La tentation de Noël. Par Françoise Näser

Assistante maternelle, auteur

Château de princesse
Voilà une période que toutes les assistantes maternelles apprécient et attendent avec bonheur : dès le mois de novembre, l’effervescence nous gagne toutes ! A peine Halloween passé, on voit déjà circuler les premiers bonhommes de neige ou les sapins : coloriages pour les enfants, idées bricolages pour petites mains et recettes en tout genre, les assistantes maternelles sont dans les starting-blocks ! Très vite, les décorations de Noël envahissent les grands magasins : du plus kitsch au plus sobre, du clinquant au naturel, on trouve de tout pour se mettre dans l’ambiance.
Les catalogues de jouets et leurs nouveautés sont arrivés et sont étudiés avec tout le sérieux des professionnelles du jeu
, les rayons des super-marchés sont bien mieux achalandés que d’habitude et déroulent leur offre sur des dizaines de rayonnages, et les magasins spécialisés proposent des jouets plus rares que l’on ne voit pas le reste de l’année. Sans parler des sites internet, livraison gratuite, deux jouets au prix d’un et autres tentations ! Qui ne rêve pas, à cette époque, de pouvoir repousser les murs, d’inventer de nouveaux rangements, de s’organiser différemment pour aménager un plus grand espace de jeux ?
Qui n’a pas envie de faire plaisir aux petits qu’on accueille tous les jours et qui ont une place toute particulière dans notre cœur ? Les poupées sont un peu vieillottes et on voudrait bien les remplacer. Le garage a vieilli lui aussi, et les voitures ont subi tant d’accidents qu’elles sont bonnes pour la casse. La cuisinière n’est plus très à la mode, et la dînette, à force d’être nettoyée, a perdu ses jolies couleurs d’antan.

« Et puis, cette année, je n’accueille que des petites filles : je vais enfin pouvoir acheter ce magnifique château rose, avec sa délicieuse petite princesse ! » Cela fait des années que je repousse cet achat un peu cher, cherchant une occasion particulière pour investir dans ce jouet qui viendra compléter la collection de la même marque. Mon Moi-raisonnable, petite voix intraitable de ma conscience, s’insurge aussitôt : mais c’est honteux de dire ça ! Pourquoi donc les petits garçons n’auraient-ils pas le droit de jouer à la princesse, de s’imaginer caracoler sur l’adorable licorne qui ferait craquer n’importe qui avec ses grands yeux de biche ? Alors le rose à paillettes, c’est que pour les petites filles, c’est ça ? On en est encore là ? Pris en flagrant délit de sexisme, je me défends comme je peux : mais pas du tout ! Chez les assistantes maternelles, les enfants ont toutes sortes de jouets à disposition : les petits garçons jouent aussi bien à la poupée qu’au garage, les petites filles jouent indifféremment au train électrique et aux jeux de construction.
Les jouets ne sont pas tous unisexes, n’ont pas tous des couleurs neutres mais sont utilisés par tous les enfants. D’ailleurs même les psychologues l’affirment : « Concernant l'inquiétude que peuvent avoir certains professionnels de la petite enfance face à un petit garçon qui joue à la poupée, la psychologue se veut rassurante « il ne faut absolument pas s'inquiéter, c'est au contraire très sain. Dans les crèches [et bien sûr chez l’assistante maternelle], filles et garçons jouent avec les poupons, c'est l'image de jeu dans notre société contemporaine qui l'estampille "jeu de fille". Il convient de laisser le garçon jouer et de rassurer les parents s'ils s'interrogent »(1)

Sans qu’il soit réservé uniquement aux filles, donc, pour autant, ce château si joli, aux tourelles bien proportionnées, aux angles ronds et aux multiples accessoires  me fait de l’œil et me tend les bras. Cette année, c’est décidé, je l’achète pour Noël ! Alors, évidemment, il faut bien avouer qu’il reste tout de même un minuscule tout petit problème, immédiatement repéré par mon Moi-raisonnable, impitoyable : le plastique ! Ne m’étais-je pas promis de ne plus en acheter ?  Un très vilain Homo detritus !  (2), voilà ce que cet achat va faire de moi. Car c’est vrai, je me l’étais promis : moins de déchets, surtout ceux qui polluent la nature durant des décennies. « Des millions de tonnes de déchets non recyclables produits annuellement prennent le caractère d’un phénomène quasi-géologique » (3). On parle même de septième continent,
imaginez un peu, un territoire de plastique six fois plus grand que la France qui flotte au beau milieu du Pacifique, à mi-chemin entre la côte Ouest américaine et le large du Japon. C’est sûr, c’est affreux, mais en même temps, c’est aussi très loin de nous. Et mon joli château, qui ne serait finalement qu’une goutte d’eau dans cet océan, passerait sans doute inaperçu, avec un peu de chance ! Qui a envie à Noël, d’entendre la petite voix de la raison, celle qui parle de développement durable, de pollution, d’avenir de la planète ?
Alors une fois Noël passé, l’année prochaine, c’est promis, je commence le sport et j’arrête d’acheter des jouets en plastique !





(1) Sophie Casal, psychologue, dans https://lesprosdelapetiteenfance.fr/eveil-activites/jouer-pour-grandir/la-poupee-essentielle-pour-les-enfants-des-un
(2) Baptiste Monsaigeon, Homo detritus, Seuil, 2017
(3) Pierre Rabhi, Kaiz
Article rédigé par : François
Publié le 30 novembre 2017
Mis à jour le 01 décembre 2017