La carte d'anniversaire . Par Françoise Näser

Assistante maternelle, auteure

Françoise Näser
Carte d
La carte d'anniversaire avait été achetée, choisie avec soin : ni trop criarde, ni trop fleur bleue. 18 ans, déjà ! Comment imaginer que la toute première petite fille accueillie chez moi, ait fini par devenir une jeune fille déjà majeure. Quand exactement ? Il ne s'agirait pas de louper la date ! Dans mon classeur « contrats », la date est bien là : eh oui, c'est pour bientôt. Habite-t-elle toujours à la même adresse, chez ses parents ? Fait-elle des études, à l'étranger peut-être ? Ont-ils déménagé ? Comment savoir. La décision est prise : la jolie carte d'anniversaire sera envoyée à l'adresse des parents qui feront suivre, espérons-le.

Posée sur la table, la carte d'anniversaire semble m'interpeller, vouloir à toute force faire remonter des souvenirs.  J'ai quelques photos de l'époque, bien sûr moins nombreuses qu'à l'heure du numérique. Qu'elle est jolie ! Dans le jardin, au bac à sable, à la balançoire, autour d'un jeu de société, à table … Une ravissante petite fille, un peu timide, pas très loquace. Ce tout premier accueil qui a marqué mon choix de devenir assistante maternelle, il y a maintenant 14 ans, n'était finalement qu'un concours de circonstances. Un hasard qui fit si bien les choses et déclencha une véritable vocation !

Très investie alors dans l'école de mes enfants, déléguée de parents d'élèves, je suis un jour abordée par une maman très inquiète : que faire de sa petite, alors que son assistante maternelle venait de démissionner brutalement ? Pourrais-je lui rendre ce service de l'accueillir quelques jours, le temps qu'elle se retourne, faute de risquer perdre son travail ?  Je me souviens m'être écriée : «  je ne suis pas nounou ! » mais avoir accepté néanmoins de l'accueillir le midi et le soir après l'école. « Mettez-là devant la télé, elle sera très sage et ne vous embêtera pas ! », avait ajouté cette maman, soulagée d'avoir trouvé une solution à son problème.

A quoi peut ressembler cette enfant aujourd'hui ? Comment savoir … Grâce aux réseaux sociaux, peut-être. Quel choc ! Les larmes me montent aux yeux en voyant sa photo de profil sur facebook. Une belle jeune fille, souriant à la vie. Cette petite dont j'ai finalement pris soin plusieurs années, soigné les petits bobos, surveillé les siestes. Cette enfant qui ne voulait jamais quitter la balançoire, qui aimait les glaces que nous achetions sur le chemin de retour de l'école, qui a, plus d'une fois, réussi à négocier un tour de manège au centre ville. Se souvient-elle des parties de jeux de sept familles qu'elle gagnait toujours, des goûters d'anniversaire, des lapins auxquels nous allions porter une carotte selon un rituel immuable ?

Cette carte d'anniversaire me rend nostalgique. Notre métier est si important, si riche, et si invisible. Quelle empreinte laissons-nous finalement aux enfants que nous accueillons ? Comment trouver tous les jours la force de penser chaque geste et chaque parole, de respecter au mieux les enfants qui nous sont confiés, de les amener à l'autonomie, chacun à leur rythme, alors qu'il semble impossible d'apporter une preuve concrète de notre dévouement, de notre investissement professionnel, de notre bienveillance à leur égard ? Un lien très fort se créé, une intimité, une confiance absolue, une affection réelle, puis la vie suit son cours, sans nous. Nous ne représentons qu'une petite parenthèse dans la vie de ces enfants que nous accueillons, à un âge où pourtant, tout est si essentiel ! Aujourd'hui, à 18 ans, une simple carte d'anniversaire accompagnée d'une photo feront-elles remonter un quelconque souvenir de ces années heureuses ?

 
Publié le 15 juin 2016
Mis à jour le 15 juin 2016