Parler de l’espace, c’est aussi parler du rangement. Par Didier Heintz

Architecte et Designer d’espaces pour la petite enfance. Cofondateur de l’association NAVIR Enfants, Adultes, Environnement

Juillet est le mois du rangement. C’est le moment où se pose la question : où ranger tous ces jouets qu’on trouve par centaines dans toutes les crèches et qui envahissent  le plus souvent les sols et les tapis, voire l’espace tout entier ? Faut-il placer ces jouets dans des boites sur des étagères en hauteur, puis  les redescendre quand  les enfants arrivent ? Ou au contraire les ranger et les laisser  à disposition dans de petits meubles accessibles aux enfants eux-mêmes ?
    Dans le premier cas, les boites  sont déposées au sol, bien souvent sans tenir compte ni du contenu, ni des activités de la veille, ni de celles qui seront pratiquées le jour même. Les enfants alors se précipitent, fouillent dans cet enchevêtrement  d’objets contenu dans les boites, petites voitures, poupées entassées, pièces de Lego éparses, pour retrouver ceux des jouets qu’ils avaient aimés la veille. Très vite d’ailleurs, ne trouvant pas ce qu’ils cherchent, ils en arrivent à renverser les  boites, et les jouets finissent par être éparpillés dans toute la pièce.  Les enfants ne s’y retrouvent pas, le personnel non plus !
    Dans le deuxième cas, quand les jouets sont rangés sans intention précise  dans des meubles ou sur des étagères qui restent accessibles aux enfants, si un certain ordre spatial ou un moment d'activité n’ont pas été établis au préalable, les jouets  se retrouvent encore une fois éparpillés dans toute la pièce.     
    Alors qu’en penser, comment éviter cette dispersion qui n'a rien de ludique ici ?  Dans le premier cas, la situation peut être évitée en ne redescendant des étagères que les boites dont on a besoin, ou à la demande spécifique des enfants, ou encore pour mettre en place un  jeu particulier, Lego, poupées ou autre. Dans le deuxième cas, les jouets seront rangés selon les différents « coins d’activités » : chaque coin d’activité aura ses jouets, chaque jouet aura son coin d’activité. C’est l’organisation spatiale générale de la salle qui est ici prise en compte, ce qui n’empêche pas de faire, si besoin est, les entorses qui s’imposent.  Ces coins deviennent ainsi des repères à la fois pour les activités et  pour le rangement des jouets.
    Ainsi :
    Le « coin cuisinette »   est aussi le lieu de rangement et de manipulation des ustensiles  miniatures, petites assiettes, casseroles, cuillères,  légumes en bois ou en plastique. Ils sont placés dans et sur les meubles, évier, four ou lave vaisselle, et forment  un véritable espace symbolique à l'image du mode d'utilisation et de rangement familial, dans lequel les enfants peuvent pénétrer à leur tour et jouer, faire un café et le proposer aux autres enfants ou aux adultes présents  autour d'eux.
    Le « coin poupées ». Quoi de plus horrible que de voir toutes ces poupées entassées dans une boite, les membres enchevêtrés, les têtes pendantes ! Ici, il devrait y avoir un ou plusieurs berceaux où les poupées sont couchées comme de véritables bébés, ou assises dans des poussettes à promener à travers toute la pièce. Ce sera comme à la maison, un coin avec de petits lits, une table à langer, une armoire pour ranger les petits habits, couches ou chaussettes. Contrairement à l’espace « cuisinette » ce coin sera bien plus ouvert, un lieu d’où on sort, mais où on revient aussi pour ranger  les poussettes ou pour endormir le bébé.
    Le « coin voitures » est, comme pour le coin poupées, un espace ouvert, une sorte de garage ou de parking, avec déjà un petit parcours, un garage en miniature, qui se prolonge à travers une partie de la pièce. Mais attention, les enfants doivent comprendre que les voitures reviennent, une fois leur journée active finie, au garage.
    Dans ces trois  espaces  les enfants pourront jouer tout seuls et les adultes auront un rôle d’« observateur actif ».
    Le « coin tranquille et douillet », contrairement aux espaces précédents, est bien sûr un espace pour les enfants, qui y trouvent de quoi se reposer et regarder des livres. Mais c'est aussi un espace pour les adultes qui peuvent y lire avec eux une histoire ou encore la raconter. Pour les enfants des casiers de rangement cohérent – par taille ou par thème - pour les livres doivent pouvoir rester continuellement à leur disposition, et pour les adultes il faut penser aussi à une étagère en hauteur protégeant les ouvrages les plus fragiles.
    Les grands cubes de motricité. Ils sont en général empilés en hauteur et d’accès difficile, donc peu  utilisés. Ne pourrait-on pas les laisser en place au sol pour former  une structure motrice stable qui, certes, peut changer et devenir parfois un parcours sensoriel, mais de temps en temps aussi une structure à grimper, à enjamber ?
    On voit ici que chaque espace permet des activités particulières, et nécessite des systèmes de rangement adaptés. Mais pour que tout fonctionne bien il est souhaitable qu’il n’y ait pas trop de jouets en circulation à la fois. C’est là que nous pouvons revenir à notre premier principe simple de rangement : n’avoir au sol que quelques jouets accessibles aux enfants, et sous la main des « boites de réserve » en hauteur qui peuvent être interchangées à certains moments et créer la surprise chez les enfants.
 Mais pour cela ne peut-on pas se rappeler qu'il faut avant tout observer les enfants pour déceler, voir et reconnaître ces petits lieux qu’ils se créent eux-mêmes, parfois répétés  plusieurs jours de suite et qui nous incitent à placer d’autres jouets qu’il serait intéressant de mettre à leur disposition, et les coins eux-mêmes à modifier. La salle d’activité d’une crèche est en perpétuel mouvement avec ses règles spatiales propres et ses règles d’usage. C’est au personnel de donner une première impulsion, les enfants libres et autonomes  feront le reste.

 
Article rédigé par : Didier Heintz
Publié le 16 juillet 2016
Mis à jour le 16 juillet 2016