Mais où sont donc passés les nourrissons ?!. Par Françoise Näser

Assistante maternelle, auteure

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bebe joue
Les assistantes maternelles qui accueillent presque tous les ans de nouveaux bébés le constatent : il n’y a plus guère de nourrissons ! Je m’explique : conscients que nous sommes aujourd’hui, des potentialités immenses des tout-petits, nous décelons dès leur premier âge, dès la sortie de la maternité, les possibilités illimitées qui s’offrent à eux, leurs capacités jusque-là insoupçonnées, leurs compétences innées dans tous les domaines. Finis les nourrissons « tube-digestifs », emmaillotés de la tête aux pieds, qui ne ressentaient soi-disant aucune douleur et n’avaient de conscience qu’au moment où ils commençaient à parler !

A peine sortis de la chaude et douillette matrice, les voilà tels de mini adultes, habillés à la dernière mode. Ils sont dûment accompagnés, stimulés et encouragés à développer au plus vite toutes ces merveilleuses compétences.
 Vite, vite, vite ! Il faut faire vite pour trouver un mode d’accueil, pour s’inscrire aux bébés nageurs, à la baby-gym, aux séances de lecture pour bébés, à l’éveil musical.
Vite, vite, vite, il faut, pour leurs parents, revenir au top professionnellement, car ce n’est pas parce qu’on a un nourrisson à la maison et des cernes sous les yeux qu’on pourrait laisser paraître un peu de fatigue au travail ! D’autant que le congé maternité postnatal bien trop court n’encourage guère les jeunes mamans à se lancer dans des aventures qui prennent du temps à se mettre en place, comme celle de l’allaitement par exemple.

Le temps ! Voilà ce qu’il manque : le temps de faire vraiment connaissance avec son enfant, le temps de découvrir ensemble ce que parentalité veut dire, le temps de développer un sentiment familial, le temps au couple de s’adapter à ces changements intimes. A l’heure où tout doit aller vite, la lenteur n’a pas la cote !

Pourtant le nourrisson, lui, a nécessairement besoin de lenteur. Impossible dans ce domaine d’aller plus vite que la musique ! On ne peut faire vivre les bébés au même rythme que les adultes, si ce n’est au détriment de leurs besoins primaires et de leur bon développement physiologique. Est-ce vraiment utile de perdre son temps à dormir, par exemple ? En supprimant une ou deux siestes, on pourrait faire beaucoup plus de choses, proposer beaucoup plus de temps d’éveil : il y a tant à apprendre et à découvrir. Mais non. Dans les premiers mois, l’enfant dort les deux tiers de son existence et réduire le temps de sommeil serait une très mauvaise idée car c’est bien pendant le sommeil que la croissance des enfants se développe, que le système immunitaire se renforce, que le système nerveux se développe tandis que les connexions neuronales se multiplient. Lorsque bébé dort, de nombreuses fonctions cérébrales sont mises en place : capacité à mémoriser les évènements et les émotions, à apprendre et à comprendre. Laissons-donc les nourrissons en paix !

Les assistantes maternelles qui accueillent chez elles peu d’enfants ont cette merveilleuse opportunité de vivre à leur rythme et de s’adapter aux besoins de chacun. Les gros dormeurs pourront recharger leurs batteries chez nounou, les petits dormeurs se verront proposer des activités adaptées à leur âge. Ceci représente un vrai plus pour l’accueil individuel. Car ces petits bébés vont avoir besoin de toutes leurs forces, de toute leur intelligence et de toute leur créativité pour affronter l’avenir que nous leur avons réservé ...

En effet, celles et ceux qui s’y intéressent auront noté que selon certains scientifiques, nous serions entrés dans une nouvelle ère géologique dite « anthropocène » où l’Homme moderne aurait durablement et définitivement transformé notre système terrestre. L’empreinte que nous, nos parents, nos grands-parents avons laissée sur la planète serait telle qu’elle induirait une véritable influence géologique sur la biosphère et le système terrestre. Les activités humaines, industrielles, agricoles, scientifiques, ont causé une rupture des équilibres naturels de la planète, et ce, de manière irréversible.
Mais quel rapport avec la Petite Enfance, me direz-vous ? Le rapport c’est que nous laissons donc à nos enfants et petits-enfants des défis immenses à relever : leur vie sera totalement différente de la nôtre, sur une Terre transfigurée par les sécheresses, les canicules, les inondations, les tornades, les déplacements de populations réfugiées climatiques, le manque d’eau potable, la fin des énergies fossiles et j’en passe !

 Ce sont eux, ces enfants nés aujourd’hui, ces nourrissons, qui feront face aux ravages des changements climatiques. Parce que les industriels et les publicistes nous ont laissé croire que nous pourrions continuer à exploiter de manière exponentielle des ressources en réalité limitées, nous avons usé et abusé des bienfaits que la planète pouvait nous offrir. Ce que nous n’avons pas su faire, à titre individuel et collectif, lorsqu’il était encore temps, ce sera bel et bien aux enfants d’aujourd’hui de le gérer. Il leur faudra inventer des solutions pour que les plus de sept milliards de personnes avec lesquelles nous partageons l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons survivent à la catastrophe annoncée. N’est-ce pas une injustice immense que de laisser peser ce fardeau sur de si frêles épaules ? Haut les cœurs, les petits bébés, on compte sur vous !
Et bonne année à tous.
 
Article rédigé par : Françoise Näser
Publié le 02 janvier 2020
Mis à jour le 02 janvier 2020