Et les enfants, sinon, ça va ? Par Françoise Näser

Assistante maternelle, auteure

Qu’elle est touchante, cette petite fille qui demande : « elle est finie, la guerre ? »  Car l’attitude solennelle, le discours martial, le vocabulaire guerrier ont fait irruption de manière si soudaine dans nos vies que beaucoup se sont trouvés désemparés : comment expliquer aux tout-petits cette situation inattendue et inédite où notre quotidien s’est trouvé si brutalement chamboulé, où nos repères ont volé en éclat. Le nombre de décès égrené tous les jours a renforcé l’angoisse et l’impression de vivre une situation totalement hors normes. Les enfants, véritables éponges émotionnelles, qu’ont-ils compris de toute cette histoire ? Le comportement si bizarre des adultes, les nouvelles règles de vie, l’interdiction de sortir, de voir Papy et Mamie, cette guerre menée contre un ennemi invisible, ce « Corona Minus » si redouté, nom d’un petit pangolin ! Ça va encore durer longtemps ?

Aux deux extrémités de la vie, les enfants et les personnes âgées se sont retrouvés brutalement montrés du doigt, les premiers comme vecteurs de la maladie, qui plus est asymptomatiques et donc encore plus redoutables, les derniers comme principales victimes, à protéger de manière drastique quitte à les isoler du monde. Il en a fallu de la constance, de la détermination et de la force de caractère à celles et ceux qui ont continué à travailler dans ces circonstances, dans cette ambiance de « fin du monde » ! Les professionnels de la Petite Enfance ont parfois travaillé la boule au ventre et les enfants ont payé « un lourd tribut à l’hypothèse initiale selon laquelle ils étaient le vecteur principal de la circulation du virus Covid-19, par analogie à d’autres virus. »  Mais si aucun foyer épidémique n’a été relevé durant cette période, alors que nos collègues ont continué à travailler sans protections particulières, sinon celles imposées par le simple bon sens, pourquoi des mesures aussi contraignantes dans le Guide ministériel ?

Pourtant les premiers retours d’expériences semblent encourageants : « ils sont si merveilleux, ces enfants, ils s’adaptent si vite » et « il faut leur faire confiance, ils sont résilients », ou encore « si les adultes restent calmes, ils restent calmes ». Et c’est vrai que la vie continue, malgré les masques, malgré la distanciation sociale, malgré les vapeurs d’Eau de Javel : Hugo a la gastro, Salomé crache sa purée, Clément fait ses dents, Brigitte régurgite, Valentin a un gros chagrin, Léonie vit sa vie, Léa et Mathieu s’échangent des jouets baveux, Hélène a de la fièvre … Mais des voix s’élèvent tout de même pour attirer l’attention sur les risques à long terme de mesures totalement excessives et inadaptées aux métiers du care « susceptibles d'entraîner une anxiété particulièrement néfaste au développement des enfants et générateurs de troubles du comportement potentiellement majeurs » . Ils sont nombreux, les spécialistes de la Petite Enfance à tirer la sonnette d’alarme ! Seront-ils écoutés ?

Si les enfants paient un lourd tribut à notre méconnaissance du virus, nombreux sont ceux à dénoncer également des mesures d’hygiène mettant en danger tant l’environnement que la santé de tous. Stériliser nos maisons, les désinfecter à l’excès, c’est également prendre un risque sur le long terme : « la situation est grave et urgente : à la lecture des recommandations ministérielles et par souci de bien faire, des milliers de professionnels vont mettre en péril leur santé et celle des enfants par l’usage de produits virucides extrêmement toxiques. ».Sans parler du découragement de certains professionnels, contraints d’appliquer des consignes à l’encontre de leurs convictions. Le découragement, la fatigue due aux nombreuses heures de ménage supplémentaires par jour, la charge mentale de penser constamment aux nouveaux gestes barrière, la perte du sens et des valeurs de nos métiers auprès des tout-petits, voilà les ingrédients d’un cocktail bien prévisible : un burn out généralisé ! Alors cette guerre contre le « Corona Minus » et sa cohorte de consignes irréalistes, ça va durer encore longtemps ?

 
Article rédigé par : Françoise Näser
Publié le 07 juin 2020
Mis à jour le 07 juin 2020