement douceur et chaleur, mais qu’elle possède aussi une très forte dynamique.

Au milieu, le toucher est plus harmonieux, plus moelleux, sur des couches de peinture à l’huile séchée en surface où le doigt paraît pouvoir s’enfoncer, mais sans jamais y pénétrer. C’est un peu l’aire d'ennui de notre doigt ; mais, heureusement, cet ennui grisailleux est rehaussé par quelques autres matériaux comme du liège et du bois souple.

La partie haute est celle du rugueux et remplie de matériaux qui se bousculent, comme le métal qui peut être très froid et devenir en très peu de temps brûlant, des tressages de fil de fer, un rond de liège à la fois dur et mou, ainsi que de bouts d'éponges. Là, c’est la couleur rouge qui domine. 

Et, pour terminer, ou couronner le tout, la fameuse " râpe à patates ", bien rugueuse, et conçue pour faire peur aux doigts qui voudraient s'y hasarder ! 

Les couleurs suivent ainsi cette gradation : couleurs sombres en bas, bleu clair au centre, rouge dans la partie haute.
De trente ans son aîné, Marinetti a ainsi inspiré Munari et contribué à sa création de l’art du "Tactilisme ", devenu depuis lors le fondement de ses ateliers du toucher. 

Les ateliers du toucher de Munari
 
Formes et volumes
Munari a proposé de rassembler dans une boîte en bois, voire une boîte à chaussures, des objets de diverses formes pouvant tenir dans la main d’un enfant, tels que des cylindres, des cubes ou des sphères, mais aussi des pierres, des galets et des morceaux de bois. Les enfants les reprennent une à une et, avec eux, on parle alors de leurs qualités et de leur forme, on compare cette forme avec une autre, et ainsi de suite.
L’atelier des formes et volumes rappelle un peu ce qui avait été fait par Froebel avec ses dons à l’enfance, cube, cylindre et sphère, ou encore le matériel Montessori. Mais ici, c’est à l'adulte de trouver toutes sortes de formes, en plus grand nombre et beaucoup plus variées, en s’adaptant aux enfants, et parfois en les cherchant avec eux.

Convexe et concave
C’est l’intérieur et l’extérieur d’un volume.
On prend par exemple des pots de yaourt en plastique que l’on colle sur un support. Une série sera collée dans le bon sens, et une autre à l’envers. Les deux séries peuvent être fixées au mur, l’une à côté de l’autre ou l’une sous l’autre, pour faire  l'expérience des contraires par le bout des doigts.



Matériaux chauds ou froids
Comme pour l’atelier précédent, on utilise des plaquettes de bois, d’autres en métal, en plastique, en toile, en tissus, etc. Des dizaines et des centaines, fixées sur les murs à la hauteur des enfants, pour qu’ils puissent y laisser traîner leurs mains, leur bras tout entier. Certains de ces panneaux ont été posés au sol pour que les enfants puissent aussi en faire l'expérience sensible avec la plante de leurs pieds, leurs orteils, et même leur corps tout entier.

Livre de tissus
Il suffit de prendre des échantillons de divers tissus : des fins, en velours, de la laine tricotée, de la soie, du lin… et de les coudre solidement ensemble.
Voilà un superbe petit livre que l'on lit avec l'ensemble de la main, paume comprise, et que l'on commente de page en page, de main à main.



Papier
Le prendre tel quel, le chiffonner, le lisser, le découper, en faire des guirlandes, le couper encore, le colorer, etc. Le papier est le matériau le plus malléable parce qu'en le froissant ou en le pliant, il réagit par le son et le mouvement et crée des volumes nouveaux. En carton, Munari en a fait des objets à emporter en voyage. 

 
" Faire " à partir des ficelles de Bruno Munari
 
Entrons dans les détails, comme si nous le faisions maintenant ensemble. 
  • Commençons par nous procurer une planchette en contreplaqué de 50 x 60 cm. Nous y répartissons des trous de 6 à 8 mm, espacés d'environ 8 à 10 cm, régulièrement ou au hasard.    
  • Rassemblons ensuite des ficelles ou des cordelettes, en toutes sortes de matières, tressées ou lissées, de grosses à très fines. 
  • Faisons passer chacune par un des trous (l'agrandir si nécessaire) et, pour que la ficelle ne revienne pas en arrière, terminons-la par un gros nœud bien solide. Les ficelles pendront alors dans tous les sens. 
  • On peut les tendre en les tirant plus fortement, chacune vers un autre trou où elle sera enfilée et consolidée par un nouveau nœud à l’arrière de la planchette. 
  • Certaines ficelles finiront par se croiser ; on pourra les tresser ensemble, et là encore inventer de nouveaux nœuds ou associer d’autres objets ou matériaux.
  • D’autres resteront au contraire souples, on pourra y enfiler des anneaux qu’on peut faire tourner et vibrer ou, au contraire, les laisser pendre, faire l’expérience d’une ficelle souple à tirer et à tordre, les entortiller autour des doigts, les laisser bouger au vent. 
  • Enfin, pour terminer, avec le reste des ficelles, les enfants pourront s'exercer à élaborer un nouveau type de tressage entre leurs doigts ou leurs poings.




Le toucher ici est clairement linéaire : suivre des ficelles ou des cordes, les laisser filer entre les doigts ou dans le creux de la main. Nouer, entortiller, tirer. Le toucher de la ficelle est l’un des plus riches.




Comme un entrelacs de ficelles, un espace magique apparaît ainsi entre les doigts de l’enfant. Celui-ci n'arrête pas en effet de construire et de se construire à partir des sensations que lui procurent ses mains.





  D’après : " I laboratori tattili " de Bruno Munari, Edizioni Corraini.
Article rédigé par : Didier Heintz
Publié le 22 septembre 2020
Mis à jour le 22 septembre 2020